Une couverture magnifique, un premier roman réussi, et me voilà très tentée de découvrir le suivant : attention à la marche, quelques auteurs la ratent parfois ! Verdict... (ménageons un court suspense)
La sérénade d'Ibrahim Santos est un roman formidable, qui fait un bien fou à son lectorat (et voilà, ce fut court). Au delà de l'humour dégagé, résident des parcelles de réflexion et de sagesse sur nos vies, sur la politique : que de bonheur !
Santa Clara, havre de paix sud-américain, est un village éloigné de tout (au point de ne pas être répertorié sur la carte du pays, de ne pas connaître le nouveau dictateur dirigeant le pays depuis vingt ans !). De plus, cet hameau produit un excellent rhum de très haute qualité gustative, qui attire bien des convoitises et en particulier celle du chef de la Révolution, le Président-Général Alvaro Benitez. Piètre économiste, ne signant aucun traité bilatéral international d'entraide (car n'en comprenant pas les tenants et aboutissants), ce dernier est décidé à mener son pays vers l'autosuffisance alimentaire (page 71 : «On parviendra à l'autosuffisance, même s'il faut pour cela que le peuple arrête de manger !»). Voilà le ton est donné, la première partie se résume en éclats de rire constants et à chaque reprise de lecture, je me dis que « c'est vraiment génial et sympa ». Le clan du général, constitué d'Alfonso Benitez (le premier ministre et frère du président) et d'Alvaro Ulribe, le Ministre de l'Agriculture, débarquent au village, néanmoins précédés de quelques jours par le capitaine del Horno chargé de prévenir et de préparer cette venue (en très grande priorité : changer les portraits de l'ancien dictateur en place, chanter le nouvel hymne, renommer les rues, inciter la foule à crier «Vive la révolution»). Cette arrivée, assortie de la nomination de l'ingénieur agronome Joaquίn Calderon, va assombrir l'horizon pourtant bien paisible de ce village.
Véritable pamphlet sur nos conditions de vie actuelle (où tout se transforme, où tout se décide vite sans concertation préalable, sans progrès majeur), La sérénade d'Ibrahim Santos rappelle que la modernité peut être source d'insipidité et de perte de repères, voire de despotisme lors de sa mise en œuvre. Santa Clara, lieu d'âmes sublimes (ne supportant pas le sacrifice de moutons ou la perte d'une trompette) respecte ses habitants et leurs cultures ancestrales (ici, point de baromètre pour prévoir le temps, juste l'écoute des sérénades du génial Ibrahim Santos ; pas d'engrais pour produire les meilleurs cannes à sucre du pays, la terre fertilise à son rythme ; tout conflit se règle à coups de rhum). L'oublier revient à nier cette démocratie locale (un modèle politique à sa façon) et à conditionner sa population, pourtant si sage et si digne :
page 130: «Les vieux feignent de ne pas entendre ce qu'ils ne veulent pas entendre. Ce n'est pas sur les oreilles que le temps agit, Bolivar, mais sur la tête et le cœur»,
page 214-215: «Vous me demandez donc de vous expliquer comment être un Homme ? Ce qui ne s'explique pas se révèle, Votre Excellence. Vous avez une âme. Écoutez-la, et vous serez surpris de tout ce qu'elle peut vous faire entendre !»
puis page 257-258: «Que gagne un homme dans la vie, Ibrahim ? L'argent ? le pouvoir ? Rien de cela ne fait bouger les os, crois-moi, mes jambes sont là pour en témoigner. Tout au long de sa vie, l'homme troque tout pour le souvenir. Il troque sa jeunesse pour des souvenirs de jeunesse. Il troque ses amours contre des souvenirs d'amour. Au bout du compte, il ne gagne de la vie que des souvenirs, c'est là son seul trésor.»
Et pour le coup, ce livre en est un (trésor) ! Les personnages sont magnifiques, participant pleinement à l'intrigue. Les thèmes abordés (la montée de l'oppression, la transmission des savoirs, la remise en cause personnelle du style «nous sommes acteurs de notre propre vie et certains de nos choix ne sont pas contraints») me semblent parfaitement maîtrisés. Le discours reste limpide et accessible à tous. Yamen Manai n'hésite pas à choquer ou à émouvoir son lectorat avec des apartés tantôt poétiques, tantôt sulfureux (je vous laisse découvrir les pages 223 à 227 d'où ce commentaire adressé à Yamen : «un message subliminal ?»). Toutefois, un regret énorme : un seul personnage féminin, Lia Carmen, splendide gitane, qui aurait bien mérité la présence de copines ! Et une dernière remarque: certains personnages présentent le même prénom, le contexte les démarque bien mais il est clair qu'un petit effort de mémorisation se met en place naturellement.
Roman visionnaire (écrit un an avant le «printemps tunisien» de janvier 2011), Yamen Manai délivre ses pensées et amorce davantage la charge (page 118 : «contrairement à ce que pensent les péripatéticiens de la fausse pureté et les zélateurs de la consanguinité, l'universalité du métissage ne noie pas la singularité du don») ... à méditer.
