[Jeunesse] La famille de mon frère - Karine Reysset ***

Dans La famille de mon frère, Karine Reysset raconte l'histoire de Yann, préadolescent qui à l'occasion d'un voyage en famille sur les terres d'origine (le Vietnam) de son grand frère Minh, redécouvre ce frère, plus distant à son égard, au contact de sa famille de naissance et d'enfance. Minh fait partie de la famille de Yann depuis 4 ans depuis son parrainage par les parents de Yann.

Pendant ce séjour idyllique, Yann a le sentiment de perdre momentanément Minh (accaparé par sa mère, par ses frères, par son oncle, par ses neveux). Et il n'est pas le seul : ses parents, sa soeur Camille, vivent mal la forme de désintérêt de Minh et plus globalement de celle de la population locale à leur égard, se sentent de trop... malgré les visites et les beaux paysages. Mais cette représentation toute personnelle n'est pas la vérité unique. 

Karine Reysset profite de La famille de mon frère pour questionner la notion de famille, et à travers ce concept large de famille, interroge l'identité humaine, culturelle et universelle.
Cette identité est profondément accrochée à la famille qui l'a aidée à se construire, elle montre la difficulté et la richesse du retour aux sources pour l'enfant revenant, pour ses deux familles (celle de naissance, celle de parrainage). Elle questionne aussi l'apport du parrainage et sa condition subie. 

La famille de mon frère est un livre sensible qui dévoile qu'un changement de lieu -un voyage- peut aussi révéler la force réelle des liens familiaux existants et aussi des liens d'attachement. Touchant.

Éditions L'École des Loisirs 

 De la même autrice (en littérature adulte) : le très beau Les yeux au ciel

 

[BD] Inoubliables #2 - Fabien Toulmé (entre *** et ****)

Fabien Toulmé nous présente cinq histoires intimes, cinq parcours d'humain dont l'équilibre va être fortement ébranlé pour le meilleur ou le pire. 

Dans Inoubliables #2, vous découvrirez

  • Julie qui va connaître un point zéro givré de sa vie,
  • Cynthia, victime d'un amour toxique ou l'art rude et le courage inouï de s'en délivrer,
  • Kevin à la musicalité empathique et incarnée qui dépasse toutes les générations et fait des miracles en EHPAD,
  • Bruno au parcours tortueux d'affirmation sociale de sa sexualité,
  • Bohdan réserviste militaire ukrainien , régulièrement en première ou seconde ligne du front.

Chaque histoire a ses tons chromatiques qui permettent de la définir visuellement ; les dessins et les dialogues de Fabien Toulmé sont explicites, mesurés (dans leur discours), respectueux et sans excès ; le rythme narratif et chaque scénario maintiennent l'attention et la concentration de lecture, sans épuisement. J'ai beaucoup apprécié d'entendre ces humanités, leurs expériences de vie : les unes m'ont profondément bouleversée (Cynthia, Kevin, Bohdan), les autres m'ont aussi intéressée par les réflexions sur la vie et la société qu'elles provoquent. 

Inoubliables #2, une BD à découvrir qui ne nécessite pas la lecture du premier tome (du moins, la non lecture du premier tome n'a pas gêné ma lecture du deuxième tome).  

Éditions Dupuis


[Théâtre] Les figurants - Delphine de Vigan (entre *** et ****)

Dans Les figurants, Delphine de Vigan dresse une pièce de théâtre dans laquelle elle expose des personnes qui attendent leur casting, qui attendent la mise en place de scènes. C'est à l'occasion de cette attente que ces figurants se confient, racontent leur itinéraire, leurs choix et parfois leurs non-choix de cette invisibilité pourtant importante à l'écran parce qu'elle renforce le jeu des acteurs principaux, qu'elle place une scène, qu'elle la rend vivante et réelle. L'autrice raconte aussi leur quotidien qui souvent ne se résume pas qu'à être figurants : certains diversifient leur activité professionnelle par la participation à des publicités, à des vidéos, pour vivre et souvent survivre. 

Delphine de Vigan décrit le mépris ou l'empathie de certains comédiens plus connus, de certains réalisateurs ou assistants, à l'égard des mal-lotis, des mal-connus, des pas assez reconnus. Elle raconte surtout leur longue attente entre deux prises, leur longue attente des castings, de vies solitaires et isolées. Et pourtant, ils sont là pour quelques heures, quelques sous.

