Jamais un livre ne m'a posé autant de difficultés. Obligée de le lire deux fois et de demander à une de mes collègues (mille mercis à Madame L.) le prêt de trois précis concernant l’œuvre pour confirmer une intuition, je me lance. Parce qu'après tout, je me dois de répondre à un défi tant littéraire (celui de Philippe avec son « un seul mot ») que personnel (non, je n'abandonnerai pas face à l'obscurité du discours). Alors ce monstre ? Juste, cette brave Antigone de Jean Arnouilh !
Œdipe est mort et c'est la chientlit. Ses deux fils ont choisi de se partager le pouvoir, s'alternant chaque année. Joli sur le papier, un peu moins dans les faits : l'aîné Etéocle, prenant goût à la res publicae, décide de ne pas lâcher les rênes et le frangin, Polynice, n'éprouve qu'une envie : lui faire mordre la poussière le destituer. Bref, un pataquès pas possible, un combat des chefs sanglant et au final deux héritiers défaits et quelque peu ... gisants. Créon, beau-frère d'Œdipe, devient le nouveau roi et pour punir l'allégeance de Polynice à l'ennemi, interdit à sa dépouille des célébrations funéraires. Antigone, sœur des deux défunts, ne l'entend pas de cette oreille.
Réadaptation du texte antique de Sophocle, Jean Arnouilh s'est permis quelques menues interprétations. Antigone, héroïne chétive mais hypnotique (attirant le regard des enfants et des mauvais garçons), fut considérée comme l'allégorie de la résistance face à une loi jugée inique. La première présentation de cette pièce en juin 1944, consolida cette impression. Pourtant, Jean Arnouilh, qui ne souhaitait pas être considéré comme artiste engagé, laisse transparaître bien des ambivalences chez ces personnages-anguilles d'un auteur qui ne se mouille pas (toute absence aquatique devient fatale aux poissons) :
. Antigone, au début, déterminée voire jusqu'au-boutiste, présente en fin de récit des interrogations sur les fins de son acte politique (de bravoure) ;
. Créon, dictateur, à la moralité douteuse, conscient de ses décisions caduques et surtout injustes (diviser pour mieux régner, apeurer pour consolider son pouvoir de nuisance) propose un dialogue avec sa jeune nièce effrontée, à laquelle il semble très attaché.
. des personnages secondaires au présent insipide ou à objectif comique : le fiancé Hémon évacué lors d'une scène fenestrale grandiloquente, la sœurette Ismène bien complaisante, la nourrice soucieuse d'un élément canidé, des miliciens au questionnement hautementphilosophique militaire (discours sur les différences métaphysiques entre un sergent et un garde) ou orthographique (élaboration d'un dernier billet).
Au final, un discours ambigu, des voies latérales ouvertes : chacun en prend pour son grade mais Arnouilh prend le soin de ne fâcher personne (normal que sa pièce ait pu sortir en juin 1944 sous une censure certes présente mais affaiblie par l'arrivée des GI, puisque rien dans ce texte n'évoque une dénonciation totale du système vichyste et de la collaboration) et c'est là, la grande faiblesse de ce texte riche en modernité (chœur bien présent, histoire divulguée en prologue, dialogues au lexique populaire, passages de pause salutaires) sous fond de tragédie familiale conservée. Plusieurs lectures contradictoires demeurent possibles. Reste à vous de choisir celle qui vous convient le mieux !
Éditions La Table Ronde
avis : Adeuxlignes , Eimelle
Réadaptation du texte antique de Sophocle, Jean Arnouilh s'est permis quelques menues interprétations. Antigone, héroïne chétive mais hypnotique (attirant le regard des enfants et des mauvais garçons), fut considérée comme l'allégorie de la résistance face à une loi jugée inique. La première présentation de cette pièce en juin 1944, consolida cette impression. Pourtant, Jean Arnouilh, qui ne souhaitait pas être considéré comme artiste engagé, laisse transparaître bien des ambivalences chez ces personnages-anguilles d'un auteur qui ne se mouille pas (toute absence aquatique devient fatale aux poissons) :
. Antigone, au début, déterminée voire jusqu'au-boutiste, présente en fin de récit des interrogations sur les fins de son acte politique (de bravoure) ;
. Créon, dictateur, à la moralité douteuse, conscient de ses décisions caduques et surtout injustes (diviser pour mieux régner, apeurer pour consolider son pouvoir de nuisance) propose un dialogue avec sa jeune nièce effrontée, à laquelle il semble très attaché.
. des personnages secondaires au présent insipide ou à objectif comique : le fiancé Hémon évacué lors d'une scène fenestrale grandiloquente, la sœurette Ismène bien complaisante, la nourrice soucieuse d'un élément canidé, des miliciens au questionnement hautement
Au final, un discours ambigu, des voies latérales ouvertes : chacun en prend pour son grade mais Arnouilh prend le soin de ne fâcher personne (normal que sa pièce ait pu sortir en juin 1944 sous une censure certes présente mais affaiblie par l'arrivée des GI, puisque rien dans ce texte n'évoque une dénonciation totale du système vichyste et de la collaboration) et c'est là, la grande faiblesse de ce texte riche en modernité (chœur bien présent, histoire divulguée en prologue, dialogues au lexique populaire, passages de pause salutaires) sous fond de tragédie familiale conservée. Plusieurs lectures contradictoires demeurent possibles. Reste à vous de choisir celle qui vous convient le mieux !
