Les eaux tumultueuses - Aharon Appelfeld ****

Tous les étés, le couple Zaltzer reçoit dans sa pension de Fracht des touristes à dominante juive, parfois fortunés, assurément addicts aux jeux de hasard et à l'alcool, dépouillés en fin de séjour mais suffisamment heureux pour revenir. Pourtant ce mois de juin-ci, la clientèle se fait attendre. Seule, Rita Braun, trentenaire divorcée, affublée de son fiston inquisiteur de dix-sept ans (Yohann, parfait surveillant des consommations dispendieuses maternelles, synonymes de dilapidation d'héritage) guette les arrivées de train. La survenue du trio formé par l'élégante Zouissi, son éternel prétendant Van et le bel intellectuel au talent gâché Benno Starck calme passablement l'inquiétude mais ne cache en rien la question : que font où sont les autres ?

Voici un texte inspiré et construit sous forme métaphorique : l'omniprésence de la mort annoncée par les absences physiques (ce qui ne se voit pas n'est plus), une catastrophe naturelle (le débordement du fleuve contigu), une noyade ou la déliquescence de cette pension familiale où respirait une once de gaieté avant (alcool frelaté, plus de confiance, un crédit désaccordé et un serveur virulent, Vassil, sorte de père-la-morale religieux). Avant quoi, justement ? L'auteur Aharon Appelfeld a cette intelligence de propos de ne jamais dater son récit, de laisser la conscience collective faire son boulot de mémoire. Ces trains si remplis de paysans et si vides de résidents en rappellent d'autres plus fournis malheureusement à destinations morbides ou ceux de l'espoir d'une terre promise (la fuite vers la Palestine). Autre élément physique déterminant : les eaux du fleuve perturbent la quiétude du séjour et menacent la survie du groupe. 
Dans ce recueillement, chacun laisse planer ses pensées, son histoire familiale et ses nombreux chemins de traverse. Tout est matière à discussion et en particulier l'appartenance à la communauté juive.  Entre les pourfendeurs d'une vision idyllique de la foi (la gouvernante Maria, Ruthène de nationalité ou bien Vassil, exaspéré par ces résidents alcooliques et foncièrement xénophobe) et les vacanciers décidés d'en profiter et de s'oublier, les échanges et les joutes verbales s'accumulent. Tous présentent un mal-être, une discontinuité : Yohann qui aimerait bien que sa mère devienne plus adulte que lui-même, Rita en rêve d'un avenir meilleur et sous d'autres auspices, Benno en recherche de reconnaissance maternelle (malgré son grand âge), Zaltzer attaché à son domaine et pressentant déjà l'inimaginable,  etc. Dans ce monde-là, les servants et les enfants présentent plus de réflexion que les pensionnaires, inversant l'échelle des catégories sociologiques. Les eaux tumultueuses, un univers en déshérence, les prémisses du déluge de l'apocalypse.

Traduction de Valérie Zénatti
Je remercie Libfly et les éditions de l'Olivier pour l'envoi de ce livre.

Ce roman fait l'objet d'un très bel article rédigé par Dominique Conil sur Médiapart, recensé sur Libfly : ici

et un de plus pour les challenges d'Enna (boisson), d'Une Comète et de Nadael (été) 



38 commentaires:

  1. Voilà un auteur noté sur ma LAL depuis longtemps (et avec plusieurs titres :0) Il serait temps que je le découvre enfin (mais bon je dis ça de tellement d'auteurs, il y tant à lire et pas assez d'heures dans une journée ;0) Bisous Philisine, bonne semaine

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    1. Je ne le connaissais pas avant qu Libfly me propose de recevoir ce titre contre critique. Bises

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  2. Le thème de ce livre-ci ressemble beaucoup à "Baddenheim 1939" que j'ai lu récemment. Ayant assisté à une rencontre avec l'auteur il y a une dizaine de jours, la question lui a été posée du pourquoi le même thème pour deux livres. Hélas, il n'a pas eu le temps de répondre.

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    1. Oui, les thèmes qui ressortent de Les eaux sont l'appartenance à la religion juive, l'histoire de ce peuple (et en particulier l'horreur de la Shoah et la sensation d'apatridie), une référence métaphorique aux contes, et aussi l'alcoolisme (très fort ici : un sujet qui concerne l'auteur ou l'a concerné ?). Certains écrivains passent leur existence à réécrire un même livre (sous différents angles). Il en fait peut-être partie, histoire d'expurger sa profonde peine et sa grande souffrance.

