Ásta - Jón Kalman Stefánsson *****

Je dois la lecture d'Ásta à Jérôme et à Céline par leurs chroniques motivantes. J'ai débuté Ásta, ai lu 100 pages puis l'ai abandonné momentanément parce que ma concentration n'était pas suffisante. J'ai eu besoin de lire des BD, d'autres romans plus légers ou bien de narration plus linéaire. J'ai repris Ásta et je l'ai dévoré... définitivement.

Le résumer ou du moins aborder ne serait-ce qu'une amorce d'histoire n'est pas simple. Ce n'est pas l'émotion qui gêne, c'est plutôt l'efficace et tortueuse construction narrative qui pourrait pâtir de mon trop pâle résumé.

Ásta est un roman islandais géant :
  • de par ses personnages fabuleux foncièrement humains, emplis de désir, bruts de naturel, êtres primaires et charnels, flirtant avec la folie et la poésie, vivant à cent à l'heure et sans arrêt, vivant tout court et parfois inquiets du lendemain.   
  • de sa construction anguleuse, difficile à suivre et qui nécessite une forte concentration (au moment au début, le temps que le cerveau mette tout en place) où les souvenirs de différentes époques et décrites par différents protagonistes et les allers-retours qu'ils imputent constituent un mille-feuilles littéraire où se superposent également récit linéaire, lettres, monologue, séparés par des citations ou de sous-titres.
À travers Ásta, une vision de l'amour et du couple s'affronte : passionnée chez Sigvaldi-Helga, tendre et peut-être plan-plan chez Sigvaldi-Sigrid, tendre et en latence chez Ásta-Josef. À partir de ces trois paires, d'autres se forment : chaque protagoniste n'est là que pour révéler davantage la nature soit d'Helga (la mère) soit d'Ásta (la fille). 

Ásta est un roman ambitieux, un classique parmi les contemporains, foncièrement féministe où l'homme aimant (Sigvaldi, Josef, Gudjon) plus en retrait, plus à la merci de sa compagne apparaît dans toute sa fragilité : fragilité face à des comportements psychotiques, fragilité dans ses sentiments, fragilité à affronter le quotidien et la perte. Jón Kalman Stefánsson offre deux héroïnes solaires : Helga et Ásta, celles qui font tourner la tête, celles qui la perdent aussi un peu par les drames vécus, les traumas, les envies et la violence. Les seconds rôles ne sont pas oubliés et sont mis à profit : quand l'une est défaillante en maternité, l'image de la nourrice ou de la seconde mère est renforcée. Dans Ásta, tout est question d'équilibre.
Dans cette fresque, les changements d'époques sont aussi l'occasion d'aborder différents territoires : d'abord l'Islande avec la quiétude rurale comme mise au point/nouveau départ/ source de tous les apprentissages, et avec la frénésie urbaine pour la survie/la liberté des corps/la débauche, l'Europe comme exil salutaire.

Ásta
  • un roman bouleversant par ses personnages attachants et dignes,  où une lettre d'amant éconduit trouve sa source dans la litote
  • un écrit difficile d'accès dans un premier temps par une construction emberlificotée (reconnue par l'auteur avec son "J'espère que vous vous en souvenez..." - page 453- supplique adressée à son lecteur, qui n'est pas forcément un bon signal et est peut-être due à un conseil après relecture) 
  • mais également puissant pour ce que cette construction génère et met en lumière : le tourbillon de la vie où le passé et le présent se percutent constamment, façonnent les êtres, expliquent les comportements.    

Au-delà de l'histoire (ou des histoires), il y a une prose intéressante et punchy, liée à l'écriture de l'auteur Jón Kalman Stefánsson mais également à l'excellence de la traduction faite par Éric Boury.

page 207 : " Pour tromper le monde, je m'habille avec élégance chaque fois que je sors. J'allume mon sourire. Je maquille un peu ma tristesse puis je mets mes lunettes de soleil pour que personne ne remarque ton absence au fond de mes yeux. "

page 230 (merci Bernhard !) : " « En août, la clarté matinale est presque granuleuse, elle n’a plus l’assurance qu’elle avait en juillet, et moins encore celle de la lumière éclatante de juin. Elle porte en elle un soupçon de ténèbres et de fin qui, chez certains engendre mélancolie et force à la sincérité. C’est peut-être pour ça que Josef sourit si souvent à Ásta ce matin-là, il va même jusqu’à lui dire, ou plutôt, ces mots lui échappent alors qu’ils sont tout près l’un de l’autre, occupés à rentrer le foin dans la grange : tes cheveux sont si beaux au soleil. »

page  262 : " Il est plus facile de vivre en baissant les yeux. L'ignorance vous rend libre alors que la connaissance vous emprisonne dans la toile de la responsabilité. "


Éditions Folio 
Excellente traduction d'Éric Boury
autour de 480 pages.

