Chroniques de Jérusalem - Guy Delisle *****

C'est toujours un peu compliqué pour moi de parler de la Palestine et d'Israël sans tristesse ni appréhension. Guy Delisle explique parfaitement la difficulté française à critiquer ouvertement certaines attitudes d'Israël (la construction d'un autre mur de la Honte, l'implantation de colonies sauvages sur le territoire palestinien en dépit des accords de démantèlement et en contradiction avec  la loi internationale qui ne reconnaît pas leur existence), certainement due à l'impossibilité de mon pays à faire le bilan de la seconde guerre mondiale. Et pourtant, le dessinateur arrive à nous faire respirer l'ambiance oppressante de cette démocratie en guerre perpétuelle.
Guy Delisle, dessinateur canadien, suit sa femme Nadège dans ses missions administratives pour le compte de MSF-France. Chaque voyage est le moment idéal pour croquer la vie au quotidien du nouveau espace exploré. Dans cet album, la destination privilégiée fut Jérusalem, lieu de pèlerinage et sanctuaire des trois religions monothéistes les plus répandues (Islam, Judaïsme et Christianisme), terre de disputes aussi.

Très gros volume de 332 pages, Chroniques de Jérusalem rassemble toutes les anecdotes que peut rencontrer un touriste lambda qui a l'opportunité de séjourner un an dans cette ville partagée. Telle une année scolaire, l'unité de temps choisie par Guy Delisle (et vécue également) permet de sentir toutes les tensions inhérentes à une situation de crise. D'un côté, un état démocratique angoissé à l'idée d'un énième attentat suicide et qui laisse certains membres de sa population enfreindre les lois fondamentales les plus élémentaires (délogement ou fermeture des quartiers musulmans à coups de gredins ou de bulldozers voire de dégommage en règle (si ce n'est pas suffisant), installation de campements illégaux - histoire de gruyèriser la Cisjordanie et rendre l'idée d'un futur état palestinien utopique-...), de l'autre une population musulmane aux abois qui a fait le mauvais choix politique d'octroyer au Hamas les clés de sa destinée. Entre eux deux, un homme athée, Guy Delisle brosse les contradictions de tous (et surtout d'Israël, il faut bien reconnaître son parti-pris).

Avec un trait de crayon épuré le concernant (comme s'il voulait s'effacer et laisser le paysage, les gens rencontrés, seuls héros de son histoire), il aborde des scénettes édifiantes : le toit grillagé pour éviter des impacts de pierre, une ruelle séparée en deux par une ligne à ne pas franchir (suivant votre religion), des magasins ou maisons musulmans réquisitionnés par des colons qui ont comme seule idée d'y inscrire l'étoile de David dessus (ont-ils conscience du symbolisme de leur acte, qui il y a plus de soixante-dix ans en France n'avait pas la même signification ?), des quartiers autrefois cosmopolites vidés violemment et sans vie maintenant, des taxis qui se restreignent aux zones juives, des mini-cars qui ne circulent qu'en zone arabe, des poubelles débordées et eau (la vraie raison des tensions de la région) chaude au compte-gouttes, des fouilles douanières interminables, ses barrages routiers etc.

Avec un sens certain de la répartie, un humour détaché et caustique (proche du style anglais), Guy Delisle fait réagir et informe son lectorat. Il pourrait dresser une situation proche de la sinistrose. Pourtant par la présence des ONG internationales, d'hommes et de femmes de paix israéliens, palestiniens ou autres (religieux ou athées) l'espoir subsiste : la société civile d'Israël pluriculturelle, ne se réduit pas à ses colons fanatisés -totalement financés par la diaspora internationale (en particulier américaine)- mais il est certain que tant que son peuple continuera d'élire un membre sioniste à sa tête et tant que les islamistes fous furieux continueront à promettre vierges et septième ciel à des décérébrés terroristes alors les rêves de paix ne seront pas à portée de main (demain).

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avis : Yohan, Anne, Kathel, Miss Alfie, Jostein, Argali, Théoma, Miss G, Mango, Aifelle, Keisha,

et un de plus pour le challenge d'Asphodèle (Prix Fauve d'Or 2012 c'est-à-dire prix du meilleur album du festival d'Angoulême cette année-là)

22 commentaires:

  1. Ah oui une excellente BD. j'ai été particulièrement choquée par ce mur (qui n'existait pas quand j'ai visité le pays il y a très très longtemps...

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    1. ce mur est un autre mur de la Honte, celle qui salit l'âme humaine. BIsous

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  2. Depuis le temps qu'il faut que je la lise ! Ta piqûre de rappel arrive au bon moment ;)

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    1. j'espère de tout cœur que tu liras cette histoire. Bisous

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  3. Excellent souvenir de lecture BD, et ce n'est pas peu dire ! J'aime ce côté "faux naïf" qui dit les choses sans fard.

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    1. oui, c'est fin et très intelligent : un Candide à la sauce moderne ! Bisous

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  4. Je l'ai retenu à la bibliothèque... Je l'attends avec impatience

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  5. De lui, j'ai beaucoup aimé les Chroniques birmanes, je pense que j'aimerais celles ci !

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    1. j'ai envie de découvrir ses œuvres car je sens une vraie intelligence de sa part, qui m'intéresse bien.

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  6. J'ai aussi aimé ses "chroniques birmanes", il a l'art de nous faire sentir ce qu'est le quotidien dans ces pays troublés.

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    1. oui, il est fin et cultivé, avec un bon recul et une chouette morale : j'aime beaucoup !

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  7. C'est un de mes meilleurs souvenirs de lecture de BD ! (et oui, j'avais un avis, mais il est dans les oubliettes depuis que j'ai supprimé purement et simplement mon ancien blog !)

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    1. flûte, alors ! J'aurais tellement aimé rajouté ton billet. Bisous

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  8. face à ces extrêmes je remercie mes parents de ne m'avoir donné aucune religion.Je note cette Bd une façon intéressante de croquer un pays.

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    1. J'ai eu une éducation religieuse et l'instruction pour me défaire de certains mysticismes. Voilà c'est dit ! bisous

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  9. moi aussi j'avais beaucoup aimé... Bon week-end :-)

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  10. J'adore Delisle, l'art de la vulgarisation sans la réduction.

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  11. Il est sur ma liste celui-là... mais jamais dispo dans ma bibliothèque

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