Dans Les figurants, Delphine de Vigan innove son écriture en tentant courageusement le théâtre avec les rythmes imposés, les dialogues et les monologues à poser : un nouvel exercice littéraire qui sort de son registre habituel, mais toujours avec cette envie de valoriser de décrire ce qu'on ne voit plus ou qu'on ne voit pas, de faire entendre ces voix qu'on n'entend jamais au cinéma. Et ce parti-pris est intéressant à l'image de l’œuvre humaniste esquissée par cette autrice, appuyée par son regard aiguisé sur la société du spectacle ici, sur la société en règle générale.  

Les figurants est un texte très accessible, intéressant. Ce n'est pas un coup de cœur mais j'ai apprécié de le découvrir et de me plonger dans ces humanités simples, d'y lire leur quotidien, leurs états d'âme  et d'apprécier leur abnégation et leur courage de poursuivre malgré tout et contre tout, juste pour la beauté du cinéma, conscients de participer à une oeuvre collective partagée, heureux d'avoir parfois une scène à eux (et de changer potentiellement de statut, lorsque la caméra se prolonge sur eux.). J'ai apprécié d'y lire leur énergie et leur persévérance, et de ressentir aussi leur épuisement. 

Les figurants exprime tout cela et je remercie Delphine de Vigan d'avoir honoré ces héros de l'invisible et d'en avoir fait des héros tout court.  

Éditions Gallimard

Autres avis : Jostein

De la même autrice : Les enfants sont rois Les gratitudes  - Les Heures souterraines  -    Rien ne s'oppose à la nuit   -  Un soir de décembre

Ma participation au challenge Monde ouvrier et Monde du travail (focale sur des métiers du spectacle + pièce de théâtre : fond et forme !)


Le bonheur est au fond du couloir à gauche - J. M. Erre ***

Le bonheur est au fond du couloir à gauche est enfin le premier livre lu de l'auteur J. M. Erre. J'ai tardé à découvrir cet écrivain malgré les hautes recommandations de Mokamilla. Et franchement, j'ai passé un moment étrange : la découverte d'un héros anti-héros psychotique au possible, bourré de médicaments, dont la vie amoureuse cumule les déboires, la vie professionnelle se résume à quelques jours, quelques semaines et la vie sociale est lacunaire.

On rencontre ce Michel H., largué par une Bérénice qui en a plus que marre de supporter son mal-être, ses questions incessantes, ses tergiversations. Et ce largage en direct va être l'occasion d'une accumulation de remises en cause du héros, pour faire revenir Bérénice, une accumulation surtout de rencontres avec ses voisins proches, eux aussi plus ou moins agacés par son comportement perturbé et perturbant. 

Le bonheur est au fond du couloir à gauche est un récit étonnant, bien construit et mené par son auteur, J. M. Erre. Étonnant parce qu'il plonge tout doucement mais sûrement, parce qu'il surprend à chaque fois, parce que les événements s'enchaînent sans être totalement prévisibles. On sent que c'est mal parti, mais on croit toujours à un mieux. J. M. Erre joue avec nos sentiments, une large partie empathiques à l'égard du héros malgré ses névroses, et puis et puis, comme je l'ai dit, on plonge dans une autre dimension de l'histoire, un dévissage direct et une déception. 

Je ne peux pas dire que j'ai adoré Le bonheur est au fond du couloir à gauche, mais j'ai apprécié la lire, j'ai apprécié le style, la construction de l'intrigue, les dialogues et monologues au scalpel. Et oui, J. M. Erre arrive à faire rire avec un humour corrosif, sans filtre : j'ai même éclaté de rire lors de l'instant piscine. Après je reconnais que le souffle narratif perd un peu en énergie (mais comment peut-il en être autrement avec ce héros hyper dépressif ?) et que je n'ai pas été mécontente de finir l'histoire. 127 pages amplement suffisantes.