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  3. De l'auteur j'ai lu et beaucoup aimé "histoire d'une vie", un roman autobiographique. Je lirai certainement autre chose un jour ou l'autre.

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    1. Il écrit bien. Il travaille sur le quotidien et sa monotonie pour révéler davantage sur nous-mêmes.

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  4. Je lirais bien à nouveau Appelfeld mais ce titre-là ne me tente pas trop.

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    1. Pas de problème, Sandrine. Tu as souhaité retrouver ton vrai prénom et abandonner Ys ?

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  5. Un auteur que je ne connais pas mais peut être pas tout de suite je n'ai pas envie de mal être avec ce printemps en manque de soleil.

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    1. Ce n'est pas une lecture plombante mais assurément pas gaie.

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  6. Je ne pense pas le lire un jour. C'est le sujet qui me dérange. Des époques que je ne lis jamais.
    Bonne semaine Philisine !

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    1. Contrairement à toi, les guerres m'intéressent. Je ne les recherche pas mais j'ai besoin de comprendre et d'établir ce travail de mémoire.

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  7. Je ne note pas pour le moment, je vais attendre un peu histoire d'alléger ma pal LOL
    Bonne soirée ma Phili gros bisous

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    1. surtout que ta PAL s'alourdit de jour en jour, divine chanceuse ! Bisous

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  8. En tout cas, ce récit semble très attachant.

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  9. J'ai envie de découvrir cet auteur mais dans une période plus calme ! Tu nous as fait un bien beau billet, bonne semaine Phili de mon coeur !!! :)♥

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    1. Merci, mon Aspho : comment vas-tu ? (je sens très fort que je vais smster tout prochainement).
      Pour l'instant, de la joie, de la gaieté littéraires pour toi !

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  10. Un auteur inconnu mais tu me donnes bien envie d'aller regarder sa bibliographie de plus près.

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    1. Je peux t'envoyer le livre si tu veux ! Tous mes livres sont voyageurs, n'hésite pas.

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  11. Une excellente chronique, tentante en diable.je note, ma PAL s'effondre mais tant pis.

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    1. Merci, Pyrausta, tu es gentille : ta PAL s'effondre en raison d'une lourdeur soudaine, c'est cela ?

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  12. J'ai lu "histoire d'une vie" et j'ai aimé me semble-t-il.
    Je te fais des bisous et te remercie pour ta participation !

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  13. Première fois que j'entends parler de cet auteur... ( honte à moi!)

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    1. Enfin, il est arrivé, l'auteur que tu ne connais pas et que je connais : YES !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! et bises

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  14. c'est un auteur exceptionnel à lire absolument

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  15. Moi j'aime la singularité de cet auteur, de cet ouvrage se dégage une certaine mélancolie et j'apprécie sa fine analyse de notre société.

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    1. Oui, d'une certaine façon, il répond à la problématique de la perte de repères : comment se construire, autre que par la foi ?

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  16. Un beau billet, je retiens le nom de cet auteur...

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    1. merci, Nadael : son écriture est inspirée en tout cas.

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  17. Bonsoir Philisine Cave, et bien moi, j'ai du mal à le lire. Je l'ai laissé un peu de côté. Je n'"accroche" pas du tout à l'histoire, désolé. Mais je le reprendrais sûrement. Bonne soiré.

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    1. Tu as le droit de ne pas aimer et c'est aussi bien que tu en parles : il y a une monotonie dans ce livre qui représente le quotidien parfois routinier de la vie. Bises

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  18. Sûrement magnifique, mais pas gai gai, non ?

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    1. Bien écrit, tout en nuances, beaucoup de subtilité en fait mais en effet, très désenchanté. Bisous

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  19. Je suis sur plusieurs forums littéraires et j'ai entendu beaucoup de bien de cet ouvrage, je pense que je vais me le procurer.

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    1. C'est un livre intéressant dont l'atmosphère dissoute ressemble à celle de Les autres, un film superbe d'Alejandro Amenabar : le thème principal (l'attente) y est aussi bien exploité ainsi que cette frontière entre réalité et fiction tangible. La comparaison s'arrête là car les deux intrigues divergent fondamentalement (même s'il est aussi question de guerre).

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