Un certain mois d'avril à Adana - Daniel Arsand ****

Avant de lire ce livre, j'étais incapable de situer Adana, et pire, absolument pas avertie du passif de cette ville. Quatrième cité économique de Turquie, Adana fut le siège d'un pogrom arménien par les Jeunes Turcs, prémisses malheureuses du génocide (avril 1915- juillet 1916) de ce peuple, que le gouvernement turc peine à reconnaître encore maintenant ! L'histoire se passe en 1909 (du 5 avril au 27 avril, plus exactement) à Adana dans la région de Cilicie, à trente kilomètres de la mer Méditerranée. Dans cette cité régie par le vali Cevat bey, cohabitent en harmonie précaire les deux communautés. A l'occasion d'un amour turco-arménien de deux adolescents (sorte de «Roméo et Juliette» mal vécu par leurs peuples respectifs) et d'un crime commis par une bande de brigands turcs, les événements se déchaînent : les Arméniens réclamant réparation auprès du vali (peu fiable et surtout complètement partial), les Turcs injuriant la victime et la considérant comme mythomane. La violence monte, les esprits s'échauffent, manipulés par un groupuscule politique haineux et raciste «les Jeunes Turcs» dirigé par le fou Ihsan Fikri (un grand tortionnaire avant l'heure) sous fond de guerre de religion assumée et d'empire « purifié » (gloups !). Ce livre très bien écrit est constitué de 175 scénettes et met en place différents personnages :
   côté chrétien Vahan et son copain Yessahi, l'oncle Atom et sa famille, Hovhannès, sa mère célibataire et son patron Garbis, le poète Diran Mélikian et les siens;
    côté musulman les troupes d'Ihsan Fikri, et d'Isfendiar , la famille du vali ;
   puis entre les deux, des personnes qui refusent de choisir: la cousine Adalet de Cevat bey, la serviable Herarpi, le voisin Uygür bey et puis ces pourfendeurs de l'ordre établi comme Toplama Oghlou.
Au final, près de 30 000 victimes arméniennes, sous l'œil passif des autres nations (française, anglaise... ) trop inquiètes de fâcher leur précieux allié turc !

Daniel Arsand montre la complexité humaine générée par ces événements : « Parler turc dorénavant le révulsait, parler arménien le déprimait. Ces deux langues le ramenaient à l'évidence qu'il était mortel » (p 344), puis l' ultime sacrifice « Mourir pour que les autres vivent » (p 354) ou « ... n'avait pas conscience de trahir son peuple en confiant sa unique progéniture à un Turc » (p 342). Ce récit (quelques passages restent limite insoutenables) a le grand mérite de nous ouvrir les yeux sur cette barbarie immonde mais tellement révélatrice de futurs événements abjects. On peut reprocher à l'auteur son parti pris, son origine familiale l'explique. Mais il lui revient le grand mérite d'avoir tissé un roman sur cette page sombre du passé et du coup, d'avoir rendu accessible à tous cette partie de l'Histoire.

Livre reçu et lu grâce au partenariat de Libfly/ Le Furet du Nord et les éditions Flammarion : merci !
1er lauréat du prix Chapitre du roman européen 2011

2 commentaires:

  1. Un livre qui est dans ma LàL mais que je n'aurai pas le temps de lire tout de suite vu le nombre de livres reçus...

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  2. Un jour peut-être quand tu auras plus de temps : il est âpre mais très instructif !

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