Voilà, je dois la lecture du tome 1 de la série Vernon Subutex à moi-même et aux avis dithyrambiques des blogocopains et blogocopines. Je ne sais pas si à l'heure actuelle je lirai la suite : je vous avoue que je suis bien tentée mais les séries n'ont jamais été ma grande passion (à part Harry Potter et les lectures de mon adolescence) et j'ai peur de l’essoufflement. Même si les copains et copines disent le plus grand bien des autres tomes, je me laisse le temps de la réflexion (mais pas trop quand même, car j'ai l'art d'oublier vite et là, vue la galerie de portraits, il faut s'accrocher !). J'ai lu Vernon Subutex en connaissant un peu la prose de Virginie Despentes (je ne partais pas en terre inconnue -Apocalypse bébé avait servi de baptême- même si avec cette auteure en constant renouvellement, on ne sait jamais à quoi s'attendre).
En fermant le bouquin, j'ai hésité entre le très très bon et l'excellent. Je ne sais pas si je garderai trace de cette lecture, je n'ai pas retenu une image mais le chemin de vie d'un homme, comme ceux que je croise dans la rue (dans toutes les rues... parce qu'à part certaines communes qui s'évertuent à sortir les pauvres de leur centre-ville, il faut être aveugle pour ne pas voir la misère qui nous entoure. Cela me tourne le cœur à chaque fois -et je suis aussi lâche de ne rien entreprendre pour que cela aille mieux-, notre société va mal -et il n'y a pas que la française, je ne vous rassure pas ! C'est l'avantage des voyages, ils vous maintiennent bien éveillé.e pour vous indiquer l'étendue de la pauvreté, l'étendue des dégâts du monde libéral qui s'évertue à flinguer toutes les protections sociales et l'ascension sociale à laquelle chaque être humain aspire et est en droit d'attendre, mais je m'égare... ou pas.)
J'ai fini Vernon Subutex sans avoir lu la biographie de l'auteure et il y a une chose qui m'a beaucoup interpellée : le manque d'amour ! (je reviendrai là-dessus en fin de chronique, si je n'oublie pas d'ici-là, en me relisant cela devrait le faire !). Je crois que je suis partie pour rédiger un avis plus copieux que les autres précédemment publiés, ce n'est pas dit qu'il soit nécessairement plus intéressant !
Image captée sur le site Babélio |
Vernon Subutex est un disquaire sur le déclin : son commerce a périclité, il survit difficilement d'aide sociale et son mentor qui lui paie ses fins de mois difficiles (loyers compris) vient de mourir. La descente aux enfers ne fait que commencer.
Écrites comme cela, les trois précédentes lignes ne donnent foncièrement pas envie de débuter la lecture du bouquin. Ce serait sincèrement dommage. D'abord parce que notre Vernon est un gars sympathique, sociable et qui a tout plein d'amis pour l'héberger le temps de sa galère. Mais notre Vernon a l'art et la manière de s'attirer les ennuis ou de les provoquer ou de fricoter avec les mauvaises personnes. Et du coup, son quotidien ne s'arrange pas !
Le récit de l'histoire n'est pas linéaire, ce qui le rend hyper passionnant et pas simple à suivre (dixit mon cerveau certes en vacances mais ramolli d'une cadence habituelle infernale). Il y a donc Vernon affable mais aussi tous ses copains, ex-amis, ex-concubines ou ex-parties de jambe en l'air (et son monde fornique à tout va. Je reconnais que lire Vernon Subutex m'a instruite sur l'univers trans, lesbien, gay et porno. J'avais pas mal de lexique à rattraper.) Il y a aussi l'énigme dans ce chemin de traverse car plusieurs personnes recherchent notre homme pour un trésor dont il n'a pas encore connaissance.
Après avoir parcouru les éléments biographiques (grâce à Wikipédia, mon meilleur ami) de Virginie Despentes depuis, j'ai le sentiment que l'auteure (je devrais dire autrice mais je déteste ce nom - je n'aime pas sa sonorité, il faudrait que je m'y fasse pourtant) y a narré sa vie, du moins a repris son parcours de vie pour y construire sa série. Il y a l'univers rock, l'underground, le crack, l'alcool, l'amour physique (et parfois sans issue... reprise de Serge Gainsbourg), il y a le monde LGBT, il y a le monde de la nuit et il y a notre monde (celui des laissés-pour-compte dont la colère justifiée dérive en sectaire politique, celui d'une conjugalité défaillante ou en déprime).
