À quoi reconnait-on un excellent roman ? à son histoire bien ficelée, à l'attachement qui s'opère chez le lecteur vis-à-vis des personnages, à la plume élaborée de son auteur(e), à l'émotion ressentie lorsqu'on le ferme et à sa capacité d'instruire. Il est donc relativement rare de tomber sur une perle littéraire et quand cela arrive, un vrai bonheur nous attend. Réparer les vivants fait partie de ces objets précieux.
Christophe Alba, Simon Limbres et Johan Rocher ont décidé que cette soirée serait leur nuit : celle de la vague à maîtriser, celle passée à surfer. Quels que soient les risques encourus, rien ne vaut une bonne virée entre copains. Le retour à la maison dans le van parental va forcément laisser des traces, et pas qu'indélébiles.
Réparer les vivants est une vraie ode à la vie. Sous un fond tragique (le décès brutal d'un humain), ce roman questionne intelligemment sur le sens du don d'organes. Présentant la question éthique en premier lieu, il aborde les différentes réactions face à la mort d'un être cher comme, par exemples
1) le cas des croyants en la réincarnation refusant le don d'organes sous prétexte que le corps amputé risque d'affaiblir la vie suivante ou bien
2) l'acceptation du prélèvement d'organes vitaux d'un mort cérébral compatible revenant à reconnaître le décès physique de ce dernier (sans possibilité de retour en arrière, sans espoir d'un réveil après un long coma)
mais aussi cette forme de culpabilité que tout receveur peut ressentir ( « je vais vivre parce que quelqu'un d'autre est mort. »)
Présenté sous une forme très scientifique (Maylis de Kerangal, n'a pas voulu commettre d'impair dans la description du parcours contre le temps de ce fameux passage de témoin : quatre heures maximum pour qu'un cœur puisse être réimplanté chez un autre humain), Réparer les vivants informe aussi sur l'existence d'un registre national des refus de don (à renseigner si vous êtes totalement opposé(e) à ce qu'un de vos organes soit prélevé à votre mort : votre non-inscription à ce registre est considéré comme un oui implicite). Nous ne sommes que des êtres ambulants : comme les voitures, certains d'entre nous décèderont brutalement, d'autres connaîtront cette phase de coma cérébral permettant le maintien artificiel de leur cœur, leurs reins, leurs poumons ou leur foie afin de servir à nouveau à d'autres (comme les voitures usagées dans les casses offrent des pièces détachées propres et utiles pour réparer d'autres automobiles en circulation).
Mais, Réparer les vivants ne se résume pas à un plaidoyer sur le don d'organes : il offre une galerie de portraits attachants (des scientifiques investis dans la survie humaine, des hommes et femmes meurtris par la vie, bousculés dans leur deuil et offrant une existence plus sereine à d'autres, etc) . C'est un texte profondément optimiste et humain qui rappelle l'importance de ce geste gratuit. Maylis de Kerangal rythme parfaitement son écrit en présentant aussi des anecdotes comiques comme l’atterrissage forcé de pizzas sur le mur d'un salon ou sur une fenêtre le soir d'une rencontre de football opposant la France à l'Italie, par exemple.
Cette écrivaine formidable, déjà reconnue avec Naissance d'un pont et Tangente vers l'est donne le meilleur d'elle-même dans le registre du travail (BTP dans Naissance d'un pont, médical dans Réparer les vivants), travaille sur le lexique du corps (ici l'élément finalement principal de son intrigue), manie le vocabulaire avec dextérité (le champ mathématique a le droit à un hommage appuyé à la page 217) et ne laisse absolument rien au hasard (Simon porte un patronyme prédestiné qui, sans son R, résume parfaitement sa situation durant tout le livre). Impressionnant.
page 172
« Il est temps, maintenant, de se tourner vers ceux qui attendent, dispersés sur le territoire et parfois au-delà des frontières du pays, des gens inscrits sur des listes selon l'organe à transplanter, et qui chaque matin au réveil se demandent si leur rang a bougé, s'ils sont remontés sur la feuille, des gens qui ne peuvent concevoir aucun futur et ont restreint leur vie, suspendus à l'état de leur organe.»
page 217 (je ne pouvais décemment quitter cette chronique sans mes mathématiques chéries, très sensuelles pour le coup - mais cela, je le savais d'avance)
« (elle) n'a pas un regard pour lui quand elle croise et décroise du bas vers le haut ses longs bras d'une beauté antique afin d'ôter son débardeur, désormais inutile, dénudant un buste splendide que composent différents cercles - seins, aréoles ( ...) -, que modèlent différents triangles pointés vers le sol - l'isocèle du sternum, le convexe du pubis et le concave des reins - que creusent différentes lignes - la médiane dorsale qui souligne la division du corps en deux moitiés identiques, sillon qui rappelle en la femme la nervure de la feuille et l'axe de symétrie du papillon -, le tout ponctué d'un petit losange à l'endroit de la crête sternale - le bréchet sombre -, soit une recollection de formes parfaites dont il admire l'équilibre des proportions ...»