Éditions La Table Ronde
avis : Adeuxlignes , Eimelle
et un de plus pour les challenges de Philippe (un seul mot), d'Eimelle, de Sharon, de La Part Manquante et d'Enna (Prénom)
Ca me rappelle des mauvais souvenirs de lycée. Quelque part, je suis rassurée que le texte t'ait posé quelques problèmes aujourd'hui.
RépondreSupprimerJe pense avoir saisi toutes les problématiques (et on peut dire que ce texte court en recèle : une vraie mine d'or). J'attache beaucoup d'importance à la cohérence des personnages : ils sont apparus humains. Même, Créon, fieffé dictateur, montre une certaine sensibilité et ce discours-là me gêne. Un peu quand même.
Supprimerce livre est une logistique incontournable
SupprimerUne lecture pas facile, en effet. Mais oh combien gratifiante quand on arrive au bout.
RépondreSupprimerla lecture n'est pas une phase longue : arriver à saisir tous les tenants et aboutissants l'est davantage.
Supprimeret je trouve que le regard que l'on pose sur cette pièce évolue aussi avec l'âge, on se sent plus ou moins proche des répliques des uns ou des autres, une pièce relue plusieurs fois, et pas "vécue" de la même façon à chaque fois!
RépondreSupprimerOui, je partage complètement ton avis? Antigone, jeune adolescente, doit intéresser les jeunes gens de son âge. Il n'est pas idiot d'ailleurs de présenter cette belle héroïne en collège et en lycée.
SupprimerMerci pour ta participation !
RépondreSupprimerUne oeuvre au programme de 3e (je n'ai pas de 3e).
J'aime beaucoup cet auteur, que je n'ai pas lu depuis des années.
J'ai envie de défricher son œuvre maintenant (mieux vaut tard que jamais)
SupprimerCe texte a enflammé mon adolescence. Nous apprenions des passages par coeur et déclamions dans la rue. Beaucoup de passion chez Antigone. Elle se pose des questions bien sûr, elle doute mais elle va jusqu'au bout.
RépondreSupprimerOui, on revient au commentaire d'Eimelle. Oui, elle doute et va jusqu'au bout mais je me demande si Arnouilh n'a pas été "coincé" par l'Antigone de Sophocle et s'il n'avait pas prévu une autre fin. C'est une question qui me taraude l'esprit (j'ai des raisons de le penser).
SupprimerJe crois que je n'essayerai même pas!
RépondreSupprimerMerci pour ta participation et rendez-vous la semaine prochaine pour les résultats et la nouvelle contrainte;
Passe une bonne semaine.
Je sens que je vais adorer la nouvelle contrainte. Et dire que tu es responsable en partie de cet article, finalement je vais te remercier !
SupprimerJe ne l'avais pas lu comme ça et j'étais impressionnée par la détermination d'Antigone. Les failles, les faiblesses ou les ridicules des autres la mettent en valeur.
RépondreSupprimerMais ta lecture m'éclaire sur des aspects politiques auxquels je n'avais pas pensé. Merci de ce billet.
Ce sont les personnages de Créon (un dictateur un peu trop dans le dialogue) et d'Antigone (son déocuragmeent ) qui m'ont mis la puce à l'oreille car à la fin d ema première lecture, j'ai eu cette désagréable sensation de "ne pas sentir la pièce". Ma seconde lecture m'a permis de l'appréhender sous un angle nouveau. Ce qui est sûr est que Jean Arnouilh a créé une œuvre originale et quelque part inclassable, comme doit l'être tout bon classique qui se respecte.
SupprimerJ'ai étudié cette pièce à l'école... 2 fois ! Et j'en garde un très bon souvenir, je la relirai avec plaisir pour voir si je la perçois de la même manière sans le côté scolaire.
RépondreSupprimerJe crois que cela m'aurait bien plu d'étudier cette œuvre sous une forme scolaire. L'étude a dû être profondément riche.
SupprimerEtudiée au lycée (en même temps que la version de Sophocle) et non merci, je ne m'y replongerai pas même si j'en garde un bon souvenir !!! :D
RépondreSupprimerpourquoi ? tu as essoré la substantifique moelle !
SupprimerOuh làlà faut dire que tu as choisi un classique très... classique! (merci Hélène de ce commentaire pertinent, arf j'ai mal dormi!!). Pour avoir vu ce genre de pièce au théâtre, je sais que je ne me lancerai pas dans leur lecture!!
RépondreSupprimerHélène Choco a mal dormi et son corps se prépare tranquillement à ce que ces nuitées vont devenir !!! J'aime bien lire l’œuvre écrite puis voir le spectacle qui en découle. J'ai l'impression que cela complète le tableau.
