BD : Soupe froide - Charles Masson ****

Je suis ressortie de la lecture de Soupe froide de Charles Masson, bouleversée. Je m'y attendais, l'auteur et Martin Winckler qui a assuré la préface préviennent suffisamment. Le héros, SDF en errance, n'est pas franchement sympathique, il n'est pas non plus antipathique, il est juste, lui : humain. Soupe froide raconte son périple, sa fuite d'un foyer après une soupe froide servie par une infirmière, une soupe froide considérée comme un affront de plus, un affront de trop. Alors il s'en va et il se remémore son passé, son ex-famille (celle qu'il a construite tout en reconnaissant sa négligence, celle qu'il a connue petit où il a été négligé), son existence de SDF, ses copains de fortune, ses rencontres avec le monde médical (souvent hospitalier). Soupe froide laisse entendre la voix de Roger Blanchis, 48 ans, héros malgré lui, cumulant les mauvais choix de son existence et les mauvaises nouvelles, et jurant au possible (ça, pour cela, il jure) d'être complètement incompris (tout en reconnaissant sa part de responsabilité).

On pourrait s'ennuyer de ce long monologue s'il n'était pas intelligemment orchestré par son auteur, médecin ORL de première profession. Les évocations de Roger sont illustrées par la vie en temps réel des protagonistes suggérés par le SDF : on visualise le décalage ou l'accord entre ce qu'il dit et ce qui se déroule réellement. Cette perspective du texte et de l'image met un rythme à la lecture, en lui donnant justement le double spectre. 

Dans une postface, Charles Masson s'excuse de son graphisme peut-être plus primaire que celui d'autres dessinateurs. C'est vrai que son trait de crayon, noir sur blanc, est peut-être l'unique maillon faible de cette œuvre remarquable mais il n'en a absolument pas découragé ma lecture. Il m'a permis de visualiser parfaitement les contours, les relations humaines, notre condition humaine ; il a renforcé le discours : l'auteur ne juge pas, il ne défend pas, mais il rend hommage à ces oubliés de notre société, qui ont gardé leur fierté.  

J'ai beaucoup pensé à Construire un feu de Chabouté en lisant Soupe froide. Cette association d'idées vient du fait qu'on est en face de deux solitudes dans un froid hivernal, avec l'évocation d'un chien.

Une lecture essentielle (au sens propre comme au figuré).

Editions Castermann

Emprunté à la bibliothèque

2 commentaires:

  1. J'en vois tant de ces hommes dans les rues de ma ville, certains depuis des années .. je vais voir si cette BD est à la bibliothèque.

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  2. C'est une des lectures que j'aimerais faire depuis un moment. Ton billet me donne bien envie d'enfin sauter le pas !

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