Collection Verticales (271 pages consacrées au texte)
Éditions Gallimard
Rentrée littéraire Janvier 2014
Un énorme merci à Annie qui m'a permis de lire ce roman fantastique : elle en fait un LV !
avis : Annie, Cathulu , Clara, Malika, Valérie, Kathel...
et un de plus pour les challenges de Galéa, d'Asphodèle (Grand Prix RTL-Lire 2014 ou Le Roman des Étudiants 2014 France Culture-Télérama) et de Valérie
Le grand coup de cœur de ce début d'année pour beaucoup de monde si j'ai bien compris. Je le prendrai peut-être demain au salon du livre^^
RépondreSupprimeralors, as -tu cédé à la tentation ? Bises
SupprimerJe viens de le terminer. Quel roman! Quelle auteure!
RépondreSupprimeroui, tu as l'air d'avoir beaucoup aimé aussi. Bises
SupprimerJe ne doute pas de la qualité de ce livre, mais le thème me rebute. Je ferai connaissance de l'auteur avec un autre titre.
RépondreSupprimertu as le choix : Naissance d'un pont paraît l'idéal pour débuter.
SupprimerUn roman prenant, émouvant, superbe !
RépondreSupprimerun roman parfait !
SupprimerIl me fait peur, celui-là ! Connaissant la plume de la Maylis de Kérangal, que j'apprécie fort, comme toi, je me dis que la lecture m'en serait éprouvante. En même temps, les avis sont très enthousiastes, et laisser de côté une belle lecture, hummmmm ... Elle sera sûrement à Saint malo, à "Etonnants voyageurs", je pense que je craquerai, alors.
RépondreSupprimerNon, au contraire, elle sait bien placer ses mots et ne charge pas de pathos son intrigue : c'est une écrivaine très intelligente.
SupprimerC'est marrant, une amie me parlait justement hier de ce titre ! J'ai découvert l'auteure avec "Naissance d'un pont" que j'avais trouvé très original et exigeant dans son style. Indéniablement, une plume particulière. Je note ce titre, ton enthousiasme donne envie de voir ce qu'elle donne avec un autre roman !
RépondreSupprimerElle devient une auteure féminine majeure pour moi.
SupprimerTu as même un passage avec des mathématiques! (je te dis merci!!!)
RépondreSupprimeroui, qu'est ce que je ne ferai pas pour défendre nos mathématiques, hein ?
SupprimerQuand j'ai vu sur ma blog-roll que tu chroniquais ce roman, j'étais presque certaine que tu en ferais une pépite...et je ne me suis pas trompée. Ton billet est formidable (comme souvent quand tu aimes un livre). ce livre remporte une belle unanimité sur tous les fronts....(et comme Kinderzimmer, c'est pile le type de sujets que je fuis habituellement).
RépondreSupprimerPeut-être qu'avec le prix Elle, tu vas le lire ?
SupprimerUn roman coup de coeur pour beaucoup... il me tarde de le découvrir, même si le sujet me fait un peu peur...
RépondreSupprimerN'hésite pas à me le réclamer, Annie accepte d ele faire voyager. Bises
Supprimerquand j'ai vu l'auteur (à la tv) elle ne m'a pas convaincue, mais là je suis plus que partante merci aux lectrices .
RépondreSupprimerElle analyse bien son travail et parfois peut-être va trop haut par rapport à son texte. Enfin, je me comprends.
SupprimerMalgré la vague d'enthousiasme que je peux lire ici et là, je ne suis pas très partante pour cette lecture, voir pas du tout. Je me méfie beaucoup des romans qui font l'unanimité !
RépondreSupprimerTu as raison, il est rare qu'un livre fasse l'unanimité : je n'en connais pas d'ailleurs. Cela n'empêche que j'ai adoré ce livre.
