Mon très cher comité de lecture proposa dans sa nouvelle sélection, Les derniers jours de Stefan Zweig. Étant une fan absolue de cet auteur, je ne fus pas longue à me décider. Résultat : j'ai bien aimé !
Laurent Seksik a effectué un travail de recherche impressionnant pour tenter d'expliquer cette partie de vie de l'auteur autrichien et les raisons de son suicide. Stefan Zweig a fui l'Allemagne nazie en compagnie de sa seconde épouse Lotte Altmann (Lotte, pour certainement Charlotte, son deuxième prénom). Véritable apatride mais dont on rappelle à chaque nouvel exil sa nationalité compromettante (il n'est pas bon d'être né autrichien lorsqu'on se réfugie en Angleterre par exemple) et malgré la raison de sa fuite : l'envie de survivre lorsque la judaïcité est considérée comme un «délit» menant à la mort en Allemagne, en Autriche, en Pologne et bien sûr en France ! Dans cette apnée stéphanoise au Brésil, on le découvre morbide, sinistre, empreint d'un sentiment de culpabilité de vivre et d'impuissance face à l'horreur alors que d'autres meurent en masse (il découvre que les villes comme Varsovie et Vienne «se vident» de leur communauté juive), entouré d'intellectuels fidèles (Bernanos et surtout, Ernst Feder, d'une très grande lucidité sur le devenir de son ami, annonciateur avant l'heure de son destin tragique), tout aussi déprimés par cet éloignement géographique choisi mais non désiré.
On constate à quel point son œuvre et lui-même furent en interconnexion jusqu'au bout: son essai sur Kleist dont la fin de vie reste une copie conforme de celle de Zweig, (page 159 Feder à Zweig « Tu ajoutes, si mes souvenirs sont bons, qu'il fut le plus grand poète d'Allemagne parce que sa fin fut la plus belle. Tu sublimes sa mort... Rassure-moi, lorsque tu écris que sa mort est un chef d’œuvre , c'est un effet de style ?»), son héros Jérémie etc. Et puis, même à Pétropolis près de Rio, arrivent les lettres de menace (page 139 :«Nous t'avons retrouvé. Nous allons te crever, toi et ta chienne juive»), le sentiment d'oppression et la chute de Singapour : nous sommes le 17 février 1942.
Au cours du récit, se dessine pour moi la plus grande réussite du livre, celle qui l'aurait fait basculer dans l'excellence si elle avait été mieux exploitée : le personnage de Lotte ! Magnifique, soumise, complexe, d'une intelligence rare et d'une grande finesse, elle aspire à vivre quand son sexagénaire de mari (ils ont 25 ans d'écart) s'enfonce dans les abîmes. Ils s'aiment malgré l'omniprésence intellectuelle de la première femme de Zweig, Friderike, celle qui a vu son homme partir pour une plus jeune, sa secrétaire, celle qui a fait le choix de vivre et d'espérer à New-York. Ce livre, très porté sur son héros masculin, est éclairé par ses beaux personnages féminins : quel dommage de ne pas l'avoir autant exploité ! On serait sorti d'une biographie abrupte pour accéder à une fiction plus raffinée et toute aussi plausible. Le style de l'auteur y aurait gagné en fluidité et perdu en démarche quasi-chirurgicale.
Malgré ce défaut, la lecture de ce livre nous rappelle les horreurs de la guerre, une piqûre indispensable pour haïr et hurler face aux «détails nauséabonds» de certains dirigeants politiques français, pour ne pas oublier la compromission de nos peuples face à ce génocide.
La dernière scène est tout simplement magnifique : ce mercredi 22 février 2012, nous en fêterons le soixante-dixième anniversaire.
Éditions Flammarion
emprunté à ma biblio chérie (mais cela, je pense que vous l'aviez deviné)
évasion musicale : Set fire to the rain - Adele
Éditions Flammarion
emprunté à ma biblio chérie (mais cela, je pense que vous l'aviez deviné)
évasion musicale : Set fire to the rain - Adele
J'ai été une grande fan dans ma jeunesse; j'ai pratiquement tout lu. Stefan Zweig est proche des femmes, même s'il y a fort à parier qu'un caractère comme le sien devait être un peu narcissique. J'aimerais bien en savoir plus. Je connaissais bien sûr cette histoire de suicide mais je ne savais presque rien sur ses compagnes.
RépondreSupprimerMon rappel sur les femmes qui ont compté dans sa vie est un message subliminal que je t'ai adressé (au vu de ta chronique sur le club des incorrigibles optimistes)
SupprimerBonsoir :-) admiratrice absolue de Zweig, tout comme toi. j'ai lu ce livre très sombre il y a quelques mois... D'une tristesse infinie mais très intéressant, j'ai trouvé. J'ai été touchée aussi par le personnage de Lotte et la dernière scène du livre est magnifique, je suis bien d'accord.
RépondreSupprimerMerci pour ce beau billet.
Merci à toi, chère Comète (en ce jour d'envol de la petite fusée Vega, ta venue est d'autant plus appréciée). Merci pour tes mots : j'aime ce livre vraiment, pour l'histoire personnelle qui raconte, pour l'universalité qu'il rapporte, malgré le style si loin de celui de notre Stefan adoré !
SupprimerC'est le genre de livre qu'il faut lire en connaissant bien les oeuvres de l'auteur dont il est question, non ? J'ai lu Zweig il y a trop longtemps et trop partiellement...
RépondreSupprimerParallèlement à la fin de sa vie, on voit ses objets de création (en particulier Le joueur d'échecs, 24 heures dans la vie d'une femme). Si on a lu déjà Zweig, cette temporalité éclaire l'ambiance de chaque œuvre. Si on n'a jamais lu Zweig, on a juste envie de le découvrir comme humain, comme intellectuel et puis certainement comme romancier génial (là, en ce moment, il me tarde vraiment de lire 24 heures dans la vie d'une femme !). Merci pour ta remarque, chère Ys.
SupprimerMerci pour tes réponses du tag ! Mais on ne peut pas laisser de messages dans ta catégories émois !!! bizzzz
RépondreSupprimerOui, je sais ! je te sens un chouïa déçue, me trompe-je ? Tu peux le rajouter à cette page si tu le veux ! merci encore pour hier, c'était super !
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