Éditions Pocket

[Nouvelles] 13 à table ! - édition 2025 - Dans le même bateau (entre *** et ****)

Pour cette édition 13 à table ! 2025 dont la vente est reversée aux Restos du Coeur, il y a comme toujours du beau monde littéraire, des nouvelles de qualité et de haute volée et des nouvelles sympas à lire mais qui ne me laisseront pas un grand souvenir (c'est comme cela). Cette année, pas de recette de Cyril Lignac (et sincèrement, même si je ne suis pas cuisinière dans l'âme, elle m'a manqué : parce qu'après tout, donner une recette est un acte généreux, surtout pour un grand chef de cuisine comme lui... et qu'elle répondait sûrement aussi à un public d'acheteurs de ce recueil, celui qui, lui, aime faire la cuisine ... lire et manger, deux activités hautement recommandées !).


Le thème 2025 (la contrainte littéraire) est Dans le même bateau et il a été respecté (avec souvent de la réussite et un beau travail d'écriture de la part des auteurs et des autrices). 

Dans ce 13 à table ! 2025 de bonne facture, je retiendrai 

- des nouvelles puissantes

  • Le bateau d'Alice de Sandrine Collette où l'art de finir sa vie en colocation et en douceur, avec une infinie tendresse et quelques vachardises : une rencontre salutaire et formidable avec des vieilles dames qui n'ont pas dit leur dernier mot et qui montrent une jeunesse d'esprit sur la vie en communauté.
  • Octobre de Karine Giebel qui s'essaie avec réussite et délicatesse à l'actualité du Moyen-Orient pour faire parler toutes les voix d'enfance sans jugement, chacune enfermée dans ses principes, dans son territoire (souvent subi, parfois volé), mais jamais à l'abri : un uppercut littéraire.
  • Tous dans le même bateau de Raphaelle Giordano où un objet de transition va permettre le deuil et la rencontre de solitudes : très touchant
  • Samedi soir de Marie-Hélène Lafon avec le traitement du déterminisme scolaire et social incarné par un  duo fraternel : une nouvelle extrêmement bien écrite, incarnée, incisive dans le discours qu'elle porte.
  • "Eh bien, nagez maintenant !" d'Alexandra Lapierre : une revanche aquatique sous fond de célébration mortuaire : incisif, drôle et percutant.

- des nouvelles avec un petit côté candide

  • La traversée d'une vie de Lorraine Fourchet  pour un dernier au-revoir sur l'île de son enfance et un secret de famille dévoilé : un retour en terre familiale salutaire, parce que porter constamment la colère ne fait pas du bien. 
  • On ne savait pas comment vous le dire... d'Agnès Martin-Lugand : les retrouvailles de couples parentaux pour relever leur progéniture d'une impasse.
  • Le Coup de Bôme d'Étienne de Montéty : l'incarnation d'un amour bourgeois en mode traversée maritime.

- des nouvelles à la chute impeccable

  • La Maison d'Orient de Christian Jacq : un achat immobilier (objet de transmission) très convoité. 
  • Les voyageurs de Marc Lévy :  un duo qui se révèle à défaut de se comprendre, avant un autre saut. 
- une nouvelle dystopique avec une fin un peu déphasée par rapport au contexte de départ (mais le scénario est très intéressant) : Banlieue-Trecking de Romain Puertolas ou l'art de survivre dans une banlieue hautement dangereuse pour jeunes friqués en mal de sensations fortes.

- des nouvelles avec une bonne idée au départ mais ce ne sont pas mes préférées (peut-être une question de timing de ma part ? d'un manque de souffle ou de consistance ?) :
  • Mon bateau blanc ou l'histoire d'un naufrage de Marcus Malte : une prose dans le thème, trop courte (un comble connaissant cet auteur prolifique et brillant) pour que je puisse complètement être happée
  • Sur le même bateau de François Morel : je reconnais l'originalité de son point de vue ; son jeu des paroles ne m'a pas accrochée ni attendrie.
  • Victor de Jacques Ravenne : une histoire qui se tient, à l'image d'un objet de désir et de fertilité.
Bref un recueil varié qui offre un moment de lecture sympa et utile. Merci aux auteurs et aux autrices, et au monde vaste de l'édition pour ce moment de partage pour la bonne cause : 1 livre acheté = 5 repas offerts pour les plus démunis. 

Éditions Pocket

et une jolie première de couverture assurée par l'illustratrice Catherine Meurisse.
 
autre avis : Philippe Dester,

Des éditions précédentes :