SupprimerCela fait deux fois que je l'écoute à la radio. Aujourd'hui sur FranceCulture et un dimanche sur France Inter.... Toujours autant envie d'acheter son livre
RépondreSupprimerTu peux le lire gratuitement grâce à Annie, si tu le souhaites.
SupprimerUne lecture rare, précieuse, magnifique ... Rien que d'y penser j'en ai des frissons d'émotions ! Depuis le début de l'année, il s'agit de mon plus gros coup de cœur . J'ai ressenti cette lecture d'une façon si forte, je l'ai portée ( j'ai été en mode poisson privé d'oxygène pendant plusieurs jours)
RépondreSupprimerJe pense qu'un tel livre est rare sur les étals de magasins.
SupprimerC'est vraiment un roman qui fait l'unanimité. Je n'ai pas lu un seul avis mitigé. Je le lirai, c'est certain !
RépondreSupprimerC'est un excellent roman, parfait et au contenu inattaquable.
SupprimerLe précédent m'était rapidement tombé des mains, alors j'ai beaucoup d'hésitations;
RépondreSupprimerOui, j'imagine ta réaction. Bisous
SupprimerOn en parle un peu partout, et même si le thème ne me tente pas plus que ça, je vais sans doute craquer...
RépondreSupprimerJe l'ai lu sans connaître le sujet principal : j l'ai découvert avec la lecture. Bises
SupprimerCe roman fait l'unanimité, j'en ai entendu parler un peu partout et si j'en retiens les conclusions, il faut lire ce livre. Ceci dit, j'ai peur du côté tragique et dramatique du thème, de la prédominance de la mort,... du coup, comme beaucoup, j'aimerai découvrir cette plume mais avec un autre roman. Lequel conseillerais-tu? biz
RépondreSupprimerNaissance d'un pont, sans conteste possible. Tangente vers l'Est est très bien aussi. Je viens d'acheter Corniche Kennedy.
SupprimerMerci Phili,je note Naissance d'un pont, très intriguée par le résumé lu...
SupprimerJe ne veux pas passer à côté, je le note. Un titre aussi beau donne envie. Ton article est juste très bien.
RépondreSupprimerMerci à toi, Louise, ton compliment me touche beaucoup. C'est vraiment très gentil ce que tu as écrit là.
SupprimerEnorme coup de coeur pour moi aussi comme tu le sais déjà !!
RépondreSupprimeroui et je le lisais quand j'ai découvert ton article. Bisous
SupprimerA priori le sujet ne me tente as trop, mais tu en parles si bien que je le note tout de même
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Lecture and cie : je te souhaite beaucoup de plaisir et de bonheur avec ce roman.
SupprimerIl va être difficile de passer à côté de ce roman...
RépondreSupprimerje passe bien à côté du Lemaître (je me demande comment j'y arrive, d'ailleurs). Bisous
SupprimerJe ne me sens pas du tout le courage de le lire...
RépondreSupprimeril n'est pas dur : il est juste parfait. Bisous
SupprimerTu m'intrigues, je le note du coup !
RépondreSupprimeret j'espère que tu le liras : je le fais voyager !
Supprimerpas encore lu, mais il me tarde de le faire
RépondreSupprimeridem que pour Christie : ce livre voyage !
SupprimerQue je suis contente que tu l'aies tant aimé ! Si tu le mets dans les pépites de Galéa, ça signifie que je le mets en coup de coeur.
RépondreSupprimeroui, c'est un vrai et un beau coup de cœur. Bisous
SupprimerJ'ai bcp aimé aussi, surtout la façon dont elle a pris son temps, et finalement tout s'impose en douceur.
RépondreSupprimerexact : il y a beaucoup d'intelligence dans son traitement. Bises
SupprimerPas du tout un livre pour moi, mais je ne doute pas de la qualité de ce dernier. J'avais beaucoup aimé Tangente vers l'est. Bonne semaine Philisine.
RépondreSupprimercomme tu veux, Emma : je t'embrasse fort !
SupprimerUne fois de plus, je vais aller à contre-courant ! Ce livre m'est tombé des mains ! J'ai lu 80 pages et j'ai arrêté. Je n'ai pas du tout adhéré au style de l'auteure : longueurs, phrases d'une longueur incroyable (j'ai compté 50 lignes pour une seule phrase), ponctuation manquante dans les dialogues.
RépondreSupprimerJe sais que c'est le coup de coeur 2014 de beaucoup, mais moi, je ne lirai plus cette auteure !