Théâtre : Lucrèce Borgia - Lucie Berelowitsch

L'avantage, lorsqu'on tient un blog, est de revenir sur un spectacle passé, comme par exemple, Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mis en scène par Lucie Berelowitsch, vu samedi dernier au Th'N (Théâtre du Nord) à Lille. Comme je participe avec grand plaisir au challenge d'Eimelle, En scène, j'aime rédiger un petit avis personnel sur la pièce après. Énorme avantage donc, car ce fut à cette occasion que je découvris la distribution (oui, je ne regarde jamais la distribution avant le spectacle, ni pendant, ni tout de suite après, histoire de ne pas me laisser influencer par la notoriété d'un nom). Et la petite Lucrèce, que je trouvais bien charnelle, habitée, une véritable bombe sexuelle sans vulgarité (ce qui est une vraie gageure dans cette mise en scène-là) n'était autre que la magnifique Marina Hands : parfois, il y a des noms connus et on sait pourquoi ! 
photo issue du carnet de présentation de l’œuvre fait par le th'N

L'hypnotique Lucrèce Borgia est issue d'une famille consanguine, dont l'art reste de liquider toute personnalité nuisant au rythme des acquisitions, de domination et des spoliations par le clan. Mariée pour la troisième fois à Don Alphonse, duc de Ferrare, elle mène une vie dissolue entre amants de passage et politique locale. Couvant un secret originel, elle apparaît fortement attirée par le jeune capitaine Gennaro dont les cinq copains de route ont tous de bonnes raisons de faire la peau à la belle Lucrèce. À l'occasion d'une visite surprise à Gennaro (orphelin de père, mère inconnue dont le lien tangible se résume à une correspondance sporadique) où elle révèle, visage masqué, un peu d'humanité et remet en cause son attitude sanguinaire, la venimeuse Italienne subit un ultime affront de leur part. L'heure de la vengeance a sonné (et l'oubli de belles promesses, aussi).

Victor Hugo a écrit cette pièce en quinze jours. Sans renier le génie du bonhomme, je reste persuadée qu'une petite relecture n'aurait point fait de mal. Un texte bavard, des scènes confuses et des répétitions inutiles gâchent un peu un ensemble exigeant et lourd en symbolique. Bien évidemment, le parallèle avec Phèdre de Jean Racine me parait évident par la puissance tragique de l'héroïne et l'inceste abordé (Lucrèce aimée de ses deux frères Jean et César, le second tuant le premier pour conserver la main mise sur la frangine). Énonçant la violence de l'époque (fratricides réguliers, empoisonnements constants), Lucrèce Borgia n'en demeure pas moins un appel à la résistance, à l'irrévérence et au courage, incarné par Gennaro, compagnon intègre et fidèle, haïssant celle dont on doit taire le nom (la Voldemort d'Hugo), blasphémant le nom de Borgia en le réduisant en Orgia. Tragédie d'un côté (avec ses rebondissements, ses quiproquos et ses surprises), mythologie de l'autre par la présence des gardiens du lugubre, Rustigello et Gubetta, accomplissant les méfaits de Lucrèce et son mari, Alphonse, un brin jaloux du beau Gennaro.

Lucie Berelowitsch a parfaitement intégré cette époque violente : une première scène digne d'Orange mécanique de Stanley Kubrick, du bruit constant lors des fêtes orgiaques de la princesse Négroni, aboiement des comédiens lors de la diction du texte... Je conçois tout à fait que le traitement de Lucrèce Borgia reste un vrai challenge théâtral mais là, je n'y ai vu aucune subtilité et aucune finesse que ce soit dans la mise en scène (peu de pauses dans un texte, la plupart du temps, récité voire hurlé plutôt qu'interprété ; l'utilisation de dancemusic et de techno pour faire djeuns, une bonne idée qui s'est confrontée à un haut-parleur aboyeur - au final, effets auto-dissous avec la sensation de capharnaüm constant, marqueur auditif de l'agressivité ambiante), dans la chorégraphie des comédiens (les corps-à-corps manquent de souplesse et d'adhérence, les chutes me paraissent trop lourdes, le décor pas assez exploité - un échafaudage intelligent et finalement absent). Bref, un spectacle en demi-teinte pour moi : un comble dans cette noirceur !

et un de plus pour le challenge d'Eimelle

26 commentaires:

  1. Mais...tu ferais une très bonne critique théâtrale!! décidément, que de talents, sur cette blogosphère (où je m'inclus... ;) )

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    1. Tu es vraiment indulgente avec moi. Mais sache que ton compliment me va droit au cœur. Double bise pour Miss Sophie.

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  2. Et bien tant pis pour la pièce par contre ma lal se dote d'un nouveau livre !

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    1. Je n'adhère pas totalement au texte non plus. Je pense qu'Hugo aurait dû le travailler davantage.

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  3. je crois que je vais plutôt me plonger dans une biographie de Lucrèce Borgia, chose que je veux faire depuis mon voyage à Ferrare et que je n'ai pas encore pris le temps de lire! Merci en tout cas pour ta participation au challenge!

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    1. Merci à toi de ta venue. Je pense que la biographie sera en effet renseignante.

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    2. cette production passe par chez moi à l'automne, j'irais la voir!

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    3. je lirai ton compte-rendu avec plaisir. Bises

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  4. J'avoue que cette pièce ne m'aurait pas tentée mais lire ta critique a été un vrai plaisir.

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  5. J'avais lu une histoire de Lucrèce Borgia un peu différente de celle qui a été reprise pas les écrivains sur un blog que j'aime beaucoup sur l'Histoire des femmes et où elle est décrite comme étant en partie victime de sa famille. J'aime beaucoup Hugo mais c'est parfois lourd.

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    1. Parfois lourd, long et bavard.. Pourtant dans Mille francs de récompense, je le trouve bon !

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  6. Je ne regrette donc pas d'être passée à côté, merci pour ce très beau compte-rendu Philisine :)

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  7. très beau compte-rendu Phili ! j'adore Victor Hugo et même si c'est lourd long et bavard, ça me botte...

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    1. Je l'ai préféré que Mille francs de récompense. Bisous, ma douce amie.

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  8. C'est vrai que ton compte-rendu est vraiment bon ! Je ne suis jamais allée au Théâtre. J'espère y aller un jour mais il y a temps à faire qu'il faut bien faire des choix :(
    Bisous et belle journée :D
    (je viens de lire mes mails et je suis en joie :D )

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    1. oui c'est une belle journée pour toi (et je suis ravie)

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    2. "il y a tant à faire" bien entendu oups :(
      bisous bisous et passe une bonne soirée Phili ;)

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    3. oui et c'est génial !!!!! bisous

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  9. Merci pour ce partage, on s'y croirait presque...

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    1. Tu es adorable. Je viens te voir, je crois que je n'ai pas réussi à m'inscrire à ta newsletter : j retente pour la troisième fois.

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  10. Bon, comme j'habite très loin de Lille je n'aurai donc aucun remord à ne pas y aller !

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  11. Pas touche à Totor!! C'est ce que j'ai pensé quand tu as abordé la mise en scène! Il y en a marre de ces metteurs en scène qui ne savent plus quoi inventer pour défigurer une pièce de théâtre ou un opéra.
    Bonne journée à toi.

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    1. J'aime le modernisme dans la mise en scène d'une pièce classique mais là tout m'a semblé lourd : la gestuelle des comédiens, leur diction, le décor sympa mais pas mis assez en valeurs et les anachronismes qui ne vont pas avec l'ensemble. Le texte n'est pas non plus mon préféré d'Hugo.

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