[Audiolivre] Dîner à Montréal - Philippe Besson ***

Dîner à Montréal est le second roman que je lis de Philippe Besson, second livre après L'arrière saison dont je n'ai plus aucun souvenir (à part la première de couverture qui reprend un bout de l'œuvre Nighthawks d'Edward Hopper que j'aime bien).

Comme son titre l'indique, Dîner à Montréal, est un huis clos à quatre personnes le temps d'un repas, un quatuor amoureux policé et digne, au cours duquel certains sentiments insuffisamment dits dans le passé peuvent enfin s'exprimer.

Ce qui ressort de cette lecture de mon côté est mon admiration du style d'écriture de Philippe Besson, précis, authentique et à découvert. C'est appréciable même si la partie de l'attirance de son personnage principal pour les jeunes corps m'est difficile à entendre même si Philippe Besson n'y décrit pas de situations choquantes ou amorales dans ce texte : c'est ainsi, je n'y peux rien, c'est une question de goût, de principes et de valeurs : j'ai du mal à ne pas y voir un certain égoïsme, une captation d'une jeunesse en devenir par un vieux loup qui n'arrive pas à accepter le vieillissement, qui rêve de jouvence, de revivre les premiers émois à travers le regard de l'autre plus jeune, tout en emportant cet autre dans une relation pépère qui va forcément l'empêcher de vivre des instants légers et anecdotiques.  

Philippe Besson écrit bien, je le reconnais, mais je n'ai pas été chamboulée par l'histoire : l'analyse des sentiments est correctement menée mais ce côté d'entre soi m'a paru nombriliste et restreint sans atteindre l'universalité. Je ne me suis pas projetée hors de cette intrigue, j'y ai vu deux couples et des hommes qui s'auto dissèquent, un temps de retour sur une rupture qui n'a pas dit son dernier mot ; j'ai lu des dialogues qui étaient le passé commun de deux personnages (un écrivain, un businessman), leurs émotions, leur évolution, leurs prises de tête. Le style est là, le scénario tient la route, l'analyse du sentiment amoureux, la formation d'un couple, son impact sociologique et l'intrusion du lecteur dans cette intimité sont clairement et bien exploités. Mais je suis restée complètement à côté des sentiments des héros, j'ai manqué d'empathie et d'intérêt à leur égard. Sûrement une question de timing de lecture et d'un ennui qui s'est installé au fur et à mesure d'une soirée qui s'éternise. Tant pis !

Je ne regrette en rien la version audio de cette œuvre. Il est très probable qu'elle ait participé à ma poursuite de la découverte de Dîner à Montréal : je ne suis pas certaine que j'aurais eu la même patience à poursuivre la lecture écrite. La voix du lecteur Patrick Donnay y est pour beaucoup : classe, distinctive, elle module les tons des différents personnages (les deux hommes précités, une femme, un autre homme) et transmet les émotions étouffées.

Editions Lizzie

Lecteur : Patrick Donnay

Emprunté à la bibliothèque

 Ma troisième participation pour le mois de novembre 2023 au super challenge Écoutons un livre de Sylire

[Audiolivre] Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano ****

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier de Patrick Modiano s'inscrit dans la lignée thématique de ce qu'il écrit, avec une trame intéressante : avec un démarrage en roman noir, il se redéfinit en simple enquête ; une recherche d'un nom oublié devient l'occasion d'un retour sur le passé. 

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier offre deux compréhensions : celle d'une narration linéaire (un homme sommé par un couple un peu louche qui a récupéré son carnet oublié de retrouver l'itinéraire d'un enfant), la métaphorique (la conscience d'un homme qui remet les choses à plat sur son passé et son identité propre, sur un pan oublié de son enfance qu'il a occulté mais qui l'a forgé). 

Comme toujours chez Patrick Modiano, les personnages montrent une certaine ambiguïté, un caractère un peu louche, difficilement cernable. Comme d'habitude, l'auteur retranscrit une atmosphère du mystère et des silences, des non-dits et des secrets, des fêtes et transactions de natures diverses, d'une femme qui se découvre maternelle, d'un enfant qui n'attend qu'à être aimé et chouchouté. 

J'ai bien aimé entendre ce livre, de découvrir le revirement de l'histoire à la fois dans sa forme littéraire et dans la bascule de la chronologie (une plongée du présent dans le passé), avec une plume sincère, sensible, délicate et précise, avec toujours cette générosité et cette simplicité qui la caractérisent.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier présente une dernière scène d'une grande sensibilité, juste magnifique de réconfort et de réconciliation à soi-même, un abandon très beau. 

Du bon, du très bon Modiano.

