BD - Cycle Guy Delisle # 2 : S'enfuir, récit d'un otage ****

J'avais peur au cours de la lecture de S'enfuir, récit d'un otage, que l'ennui me prenne tant les journées du narrateur se ressemblent. Mais en fait, non, je me suis prise d'empathie pour cet otage, j'ai enduré dans ma tête ce qu'il vivait et j'ai tourné les pages avidement, pressée d'en savoir plus.
Deux conclusions :
1) le narrateur -Christophe André, otage en Tchéchénie, est une forte personnalité : respect le plus total !
2) On ne m'avait jamais dit que l'énumération des batailles et des maréchaux bonapartistes pouvait sauver de la folie et aider au décomptage des journées de détention.
Christophe André nouvellement recruté par Médecins sans Frontières débute une mission à Nazran en Ingouchie. Au cours d'une nuit de garde, il est enlevé par un groupuscule tchéchène. S'en suivent de longs jours, très longs jours de détention, sans perdre l'espoir ni la notion de temporalité (grâce à l'Histoire) ! 

Dans S'enfuir, Guy Delisle sert de scribe et s'efface pour un autre. Chaque journée de détention est rythmée par les deux moments de repas, parfois perturbée par des intrusions intempestives de voisins ou bien des "obligations" (prise de photographie, appel téléphonique, douche tous les quinze jours, petit tour quotidien aux toilettes dans un premier temps, plus rudimentaires dans un second). 

Ce qui se dégage de S'enfuir, c'est la volonté extraordinaire du captif : à aucun moment, Christophe André ne montre de faiblesse, ne sympathise avec l'ennemi repéré par un couple de ravisseurs (le grand et Thénardier). Pire -par inconscience ou par témérité-, il encourage ses camarades à ne pas céder à la demande de rançon au détour d'un appel téléphonique. À aucun moment, il ne perd espoir, certainement motivé par l'amateurisme de ses ravisseurs (un temps accessibilité d'une kalachnicov ; un autre, oubli de le menotter)! 
Aussi douloureuse soit cette détention (notamment savoir combler le vide), Christophe André n'a pas souffert de maltraitance physique, uniquement de faim, d'ennui et de solitude (ce qui est déjà beaucoup). Les traumas sont avant tout physiques (apprendre à remarcher après tant de temps passé au lit) et psychologiques (alternance d'espoir de libération -avec les nombreux déplacements - et de dépit lorsque rien ne se passe, absence irrémédiable à une célébration familiale d'exception).

Dans S'enfuir, Guy Delisle nous fait vivre tout cela : il n'y a pas de super héros, juste un humain qui vit une expérience éprouvante et douloureuse, aidé ensuite par d'autres humains (parce que s'il y a une leçon à retenir, c'est bien celle-là : il faut malgré tout apprendre à faire raisonnablement confiance) au péril de leur vie et de celle de leurs proches.

Dans S'enfuir comme dans la vraie vie, les autres victimes des ravisseurs sont les populations souvent affamées, malnutries et en demande, qui subissent l'abandon des territoires par les ONG à la suite de nombreux kidnappings. 

À la mode de ma copine Alex, plein d'images restent après cette lecture, en particulier :
1) le cliquetis de la menotte et le poignet en souffrance
2) le décompte des jours et l'abécédaire napoléonien (avec une dernière image juste fabuleuse : la boucle est bouclée !)
3) les bruits de vie et les mots dits/maudits qui scandent la journée
4) un otage qui réfléchit tout le temps et fait preuve de belle maîtrise.
5) les petits extras appréciés (tantôt un bout de viande, tantôt l'ail qui fait planer !)
6) des clés-trophée qui mènent à un coffre bien caché ! 

Avec des textes courts et mesurés et des images en gris bleuté, Guy Delisle réalise un sans-faute : il ne dénature pas le récit et laisse toute la place à qui le mérite.

Un très bon moment de lecture qui m'a ravie. À lire absolument.

Éditions Dargaud

Emprunté à la bibliothèque 


PS : En refermant S'enfuir, je me suis dit que je ne n'aurais jamais aussi bien tenu, de façon aussi forte. Je n'ai pas cette capacité de résilience, de résistance. Je me sais faible et j'aurais certainement sombré.

Du même auteur :
Pyongyang (lu mais non chroniqué)  

10 commentaires:

  1. A lire et relire, quel livre! Oui, on se pose des questions sur ce qui nous ferait tenir?

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    1. Oui c'est une BD qui nous retourne beaucoup de questions et j'aime les œuvres qui dépassent l'histoire qu'elles racontent et font réfléchir leurs lecteurs.

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  2. J'ai cru que je m’ennuierai à la lecture de cet album. Et bien pas du tout. Un très bon souvenir de lecture.

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  3. Indispensable en effet cet album !

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  4. C'est avec cet ouvrage que j'ai découvert l'auteur. J'en ai lu d'autres depuis, mais pas tous encore. J'avoue avoir plus de souvenirs de ses Chroniques birmanes que de cet ouvrage ci, que j'avais pourtant bien aimé.

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    1. J'ai préféré les Chroniques de Jérusalem aux Chroniques birmanes, même si ces deux opus font partie du très bon.

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  5. Je l'ai retrouvé sur ma PAL, il y a quelques jours. Je pense le lire bientôt

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