Autres avis sur ce roman exceptionnel (qu'il faudrait relire pour rassembler tous les pièces du puzzle) : Jérôme, Céline, Alex, Bernhard, Moka, Athalie, Eimelle, Hélène, Karine

24 commentaires:

  1. Un auteur que je veux découvrir depuis un bon moment, mais ce n'est toujours pas fait.

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    1. Si tu veux, je t'envoie et t'offre mon exemplaire poche ! Bises

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    2. Merci Phili, c'est très gentil, mais il est à la bibli (j'en fréquente deux assidûment) et les frais de port sont devenus honteusement prohibitifs :-(

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    3. Ok ! Je vais l'offrir à mon kiné. On a parlé littérature et je pense que ce roman va lui plaire.

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  2. J'i été moins convaincue que toi, au final, même si j'ai apprécié la construction narrative et les deux personnages féminins. Il m'a manqué un arrière plan plus stable. le personnage du romancier par exemple, flotte un peu dans l'ensemble.

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    1. Le personnage du romancier flotte un peu mais il permet de poser un regard objectivé sur les événements -ce que ne font pas les autres protagonistes car trop impliqués-. De plus, il laisse la place à tous les autres qui le méritent. Sa place est finalement essentielle dans la construction de l'histoire mais n'est en effet pas principale, à raison selon moi.

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  3. Je ne connais pas du tout mais tu me donnes envie de découvrir ce livre :)
    Bonne journée

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    1. J'espère que tu aimeras. Bonne journée à toi aussi.

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  4. Lu en 2018 - et je suis ravi que tu sors finalement ravie. Notre Club de Lecture (Shadow Cabinet) lui a décerné le 2e rang dans le "Prix Shadow International 2018" (tzzzz). Moi j'ai adoré l'éclatement du récit.... mais c'est vrai, il faut être en forme et concentrable. J'avais cité dans mon blog la phrase suivante : « En août, la clarté matinale est presque granuleuse, elle n’a plus l’assurance qu’elle avait en juillet, et moins encore celle de la lumière éclatante de juin. Elle porte en elle un soupçon de ténèbres et de fin qui, chez certains engendre mélancolie et force à la sincérité. C’est peut-être pour ça que Josef sourit si souvent à Asta ce matin-là, il va même jusqu’à lui dire, ou plutôt, ces mots lui échappent alors qu’ils sont tout près l’un de l’autre, occupés à rentrer le foin dans la grange : tes cheveux sont si beaux au soleil. » (p. 232 - hardcover)

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    1. Magnifique citation et magnifique couple (mon préféré,un couple pour moi anthologique). Quel bonheur de voir ton passage ici et d'avoir si bien rédigé cette citation. Je la colle sur mon post en te faisant honneur bien sûr ! Et vais chercher de suite le lien vers ta chronique. Mille mercis, Bernhardito, vraiment !

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  5. Jérôme l'adore je sais - moi non ! j'avais déjà tenté avec son précédent roman et le style ne passe absolument pas. Mais bon, il n'a pas eu besoin de moi et ravie qu'il trouve autant de fans !

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  6. As-tu rédigé une chronique sur Asta parce que je ne l'ai pas trouvée ? Merci de ton passage et de ton commentaire.

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  7. Un auteur à découvrir, un de plus !! Ta chronique dithyrambique me donne à croire que je pourrais apprécier

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  8. Je suis ravie que tu l'ai aimé autant que moi.

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  9. Comme toi, les billets enthousiastes des deux zigotos m'avaient amené à le stocker... mais je ne l'ai toujours pas lu. Une erreur, si je t'ai bien comprise ;-)

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    1. Il y a tellement à lire que tu peux attendre pour Asta. Mais, si un jour tu es en panne de lecture et s'il te tarde de faire la rencontre d'un écrit étoffé, riche de jolis mots (et je te sais sensible aux citations), qui t'évade et t'accompagne pendant un long moment avec ses deux héroïnes solaires alors Asta sera là pour toi !

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  10. Ce roman, cette héroïne, je les garde précieusement en moi...

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    1. Asta est un roman hyper équilibré en genre où les hommes (principaux interlocuteurs) laissent une large place aux femmes. C'est un roman très intelligent, à la construction certes alambiquée mais hyper structurée,...du grand art !

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  11. Je l'ai repéré au moment de sa sortie mais l'occasion ne s'est pas présentée pour encore.

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    1. Je pense que ce roman te plaira, il en a toutes les qualités.

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  12. Stefansson est mon écrivain actuel préféré, vraiment. La tristesse des anges est par exemple le plus beau roman que j'ai lu ces 10 dernières années.

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    1. Le titre est sublime, je le note d'office. Merci du conseil.

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