SupprimerJe n'avais pas saisi les aspects politiques, tiens ! Pièce découverte en dernière année du secondaire, adorée, jouée aussi au cours d'art dramatique... Ce serait bien ma pièce doudou ;-)
RépondreSupprimerC'est super de vivre une pièce de théâtre de l'intérieur : j'ai vécu cette expérience en collège en 5ème et j'ai adoré.
SupprimerJe ne me souviens plus de rien ! C'est horrible à dire ! Nous avions étudié cette version. Ton billet me rappelle quelques petits trucs... minuscules.
RépondreSupprimermince, même mon billet ne te rappelle rien : la cata !
SupprimerUne pièce que j'ai beaucoup aimé... Subtile et pleine de philosophie !
RépondreSupprimeroui, beaucoup de questionnements en effet !
Supprimerlue au lycée, je me souviens que j'avais beaucoup aimé, mais ça remonte !!!!
RépondreSupprimermais, non, c'était hier ! (ou avant-hier !!!)
SupprimerÉtudiée au lycée... Peu de souvenirs... L'impression qu'elle m'agaçait, l'Antigone, non?
RépondreSupprimerelle est exaltante, motivée, intrigante, perturbée, déterminée : beaucoup de passion l'habite ! Tout sauf le calme.
SupprimerUne très belle pièce, très chère à mon coeur. Je te raconterai un jour pourquoi. :) Bisous
RépondreSupprimeroui et je serai là pour t'entendre. Bises (j'ai une petite idée avec l'émouvant dialogue entre Antigone et son fiancé).
SupprimerBonsoir Philisine, voilà une pièce que je devrait relire. J'ai dû l'étudier en son temps. Cela m'avait plu à l'époque. Je ne sais pas ce que j'en penserais maintenant. Bonne soirée.
RépondreSupprimerJe pense que tu l'aimerais encore car elle possède beaucoup de qualités, un vrai scénario à tiroirs. Finalemen Christopher Nolan avec Inception n'a rien inventé !!!
SupprimerUne pièce avec laquelle j'ai toujours eu du mal, comme les autres relectures antiques de la même époque, comme celles de Giraudoux. Sinon, en théâtre, je te conseille Le voyageur sans bagages d'Anouilh, très belle pièce.
RépondreSupprimerEt pour ce qui est de théâtre antique, j'avais eu l'occasion de voir l'an dernier des adaptations de Sophocle par Wajdi Mouawad (Electre était une des trois) : c'était magnifique !
Dis donc, Yohan, je ne veux pas partager mon Wajdi Mouawad ! (enfin celui d'Incendies ; je suis plus prêteuse avec celui de Temps).
SupprimerJe ne connais pas la version d'Anouihl, juste lu Sophocle et Racine à la fac. Je ne sais pas si j'y reviendrais un jour.
RépondreSupprimerNe jamais dire jamais !!!! (non, ce n'est pas une réplique de la pièce). Bises
SupprimerJe l'ai lu à l'adolescence, et j'avais beaucoup aimé !Tu me donnes envie de le redécouvrir.
RépondreSupprimereh bien, cela me ferait drôlement plaisr de découvrir ton avis dessus. Bises.
SupprimerPas assez de temps pour me plonger dans une lecture si difficile je garde les classiques pour plus tard .bises
RépondreSupprimerelle n'est pas si difficile : elle ouvre tellement de perspectives que cela en devient déroutant. bises
SupprimerTon billet me donne envie de lire ce classique, je note !
RépondreSupprimermerci, Natiora ! Bises
SupprimerJ'adore le théatre grec mais vu par Anouilh ça m'a l'air un peu complexe !!!
RépondreSupprimerNon, mais il ne s'est pas contenté d'une version soft. Bises
SupprimerJe remarque également -après la lecture de ton billet- que l'adaptation prend quelques libertés. Quelque chose me revient en tête aujourd'hui : Antigone fait allusion aux châteaux de sable qu'elle faisait sur la plage, cela fait très très contemporain dans le cadre d'une tragédie grecque, on frôle presque l'anachronisme. Aussi, les dialogues des gardes prêtent à sourire, je vois là également d'une volonté d'adaptation. Sans doute s'agit-il ici de rendre le texte plus accessible pour toute une génération d'élèves ou de lecteurs tout simplement.
RépondreSupprimeroui les seaux de plage et les pantalons des gardes : Arnouilh a orienté son récit vers la modernité, plus vendeur aussi.
SupprimerJ'aime ce livre, vraiment. Peu importe ses faiblesses. Il fait réfléchir, montre la diversité des âmes, indique que tout n'est pas noir ou blanc, et ce que vous signalez comme étant des simplifications ou des pas vers la modernité pour vendre plus, en permet aussi une lecture plus aisée pour ceux qui lisent peu, comme des élèves, par exemple. Rien n'est parfait, c'est vrai, et le mythe d'Antigone nous fait espérer, peut-être, quelque chose de plus grand. Mais il reste Sophocle.... et nous avons aussi Henry Bauchau.
RépondreSupprimerBonne semaine !
Oui, il reste Sophocle et Henry Bauchau tous deux à découvrir pour moi. Merci de votre passage et de la défense de ce texte intéressant et loin d'être aussi neutre qu'il n'y paraît.
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