A la fin de la lecture de ce premier tome, il m'est venu deux remarques :
- la première élogieuse qui met en lien Vernon Subutex tome 1 à l'Assommoir d'Emile Zola (j'y vois plein de points communs : l'acuité du regard de chaque auteur sur leur monde, la société qui les entoure ; le déclassement social de leurs héros, leur chute continuelle également, la violence conjugale, les addictions en tout genre);
- la seconde (et j'en parle en introduction, ce qui prouve que même sans relecture, je suis capable de ne pas oublier) relève d'une remarque toute simple : Virginie Despentes ne parle pas d'amour, du sentiment d'amour. C'était déjà le cas dans Apocalypse bébé, et c'est aussi le cas dans Vernon Subutex #1. Peut-être le décrit-elle dans ses autres œuvres mais là, il n'y a rien. Il y a la rage, la colère, le désespoir, l'envie, le désir, la passion, le manque, l’exubérance, l'exagération mais il n'y a pas d'amour, il n'y a jamais d'amour. Il y a des coups de foudre, des coups tout court (parfois sulfureux, souvent douloureux), il y a une certaine cristallisation stendhalienne vitesse grand V (cinq jours maximum) mais il n'y pas pas de sentiment amoureux, ou du moins un ersatz, une représentation erronée de l'amour. Et je crois que sous son travers de fille-auteure décomplexée, il y a une vraie pudeur/une fêlure (et peut-être une difficulté littéraire et humaine) de la part de Virginie Despentes à exprimer ce qu'est l'amour, à le décrire, à en parler. Ou bien les deux livres lus d'elle ne s'y prêtent pas ? L'univers factice de Vernon Subutex #1 est rude pour les âmes sensibles, et violent tout court : chaque humain roule en pilote automatique, en fonction de ses besoins et de ses désirs ; l'impatience induit l'instabilité, la violence physique ou verbale et l'extrémisme. Les ébats corporels se résument souvent à des gestes, à de l'énergie, rarement à une fusion.
Il y avait une chose qui m'avait particulièrement énervée à la fin de ma lecture d'Apocalypse bébé : le style littéraire de l'auteure, qui abondait des "que", des "qui" et des "quoi" et je trouvais à l'époque que cela manquait singulièrement d'élégance. Là, dans Vernon Subutex #1, l'usage maîtrisé des différents registres par Virginie Despentes est impressionnant : par le style, par les mots employés (et parfois par le choc des tournures), on plonge dans un personnage, son âme, ses pensées, sa cohérence, son tout. Là encore, je me suis dit que Virginie Despentes serait une excellente comédienne (au moins dans la pensée, au-delà des gestes... avant de prendre conscience qu'elle a été et est réalisatrice de courts et longs métrages) pour réussir aussi brillamment à être en empathie (et empathie ne signifie pas adhésion) avec ses créations. Sa polyvalence artistique concourt à son talent de metteuse en scène. C'est tellement réussi qu'elle n'a pas besoin de nous seriner toutes les cinq lignes le nom de personnages pour le différencier des autres protagonistes.
Comme tant d'autres avant elle (Patrick Modiano, Annie Ernaux par exemple), Virginie Despentes s'est livrée dans Vernon Subutex #1 : elle y a dessiné son passé, ses angoisses, ses souvenirs, ce qui l'a construite, ce qui l'a détruite aussi et les a sublimés en atteignant l'universalité, pour nous remettre un premier tome 1 unique, riche qui en dit long sur notre présent. Je lui souhaite tout le bonheur du monde parce qu'il est clair que la vie ne lui a certainement pas fait de cadeau, qu'elle a morflé ; je lui souhaite de connaître l'amour simple limite ennuyeux et la douceur.
Sans contestation possible, Vernon Subutex #1 fait partie des classiques français : aussi précieux que fragile, aussi riche qu'indémodable. Exemplaire donc !
Éditions Le Livre de Poche
De la même auteure : Apocalypse bébé
Prête à lire la suite ?
RépondreSupprimerPas sûre... A voir.
SupprimerLis au moins le deuxième, il a des côtés moins rudes que le premier. Même s'il ne fait toujours pas dans la dentelle, c'est Virginie Despentes ! Ce qui m'intéresse le plus, c'est ce qu'elle dit de la société.
RépondreSupprimerIl y a d'autres auteurs contemporains qui s'attachent à parler de notre monde (Florence Aubenas, Olivier Norek, Michel Houellebcq par exemple). Modiano m'a habituée à l'inachevé et à ne pas savoir : du coup, je ne suis plus pressée de connaître la fin de mot de l'histoire. Donc on verra si je suis tentée par la suite ou pas.
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