Mitsuba - Aki Shimazaki *****

Oh là là, sans paraphraser notre Lio belge et néanmoins nationale, je crois qu'Aki Shimazaki a tout compris de la vie japonaise ! Si bien que, lorsqu'on referme son livre Mitsuba, plusieurs mots surgissent comme génial, énorme, formidable (oui, vous constatez que mon vocabulaire devient de plus en plus recherché et cela ne s'améliore pas avec l'âge la fatigue).

D'abord le titre mystérieux et mélodieux, Mitsuba, représente les trois feuilles (en rapport symbolique avec le trèfle), mais aussi une ombre et enfin la dénomination d'une histoire magnifique qu'il est bon de ne pas rater (mais ça, je pense que vous l'aviez compris).

Takashi Aoki est un Shôsha-man de Tolio, un business-man japonais qui vend corps et âme à l'entreprise Goshima qui l'emploie. Quasi trentenaire, toujours célibataire mais ne souffrant aucunement de cette condition (refusant les nombreux miaï proposés -mariages arrangés-), le multilinguiste Takashi, corvéable à merci, fournit un travail exemplaire, accaparé en tant qu'atendo le week-end pour accompagner un  couple de clients français M et Mme Bodin. Seulement voilà, Takashi va tomber amoureux d'une de ses collègues standardistes, Yûko Tanase, jeune femme très courtisée par la gente masculine en quête d'épousailles vertueuses. La scène se passerait en France, quoi de plus banal mais au Japon, où les relations amoureuses entre collègues demeurent mal appréciées, cette situation augure une double difficulté, surtout lorsque la miss subit les avances du fils du propriétaire de la banque qui finance l'entreprise d'import-export Goshima.

Outre l'histoire d'amour entre Takashi et Yûko suggérée en douceur (les rencontres chastes après le travail au bar-restaurant Le trèfle en français, Torêhuru en japonais, rebaptisée Mitsuba par nos deux amoureux ; la splendide scène d'un romantisme fou dans le Shinkansen ; la pudeur de la nuitée à Kobe: page 72 « Sa peau lisse, son corps souple, ses cheveux fins comme de la soie. Je n'ai pu me détacher de son corps tout au long de la nuit » ), Aki Shimazaki aborde la société japonaise, ses us et travers, leurs raisons :

1) la difficulté de ne pas se soumettre aux diktats économiques ou sociaux : les aïsaïka (les hommes qui traitent leur famille avec égards) voient leur carrière ou leur santé en pâtir, régulièrement blâmés ou mutés à l'étranger pour les contraindre à démissionner: page 47 «Aller boire après le travail, c'est une coutume qu'on ne peut ignorer. Si l'on souhaite rester dans la même compagnie, il faut accepter ce mal nécessaire, car cette obligation régit les relations humaines au sein de la société japonaise».

2) les rapports amoureux où on ne peut engager une relation sérieuse sans être auparavant reconnus « fiancés » ou en instance d'union maritale.

3) la promiscuité spatiale qui amène aussi à se soucier des autres, à épargner l'indifférence: page 52 « Je me suis installé au comptoir et j'ai commandé du whisky à l'eau. Je devais avoir mauvaise mine, le barman m'a demandé : «Avez-vous eu une déception amoureuse ? » . S'épancher sur des difficultés professionnelles devient abordable : page 77 « la compagnie n'est qu'une compagnie. On ne se soucie point de la vie personnelle des individus ».

4) la culture japonaise liée au langage structurant la nation, le problème de l'exil qui amène le déracinement : page 94 « ... ma femme n'a aucune intention d'élever les enfants à l'étranger, elle ne voudrait pas qu'ils deviennent des déracinés qui oublient leur langue maternelle. En plus, selon elle, les gens qui sont instruits ailleurs qu'au Japon ne sont plus traités comme des Japonais. Éventuellement, ils auront de la difficulté à vivre dans leur propre société à leur retour

5) la condition féminine peu reluisante, malgré des progrès notables : contraintes familiales et sociales du mariage, abandon fréquent d'une activité salariée chez les épouses des Shôsha-man. De plus en plus, elles se rebiffent en souhaitant comme époux, un aïsaïka.

