Les veilleurs de chagrin - Nicole Roland ****

Après le magnifique Kosaburo, 1945 , j'étais très motivée de découvrir le deuxième roman de Nicole Roland.  
Verdict : je crois que j'aime définitivement la plume belge, malgré un léger bémol !  (forcément avec l'âge, je deviens plus exigeante)
Les veilleurs de chagrin représentent les anthropologues spécialisés en paléo-pathologie, ces chercheurs d'ossements découverts lors de charniers comme ceux retrouvés au Kosovo, pour permettre leur identification rapide et aider au travail de deuil des familles en attente d'une réponse. 
Esther fait partie de ces scientifiques : orientée vers les lignes de Harris, elle considère que ces stries linéaires transversales sur des os longs se forment au cours de l'enfance à la suite de traumatismes divers (agressions, stress, maladies infectieuses, intoxications) et que leur étude permet d'une certaine façon de connaître leur genèse. Parallèlement à sa mission éprouvante dans la région du Kosovo, Esther gère la fin de vie de sa mère Alzheimer mal aimante ainsi qu'une psychothérapie nécessairement lourde pour la sauver de la dépression dans laquelle elle s'enfonce peu à peu, pendant que ses souvenirs d'enfance remontent à la surface. 
Ce livre se scinde en trois parties.
Très clairement, la première partie me paraît si déroutante et si confuse (à l'image de l'état d'esprit de notre héroïne) que j'en suis venue à me poser cette question « Mais où Nicole veut-elle m'amener ?». Ce choix stratégique de l'auteure de tout mettre en place, de suggérer plutôt que dévoiler représentait un risque aussi de perdre son lectorat. Comme je suis besogneuse et aime ma Nicole, j'ai donc poursuivi : j'ai bien fait !
La seconde partie narre le quotidien des chercheurs au Kosovo, le traumatisme des fouilles, les exactions passées et des moments magnifiques avec le chien Caleb : très clairement, le positionnement de l'auteure à ne rien cacher du nettoyage ethnique opéré à grande échelle s'explique dans sa volonté à décrire cette horreur absolue et reste un mal nécessaire pour ne pas oublier cette page de l'Histoire. Esther en perd le sommeil, j'en sors bouleversée et secouée.
La dernière partie relate l'état dépressif de notre héroïne, son enfance entre une mère maltraitante et un père protecteur (violent avec sa femme pour venger d'actes inqualifiables), son travail analytique auprès d'un professionnel (élégamment appelé vous, histoire que le lecteur/la lectrice participe pleinement à l’œuvre). De même, une grande émotion me saisit : je pense (peut-être à tort, j'aimerais me tromper vraiment) que Nicole Roland a vécu cet état pour si bien le décrire.
L'écriture reste magistrale, d'une fluidité impressionnante, chaque phrase chante, un style remarquable et déjà identifiable. J'adore tout simplement. Nicole Roland pourrait écrire le pire des navets, j'arriverais à la suivre et à l'apprécier quand même (une prouesse, la gageure d'une belle plume ! ).
 
Les veilleurs de chagrin représente un livre nourri et riche des domaines qu'il aborde (Histoire, Psychologie, Anthropologie etc) et nous présente Esther, une femme dotée d'une grande intelligence et d'une sensibilité hors du commun mais appauvrie par une estime de soi fragile et mal entretenue : j'ai aimé connaître cette héroïne des temps modernes, la quitter m'a peinée.

Collection Un endroit où aller - Éditions Actes Sud

emprunté à ma biblio (j'ai répondu à une demande d'un avis par mon amie A-L : j'ai beaucoup aimé mais ce n'est pas un coup de cœur comme Kosaburo, 1945)


et un de plus pour le challenge européen d'Anne (quand je suis à fond, je suis à fond !)

14 commentaires:

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    1. Si j'avais un premier conseil, ce serait de lire d'abord Kosaburo, 1945 (une merveille) et ensuite ce livre bien réussi.

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  2. Un livre intéressant, pour le jour où j'aurai à nouveau le courage de lire des livres difficiles.

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    1. et qui a lu tout récemment un livre bien difficile dont le titre est Purge ? Je comprends ton envie de lectures plus légères.

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  3. Je te lis à peine, puisque ce livre st dans ma PAL ! Merci pour cette participation.

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    1. Merci à toi, de ta venue, et je serai ravie de lire ton avis proche.

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  4. Ce sont des lectures dont on ne sort pas tout à fait indemnes et qui sont susceptibles par leur seule force de nous dessiller les yeux.

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    1. Oui, c'est une histoire qui nous permet de garder les yeux ouverts sur les massacres passés. Je trouve indispensable et remarquable cet apport des écrivains à rappeler l'Histoire à l'intérieur du roman.

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  5. ouh que ça a l'air difficile...
    Plein de gros bisous.

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    1. Par rapport à Purge, un cran en moins dans la dureté tout de même. Mais ce livre m'a touchée indéniablement.

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  6. Un livre peut-être un peu trop chargé en émotion pour moi en ce moment... je note quand même Kasaburo,1945.

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    1. Je ne sais pas si ce livre te ferait le même effet. Il aborde des choses noires de façon subtile.

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  7. Livre apparement autobiographique (à l'exception de la partie au Kosovo).

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    1. je pense aussi : la description sur l'état de dépression est si bien faite que je pense que l'auteure l'a vécue (très certainement au moment du décès d'Hélène)

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