Europeana, une brève histoire du XXe siècle- Patrick Ourednik *****

Il y a des livres comme cela où on tourne autour en se disant «mais comment vais-je réussir à donner envie aux gens de le découvrir, alors que mon pâle résumé ne sera guère tentant ?», des livres importants et inclassables, des livres à retenir. Indéniablement, Europeana, une brève histoire du XXè siècle en fait partie.

Cet essai historique a la particularité d'être une sorte de pêle-mêle de toutes les atrocités commises par l'être humain au cours du siècle dernier et bizarrement, au lieu de faire fuir son lectorat, l'auteur réussit brillamment à le captiver en employant un style relevé, populaire, donnant l'impression de va et vient, de passer du coq à l'âne comme une litanie, tout en respectant son principal objectif : celui d'amener ses lecteurs à davantage de recul sur les événements et à une réflexion globalisée du monde. Patrick Ourednik relate toutes les inepties dites sur telle ou telle ethnie, en démontrant à l'aide d'un contre-exemple l'absurdité de certaines théories, en confrontant les différentes opinions mises en place. Au final, on peut inéluctablement conclure par un « Quel gâchis !». L'auteur possède ce talent fou d'éveiller les consciences par un verbe haut, des phrases alambiquées et mêlées, reliant des anecdotes à des faits généraux. Et puis, il faut reconnaître certains passages très durs et brutaux (cf le savon allemand), d'autres plus inspirants : je vous laisse sur cet extrait relevé dans les pages 131 et 132.

«Plus tard les historiens ont classé les régimes politiques du vingtième siècle en trois catégories totalitaires et autoritaires et démocratiques. Les régimes totalitaires étaient le communisme et le nazisme et les régimes autoritaires les dictatures fascistes et fascisantes apparues après la Première Guerre Mondiale en Italie et en Espagne et au Portugal et en Bulgarie et en Grèce et en Pologne et en Roumanie et en Hongrie et en Estonie et en Lettonie etc. Les communistes disaient que le fascisme et le nazisme étaient la même chose mais la plupart des historiens ne partageaient pas cet avis et disaient que le fascisme était par nature universel et susceptible de s'implanter n'importe où en s'adaptant aussitôt aux conditions culturelles et historiques données tandis que le communisme et le nazisme étaient par essence inadaptables parce que la réalité des choses y était entièrement subordonnée à l'idéologie. Et c'était justement en quoi ils étaient totalitaires...».

Plus prosaïquement, je reste assez inquiète des nouvelles réformes de l'enseignement de l'Histoire en France. En considérant que les élèves de Première n'ont besoin que de 10 heures pour comprendre les deux guerres mondiales et en excluant l'ordre chronologique (puisque le totalitarisme n'est plus abordé à ce moment-là de l'étude mais bien après, à l'occasion d'un autre bloc de 10 heures), j'émets de sérieux doutes sur la bonne compréhension par la jeune génération des faits passés et le manque induit de connexion entre ces trois pôles.


Moralité : restons vigilants, défendons notre modèle démocratique aussi imparfait soit-il, retenons les faits passés, lisons et échangeons pour ne pas oublier !

145 pages remarquables.


Traduction de Marianne Canavaggio

Livre reçu et lu à l'occasion de l'opération Libfly/Un éditeur se livre Les éditions Allia que je remercie infiniment pour ce très beau cadeau.

voici l'avis de ma Comète préférée : ici

évasion musicale  que je dois à Anis (merci infiniment) : We can work it out - Noa et Mira Awad
Nous avons le pouvoir de ne plus subir, de décider d'une autre destinée commune ensemble. Aidons-les, aidons-nous.

14 commentaires:

  1. Ouahhh ça a l'air passionnant ! Rassure-toi, ton billet fait très envie ! bises :-)

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    1. Bien, je vois ce qu'il me reste à faire (comme je te connais bien, j'avais prévu mais attendais ta réaction).

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  2. Tu as éveillé ma curiosité ! Je note cet ouvrage.

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  3. J'ai ce livre dans ma PAL et j'ai lu son dernier paru, "Classé sans suite". Je me suis tellement posé la question que tu exposes dans ton premier paragraphe que je n'ai pas fait de billet. Il aurait fallu que tout ça soit plus clair dans ma tête avant de pouvoir en parler, et c'est vraiment le genre de livre qui doit faire son chemin, être réfléchi et relu...

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    1. Tu donnes envie de lire, je pense que si tu juges que le livre est important alors en parler lui permettra une plus large assiette. Europeana mérite d'être défendu : le lire en devient quasi obligatoire. Visiblement à te lire et suite à un gentil message d'Anne, je crois que Patrick Ourednik tisse une œuvre plus qu'intéressante.

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  4. Une lecture trop "dure" pour moi en ce moment mais qui semble intéressante, je note pour plus tard.

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    1. C'est un livre salutaire : je suis vraiment heureuse d'avoir fait sa connaissance.

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  5. Je n'aime pas trop les essais mais je suis bien d'accord avec toi sur l'analyse !

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    1. Je commence à apprécier les essais même si je doute de mon intelligence à bien les comprendre.

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  6. Ton billet est d'un bel enthousiasme; il faut conserver je pense les valeurs de l'humanisme ! Merci.

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    1. Merci, Anis : ton blog fait partie des blogs humanistes !

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