La Grève des électeurs - Octave Mirbeau ****

Pamphlet publié le 28 novembre 1888 dans Le Figaro, La Grève des électeurs étonne par sa modernité, les arguments qu'il énonce et les dérives qu'il dénonce. Lorsqu'on ouvre ce petit livre de 3€ seulement, outre la fraîcheur de la langue, on reste épaté de sa grande actualité. Pour Octave Mirbeau, le système de castes sociales perdure, monopolisant le pouvoir depuis des générations et perpétuant cette tradition bien française de courtisans politiques. La monarchie n'existe plus mais les privilèges et arrivistes restent, l'électeur («inexprimable imbécile, pauvre hère») ne sert alors qu'à avaliser ce système, lui accordant une légitimité citoyenne au moyen du vote. Aussi, Mirbeau préconise l'abstention (page 16 : «rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel»). Assez lucide sur l'évolution politique, l'auteur dénonce «cette Révolution (1789) qui n'a même pas été une révolution, un affranchissement mais un déplacement des privilèges, une saute de l'oppression sociale des mains des nobles aux mains bourgeoises et, partant, plus féroces des banquiers» (page 26). En ces temps de crise économique et de scandales financiers divers, je trouve ces derniers mots profondément convaincants ! Ce court texte, suivi de son Prélude daté du 14 juillet 1889, présente les arguments d'Octave Mirbeau mais à aucun moment n'énonce de contre-propositions politiques : d'où la faiblesse du propos ! S'en suit une belle et fine analyse de Cécile Rivière, les Moutons noirs, qui replace les écrits de Mirbeau dans le contexte politique originel, décrit l'ascension de l'auteur dans les sphères politiques (une espèce d'opportuniste, comme celui chanté par Jacques Dutronc). Octave Mirbeau s'est longtemps «recherché», ses idées et son aversion s'en ressentent.
Clairement, à l'heure d'aujourd'hui, ce pamphlet ne trouverait aucun quotidien pour sa publication (mis à part peut-être les journaux anarchistes). La désertion électorale reste un sujet délicat, seulement soulevé les soirs d'élection, jamais vraiment étudié par les politiques qui s'en désolent ou s'en affranchissent. 
Octave Mirbeau me semble oublier un élément important : certes, l'élection permet le plébiscite ou non d'un candidat mais la citoyenneté ne s'arrête pas à ce rendez-vous. Il me paraît évident que le mécontentement populaire ne se résume pas au passage d'un bulletin dans l'urne, qu'un politique élu doit rendre des comptes, que manifester ou faire grève restent salutaires démocratiquement (puisque ces actes notent une réaction populaire, inutile pour certains (qui ne la supportent plus) mais bien visible et audible pour tous). La démocratie, comme on la vit en France, reste un moindre mal, préférable à toute dictature ou à tout régime envisagé par les partis extrémistes, actuellement les seuls grands bénéficiaires de l'abstention.

Livre reçu et lu grâce à l'opération Libfly / un éditeur se livre avec les Éditions Allia, que je remercie infiniment. 

évasion musicale : Fly - Mark Orel

4 commentaires:

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    1. Il en arrive un petit deuxième (même prix, même nombre de pages et aussi moderne ... franchement, quelle lucidité de la part de nos prédécesseurs !)

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  2. Oui, c'est intéressant. Je ne connaissais pas du tout les engagements politiques d'Octave Mirbeau. En fait à part "Journal d'une femme de chambre" je ne connais rien de lui. Cela donne envie de revisiter l'histoire autrement grâce à la littérature.

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    1. Je ne connais rien de lui, à part ce court ouvrage, qui me donne furieusement envie de découvrir l’œuvre du bonhomme !

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