Les Impatientes prête la voix à plusieurs histoires féminines qui ont comme dénominateurs communs : le mariage arrangé, l'amour non choisi, la polygamie. C'est remarquablement bien écrit avec des dialogues nombreux et percutants, une traversée dans l'âme féminine dans toute sa complexité qui cherche à survivre à l'ultra-domination masculine. L'autrice, Djaïli Amadou Amal, ne nous épargne rien et pourtant n'approche jamais le gore. Elle dévoile toute la violence faite aux femmes : un statut humain de seconde zone, une aliénation au (futur) mari, parfois les coups (pour ne pas dire le pire), souvent l'humiliation -notamment lorsque l'époux prend une autre épouse qui devient à la fois "une sœur", "une fille" et surtout "une rivale" pour la première élue (la daada-saaré). Objets de reproduction et de satisfaction sexuelle, ces femmes cimentent la concession. On leur reproche les coups qu'elles reçoivent, les colères de leur mari, leurs mésententes. On nie leur désir, leur caractère, leur personnalité, leurs envies et d'une certaine façon leur humanité. On leur chante les louages de munyal (la patience) pour aplanir les méfaits de leur compagnon, alors qu'elles ne font qu'exprimer un droit humain à disposer de son intégrité physique, mentale et morale et à la faire respecter. Ce système les rend soit perverses (parce que nuire devient un moyen de sauvegarder une place chère dans le foyer fortuné) soit complètement à côté de leur vie : certaines se perdent, d'autres font face. Les Impatientes est un plongeon dans un abîme ancestral, réservé aux aisés, ceux qui peuvent subvenir aux besoins de plusieurs foyers.
Je n'étais pas complètement motivée à lire ce roman, je l'ai acheté suite à des superbes critiques de blogocopines lues ici et là. La première de couverture que j'aime particulièrement a été aussi un argument de ma lecture, le prix littéraire (Prix Goncourt des Lycéens 2020) qu'a reçu cette œuvre également.Je suis ressortie de cette lecture, complètement happée par les histoires, les ambiances, les itinéraires de vie décrits. Je suis ressortie de cette lecture aussi, bouleversée en me disant qu'on en était encore loin d'une condition féminine enfin respectée.
Bref, Les Impatientes mérite réellement le détour pour le chant choral que cette œuvre propose, pour cette plongée dans une société avec ses rites, son phrasé, ses mots, pour cette ambiance de chaleur et de torpeur, pour son discours politique. Djaïli Amadou Amal est assurément une conteuse à retenir.
Éditions Emmanuelle Colas
Je l'emprunterai à la bibliothèque après l'été.
RépondreSupprimerIl est fort ce livre ... il m’a impressionnée
RépondreSupprimerDes femmes que l'on n'oublie pas.
RépondreSupprimerIl est dans ma pile à écouter...
RépondreSupprimerSon tour viendra.