6) une hiérarchie sociétale et un protocole impressionnant à respecter sur les salutations en cas de mutation (voir la page 133), l'honneur élevé en qualité morale (celui d'un homme qui assure la descendance de son épouse choisie, celui d'une femme qui assume ses actes, ne les nie pas).

7) Après la défaite de 1945, place à la guerre économique et donc au surinvestissement humain dans les entreprises : pages 135 et 136 « Je veux servir à la reconstruction de l'économie de notre pays. Pour sortir de la misère de la défaite, il faut se procurer des devises étrangères autant que possible en vendant des produits japonais...cette fois, c'était une guerre commerciale. »

Un glossaire formidable et très utile réside à la fin, rapportant les termes japonais utilisés et non traduisibles en français.

Mitsuba fait partie de ces livres riches, rares, indispensables à lire et qui possèdent ce don précieux de s'adresser à tout type de lecteur(trice).  S'en priver, c'est gâché !

Voici l'avis d'Anne

Partenariat des éditions québécoises Leméac avec les éditions françaises Actes Sud

emprunté à la biblio


évasion musicale Somebody that I used to know - Gotye 
(voix très proche de celle de Sting, sonorités japonisantes et clip recherché). Un merci tout particulier à La passionnée des Aravis dont le blog m'a rappelé cette chanson adéquate.

14 commentaires:

  1. Coucou chère copinaute ! J'ai lu "Tsubaki", très beau aussi !
    Bon dimanche et bisous :)

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    1. Joli, le mot Copinaute ! adopté...Oui, je crois que je vais lire la trilogie romanesque d'Aki Shimazaki car cette auteure a l'air de glisser des réalités sociales en consolidant une belle histoire.

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  2. Quel billet circonstancié !! Je te conseille ausi la pentalogie Le poids des secrets, et il y a déjà les deux qui suivent celui-ci, et un quatrième qui va paraître en juin.

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    1. Je note .. pour les détails, je les ai expurgé du livre en ne désignant pas les personnages qui les énoncent. De plus, j'ai évité d'ajouter un événement majeur concernant Takashi pour la découverte. Dernière recommandation oubliée : ne pas lire les dernières pages, avant d'avoir entamé toute l'histoire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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  3. J'adore Aki Shimazaki et j'aime beaucoup Gotye ! J'ai très envie de lire ce livre mais cela attendra un peu.

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    1. Oui, je comprends mais remarque le progrès : je me tourne vers les auteurs japonais (mieux vaut tard que jamais)

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  4. Merci pour cette belle note de lecture dans le challenge, Philisine Cave, et bonne semaine !

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    1. Merci à toi, Madame Catherine, de nous offrir un si beau challenge et que ne ferais-je pas pour satisfaire Dragoneau ?

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  5. j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois aki shimazaki, de lui faire signer tous ses livres (des bijoux) et de pouvoir discuter avec elle à propos de ses bouquins et de mes voyages et émotions à propos de son pays natal. pour un amoureux du japon et de la vie japonaise, je suis comblé !
    je suis simplement surpris que la critique parle de mitsuba qui est sorti en 2007 (!) alors que zakuro (2009), tonbo (2011) et tsukushi (2012) sont parus bien après.

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    1. Vous avez réussi à me motiver à découvrir cette auteure à la belle écriture. Mitsuba est l’œuvre que possédait la médiathèque à laquelle je suis fidèle. J'ai donc hâte de lire Tsubushi, Tonbo et Zakuro. Merci, mrlenours, pour votre visite agréable et instructive.

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  6. C'est tout bon ! je l'ajoute a ma liste... des que j'y mets la main dessus. Ce sont les livres qui viennent à moi. ^\^

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    1. Oui et tu feras un très bon choix : plébiscité à mon dernier comité de lecture.

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  7. Je viens de finir "Tsukushi" qui est la vision de Yuko Tanase sur sa relation avec Takashi Aoki, la Goshima et la banque Sumida. S'y mèlent des découvertes qui posent et font se poser quelques questions.
    Je n'ai pas d'emblée accroché avec cette auteure mais sans lui jeter la pierre, je prendrai donc le temps de découvrir l'un ou l'autre de ses nombreux ouvrages.

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    1. Tu as raison, la prose de cette auteure interpelle d'une certaine façon, sans paraître flamboyante.

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