Editions Gallimard - Ecoutez lire

Lecteur : Jean-Pierre Lorit 

Emprunté à la bibliothèque

 Ma seconde participation pour le mois de novembre 2023 au super challenge Écoutons un livre de Sylire

Du même auteur : Catherine Certitude - Dora Bruder -  Encre sympathique - Rue des boutiques obscures - Souvenirs dormants - Un pedigree - Villa triste 

[BD] Tananarive -Sylvain Vallée (dessin) & Mark Eacersall (scénario)

Tananarive est un roman graphique émouvant et nous offre une rencontre avec deux personnalités (une forte et débonnaire qui va s'éteindre, l'autre éteinte et en retrait qui va s'éveiller), deux voisins-amis dont les naturels semblent si éloignés : l'un (Jo) est baroudeur, aventurier dans l'âme, aux milles facettes (et finalement deux suffiront) et l'autre (Amédée) si transparent, si "quotidien", si présent, à l'univers lisse et à la vie sans fioritures, sans remous, calme et apaisante. Deux voisins retraités qui partagent des temps de discussion à bâtons rompus, le premier refaisant le monde en rappelant toutes les aventures qu'il a connues, l'autre (ex-notaire à la vie plus plan-plan) l'écoutant avec patience et intérêt. Et puis, finalement, la vie va et s'en va et tout est remis en question.


Sous un scénario qui pourrait paraître anecdotique, Tananarive parle des faux-semblants, des mensonges et de quête : celle qu'on doit à un souvenir, celle qui va soulever d'autres ombres du passé, celle qui prépare l'avenir et répare le passé. Tananarive rabat les cartes sur carte, révèle le potentiel de fidélité au souvenir d'une amitié et de capacité à évoluer dans sa vie à tout âge pour découvrir l'autre, sa réelle identité et finir la filiation. D'un scénario sensible et doux, Tananarive est une réussite à la fois visuelle et scénaristique. Comme les personnages et l'histoire, les dessins sont précis sans être exubérants, servent un texte cohérent ; les dialogues sont rythmés sans lourdeur. Reste peut-être un secret en trop et inutile (celui d'une personne proche d'Amédée) qui gâche un peu l'histoire en lui donnant une pesanteur inutile.
 
En résumé : Tananarive offre un doux moment littéraire qui fait du bien, beaucoup de bien. Well done !

Dessins : Sylvian Vallée

Scénario : Mark Eacersall

Éditions Glénat

Emprunté à la bibliothèque

Les courants d'air

by Isabelle Adjani et Gaëtan Roussel.

Un titre planant qui rappelle très fortement le Nightcall de Kavinsky (j'espère qu'il va recevoir des royalties pour inspiration directe et soutenue) en plus dynamique... mais les différents temps se retrouvent. 

L'électro est bien là et ce n'est pas une surprise quand on repère une des compositeurs de Les courants d'air : Cécile de Laurentis dont c'est l'univers (cf son adaptation toute personnelle de Les mots bleus de Christophe avec Élodie Frégé et en hommage à Pascal Obispo, l'autre compositeur de Les courants d'air... tiens donc, le monde est petit !)

Et un retour en force d'Isabelle Adjani, actrice lumineuse et polytalentueuse, servie par Gaëtan Roussel en pleine forme.

 


Elle me dit «  J'aime les courants d'air ».
J'aime les orages, j'aime les éclairs. 
Elle me dit « J'aime les planisphères ».
Longer les fleuves, les bras de mer. 
Elle me dit « J'aime tous les mystères ».
Quand on est deux, plus rien à faire
Dans les courants d'air. 

Tout, tout, tout, tout m'indiffère,
Quand tes bras me serrent,
Dans les courants d'air. (bis)

Elle me dit « J'aime quand tout s'éclaire. »
Les avancées, les marches arrière. 
Elle me dit « J'crois en l'univers »
La vie s'écoule entre nos mers. 
Elle me dit « J'aime aussi hier. »
Quand on est deux, plus rien à faire
Dans les courants d'air. 

Tout, tout, tout, tout m'indiffère,
Quand tes bras me serrent,
Dans les courants d'air. (bis)

Paroles : Gaëtan Roussel

Musique : Cécile de Laurentis (Cécile Léogé) et Pascal Obispo

Nos vies désaccordées - Gaelle Josse ****

Nos vies désaccordées porte un titre très bien choisi car à lui seul, il exprime l'essentiel : l'itinéraire de François (pianiste de renom) et celui de Sophie une ancienne compagne. D'eux, on ne découvre que l'après-couple, lorsque François au pic de sa gloire reçoit un mail d'un fan lui suggérant le souvenir de Sophie perdue de vue, perdue tout court. 

Gaelle Josse a élaboré ici un récit à la fois intime et universel, sensible, très sensible. En peu de pages, elle arrive à faire évoluer chacun de ses personnages, à les ancrer à la fois dans un quotidien et dans une quête en changeant de décors, en changeant de perspectives, en leur faisant admettre leurs torts. Dans Nos vies désaccordées, Gaëlle Josse aborde la musique (les concerts, les salles de spectacle, les entraînements),  l'isolement et la chute. Le scénario tient la route, le décor aussi : l'autrice n'a renoncé à aucun détail, on vit chaque scène le cœur serré. Ici, l'un cherche la rédemption, pour une réconciliation avec lui-même, pour éviter une fuite en avant qu'il a trop longtemps empruntée; l'autre est hors d'atteinte, excepté en temps musical.
L'évolution d'un couple est toujours sinueuse : certains liens explosent, d'autres composent, d'autres enfin se recomposent. Gaëlle Josse a décidé de nous dessiner un amour à reliefs, sous fond de Schumann : très beau.

Éditions J'ai lu.