J'aime beaucoup le titre de cet instantané de vie que narre Annie Ernaux. Il n'est pas d'elle mais de sa mère, souffrant en fin de vie de la maladie d'Alzheimer et dont les fulgurances étaient tantôt d'une extrême poésie, tantôt à côté de la plaque, souvent décalées. Annie Ernaux raconte dans "Je ne suis pas sortie de ma nuit." son accompagnement auprès de sa mère, le quotidien des malades, leur abandon au réel, la déchéance mentale et physique. L'autrice fait preuve d'une grande lucidité comme à son habitude, décrit sans mensonge, sans tromperie, brut de décoffrage mais sans heurter non plus. Il y a du tact, de la colère de voir sa mère partir, de ne pas pouvoir tout lui dire ; il y a la description des conditions d'hébergement en hôpital, le suivi des malades ; il y a le passé familial aussi. Il y a sa vie à elle aussi, chamboulée, en plein divorce et en construction d'un autre amour.
Je pense sincèrement que ce livre peut faire du bien aux personnes qui connaissent ou qui ont connu cette situation : vivre et accompagner une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer. Parce qu'ils reconnaîtront un moment ou un autre un passage vécu ou quasi similaire. Pour ma part, je n'ai pas été si emballée : Annie Ernaux arrive parfaitement à son but (comme toujours, elle est infiniment pragmatique et directe). Il m'a manqué l'émotion dans une partie du livre : j'ai senti que l'autrice écrivait plus avec sa tête qu'avec son cœur, que cette forme de retenue et de pudeur rendait sa prose hachée, irrégulière, pas assez fluide, peut-être percutante mais pas assez jolie et parfois répétitive. Il a fallu malheureusement attendre l'annonce de la fin pour que là les vannes s'ouvrent, que le cœur prenne toute la place, et qu'enfin on découvre des mots (toujours aussi) justes, simples et un contenu (très) habité. Oui, que le cœur prenne toute la place (je me répète) et qu'il parle de cœur à cœur (à partir de la page 105).
Mais Annie Ernaux l'exprime si bien, (et Delphine de Vigan également dans Rien ne s'oppose à la nuit le décrit aussi), il est difficile d'écrire sur sa mère parce que beaucoup de sentiments refoulés refont surface et peuvent gêner la prise de recul et la création. Et de ce point de vue, l'autrice a parfaitement réussi : ne pas se mettre en avant, montrer le couple mère-fille, leur relation jusqu'au bout complexe et pas toujours sereine.
Reste à savoir s'il faut dévoiler tous ses petits secrets avant le départ de l'autre : Annie Ernaux se questionne, éprouve un regret de n'avoir rien dit de l'Événement à sa mère. Je crois que contrairement à elle, il n'est pas indispensable que tout se sache, qu'on n'y perd pas en convivialité ou en proximité, parce que parfois certains problèmes sont nos problèmes et en aucun cas ceux des autres, et que c'est à nous de les résoudre et pas les autres.
Au-delà de la maladie dont traite ce livre, "Je ne suis pas sortie de ma nuit" porte un regard sur une relation familiale, un vécu, un regard sur la vie aussi et interroge le lecteur. Qu'écrire ce livre-là de cette façon-là est à la fois courageux et généreux. Donc intéressant.
de la même autrice :
J'ai lu un certain nombre de livres d'Annie Ernaux, mais pas celui-là. Je le ferai un jour.
RépondreSupprimerChouette, j'ai hâte de connaître ton avis dessus.
SupprimerUne autrice que je n'arrive pas à lire, malgré deux essais
RépondreSupprimeret je peux comprendre complètement ces "ratés". La forme d'écriture d'Annie Ernaux n'est pas lyrique, assez directe. Je comprends donc tout à fait qu'elle ne convienne pas à tout le monde, qu'elle ne fasse pas l'unanimité. J'ai besoin de m'installer chez elle (par exemple pour Les années, j'ai lu 80 pages avant d'adhérer et de m'adapter ; pour celui-ci, ce fut plus rapide même si je le dis, j'ai moins adhéré à la forme de la grande première partie). Je suis très sensible à son discours et il y a des phrases directes, si justes, qui m'embarquent complètement. Pour moi, c'est une autrice majeure de ma vie de lectrice, parce qu'elle arrive à m'emmener là où elle veut, elle m'éveille tout simplement ... au monde qu'elle a connu jeune, à mon pays et ce qu'il est devenu.
RépondreSupprimerbizarrement, ayant vécu l'histoire personnellement puis ayant travaillé dans ce domain il y a quelques années, je fais une pause - nécessaire. Je crois que j'en connais trop de cette maladie. Sinon, j'avais beaucoup aimé le roman de Delphine de Vigan
RépondreSupprimerJ'ai adoré le roman de Delphine de Vigan. Là, on est sur quelque chose de plus "quotidien", plus descriptif, moins lyrique.
SupprimerUn sujet qui ne me tente pas, malgré tout le talent de l'auteure.
RépondreSupprimerje comprends. Moi, c'est le côté "court" du témoignage qui a enlevé la décision de lire ce récit. Et le nom de l'autrice aussi !
SupprimerJe ne suis pas tentée par ce livre car je ne pense pas ressentir vraiment d'émotions vu que je n'ai pas vécu ce qu’elle a vécu : je risque de passer à côté de quelque chose.
RépondreSupprimerAprès, cela n'a pas dû être évident pour l'autrice de mettre les mots sur ce qu’elle ressent intérieurement surtout, quand on sait que l'on peut être lu par plusieurs lecteurs.
Chez Annie Ernaux, l'émotion n'arrive pas tout de suite. En fait, elle l'a provoque par l'accumulation de faits, par ses mots, de façon progressive, pas de façon frontale et directe. C'est étonnant et rare.
SupprimerJe n'ai encore jamais rien lu de cette auteure. Il faudra que je remédie à ça !
RépondreSupprimerBonne nuit !
Je en sais pas si l'univers d'Annie Ernaux te plairait. Je suis vraiment curieuse de savoir ce que tu en penses.
SupprimerIl est très beau ton billet :) ce genre de sujet me fait fuir généralement mais tu en parles si bien...
RépondreSupprimermerci, très chère amie !!!! Plein de bises.
Supprimeroh là là miracle mon billet passe je suis dans un bon jour ! j'en profite pour en poster un deuxième, vite vite avant que le miracle prenne fin :) bisouss
RépondreSupprimerMerci de ta ténacité, plein de bises.
SupprimerJ'aime beaucoup Annie Ernaux. Je n'ai pas lu ce titre mais j'y compte bien. Oui, ton billet est beau (et intéressant).
RépondreSupprimerMille mercis pour ton gentil mot. Annie Ernaux est une autrice majeure dans ma vie de lectrice, elle ne me laisse jamais indifférente.
SupprimerTrop longtemps que je n'ai pas lu Annie Ernaux. "La place" reste de très loin mon préféré.
RépondreSupprimerC'est en effet un très bon, même si j'ai été davantage marquée par L'événement.
Supprimerça fait trop longtemps que je ne suis pas venue chez toi! Annie Ernaux n'est pas pour moi, je n'aime pas son style - je me mets à poil… même si c'est un brin différent ici?!
RépondreSupprimerOk. Je ne suis pas sûre que ce livre soit pour toi, en raison du style toujours prégnant de l'autrice.
SupprimerDoit pas être trop gaie Annie, je ne l'ai jamais lue, elle passe pour être une belle plume. Peut-être un jour...bises!
RépondreSupprimerEssaie La place, L'événement et L'autre fille. Bises
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