Éditions ElyzadVéritable pamphlet sur nos conditions de vie actuelle (où tout se transforme, où tout se décide vite sans concertation préalable, sans progrès majeur), La sérénade d'Ibrahim Santos rappelle que la modernité peut être source d'insipidité et de perte de repères, voire de despotisme lors de sa mise en œuvre. Santa Clara, lieu d'âmes sublimes (ne supportant pas le sacrifice de moutons ou la perte d'une trompette) respecte ses habitants et leurs cultures ancestrales (ici, point de baromètre pour prévoir le temps, juste l'écoute des sérénades du génial Ibrahim Santos ; pas d'engrais pour produire les meilleurs cannes à sucre du pays, la terre fertilise à son rythme ; tout conflit se règle à coups de rhum). L'oublier revient à nier cette démocratie locale (un modèle politique à sa façon) et à conditionner sa population, pourtant si sage et si digne :
page 130: «Les vieux feignent de ne pas entendre ce qu'ils ne veulent pas entendre. Ce n'est pas sur les oreilles que le temps agit, Bolivar, mais sur la tête et le cœur»,
page 214-215: «Vous me demandez donc de vous expliquer comment être un Homme ? Ce qui ne s'explique pas se révèle, Votre Excellence. Vous avez une âme. Écoutez-la, et vous serez surpris de tout ce qu'elle peut vous faire entendre !»
puis page 257-258: «Que gagne un homme dans la vie, Ibrahim ? L'argent ? le pouvoir ? Rien de cela ne fait bouger les os, crois-moi, mes jambes sont là pour en témoigner. Tout au long de sa vie, l'homme troque tout pour le souvenir. Il troque sa jeunesse pour des souvenirs de jeunesse. Il troque ses amours contre des souvenirs d'amour. Au bout du compte, il ne gagne de la vie que des souvenirs, c'est là son seul trésor.»
Et pour le coup, ce livre en est un (trésor) ! Les personnages sont magnifiques, participant pleinement à l'intrigue. Les thèmes abordés (la montée de l'oppression, la transmission des savoirs, la remise en cause personnelle du style «nous sommes acteurs de notre propre vie et certains de nos choix ne sont pas contraints») me semblent parfaitement maîtrisés. Le discours reste limpide et accessible à tous. Yamen Manai n'hésite pas à choquer ou à émouvoir son lectorat avec des apartés tantôt poétiques, tantôt sulfureux (je vous laisse découvrir les pages 223 à 227 d'où ce commentaire adressé à Yamen : «un message subliminal ?»). Toutefois, un regret énorme : un seul personnage féminin, Lia Carmen, splendide gitane, qui aurait bien mérité la présence de copines ! Et une dernière remarque: certains personnages présentent le même prénom, le contexte les démarque bien mais il est clair qu'un petit effort de mémorisation se met en place naturellement.
Roman visionnaire (écrit un an avant le «printemps tunisien» de janvier 2011), Yamen Manai délivre ses pensées et amorce davantage la charge (page 118 : «contrairement à ce que pensent les péripatéticiens de la fausse pureté et les zélateurs de la consanguinité, l'universalité du métissage ne noie pas la singularité du don») ... à méditer.
Du même auteur : la marche de l'incertitude
évasion musicale : Avant qu'elle parte - Sexion d'assaut (j'aime les voix, les paroles, la musique, le clip soigné ... une très belle chanson)
«Crois-moi sur parole on peut remplacer des poumons mais sûrement pas une daronne»
«T'es pas le nombril du monde mais t'es celui de ta maman»
«C'est la seule personne qui prie pour quitter ce monde avant toi»
«Même si la mort n'arrête pas l'amour»
Oups ! ... J'en parle dès que possible sur mon blog ;-)
RépondreSupprimerComment cela, oups ? J attends donc de te lire !
Supprimerça a l'air magnifique ! Je vais le commander :-)
RépondreSupprimerBisous Philisine :-)
J'ai vraiment aimé ce roman pour la richesse de la réflexion dégagée, la noblesse des personnages, son humour toujours présent et une certaine bienveillance qui me fait du bien. Bonne lecture, jolie Comète et bises.
SupprimerTon enthousiasme est communicatif pourtant pour moi un monde sans (presque!) aucune femme est un monde presque(!) désert... Enfin , tout de même avec tant d'éloges, on se laisserait bien tenter.
RépondreSupprimerOui, j'acquiesce mais ces hommes-là sont très sensibles et ont une part féminine assez développée, je trouve. Même si j'aurais bien souhaité deux ou trois personnages féminins en plus.
SupprimerCela fait plaisir de lire des chroniques aussi enthousiastes !
RépondreSupprimerJe vais finir par croire que j'en fais trop. D'un autre côté, quand j'aime,....j'aime !
SupprimerCe livre ne me tentait absolument pas mais à lire ton avis je le note. En tous les cas, une belle chronique !
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Emma, pour ce gentil mot : je te souhaite le même bonheur de lecture !
SupprimerQuelle magnifique critique! Voilà un livre qui ne me tentait pas.... eh bien maintenant il a rejoint ma wish list (le veinard.... ;-) ).
RépondreSupprimerMerci, Hélène. Je crois que ta wish list est toute contente aussi ! bises.
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