Les livres à l'épreuve du temps # 9 : Villa triste **** vs Un pedigree *** - Patrick Modiano

Dans Villa Triste, d'un héros (Victor Chmara -nom d'emprunt-, en quête d'envie littéraire et d'horizon lointain, qui claque l'argent d'on ne sait où, à Annecy où il séjourne jusqu'à plus d'envie), on passe à deux (Yvonne Jacquet, actrice débutante, envoûtante jeune femme, au cœur sentimental chancelant mais qui souhaite toutefois assurer ses arrières) puis à trois (René Meinthe, entremetteur, plus porté par la gente masculine, et qui aime se lancer des défis).
Dans Villa Triste, il y a de l'argent qui coule à flot et d'origine obscure sinon douteuse, un concours hallucinant de descente de voiture, des mécènes et des frivoles, une ambiance du Sud, beaucoup de légèreté et finalement peu de construction d'avenir : tout est possible mais rien n'est fait !

Dans Un pedigree, il y a une forme de gravité : l'image paternelle est explorée. Dans Un pedigree, Patrick Modiano se met à nu, met à nu son père, raconte son enfance, le couple libre de ses parents, sa difficile relation avec son père, l'infinie et inconsolable tristesse de l'absence du frère (Rudy, parti trop tôt), la solitude d'un jeune garçon qui a manqué de repères parentaux, de foyer chaleureux (certainement aimant, à leur façon ; distant, ça c'est sûr). Ce qui surprend dans Un pedigree, c'est la figure de l'enfant qui s'est construit au milieu d'adultes plus ou moins proches de ses parents, dans des institutions, et la confiance aveugle (pour ne pas dire irresponsable de ces derniers à laisser leur progéniture à de vagues connaissances, parce que cela arrangeait leurs affaires -de cinéma, de théatre pour la mère, de commerce pour le père-).

Contrairement à Villa triste (histoire plutôt réduite en nombre de personnages), Un pedigree recense tout l'entourage de l'époque : chaque protagoniste porte un prénom, parfois un nom, parfois une initiale. La seule qui n'hérite pas d'identité propre est la fameuse seconde femme du père, celle qui l'a éloigné de son fils Patrick. Cette Italienne a le droit d'être uniquement comparée à une comédienne connue de l'époque  (Mylène Demongeot) et d'être résumée ainsi : la fausse Mylène Demongeot (avec tout ce que l'adjectif fausse sous-entend : fausse, qui n'est pas vraie - fausse, qui n'est pas honnête. Et reconnaissant l'esthétisme modianesque dans le choix des mots, on peut sans conteste considérer que les deux sens sont employés simultanément ici). 

Dans les deux écrits, on retrouve la précision des faits, des détails si chers à Patrick Modiano, le juste mot, le bon mot à la virgule près. Le texte est travaillé, les ambiances sont installées, tout est propre et logique. Dans Un pedigree, Patrick Modiano se livre sans tabou, avec mesure, exprime ses sentiments de "petit", son recul de "grand". Dans Villa triste, on est dans un roman complètement ancré avec les thématiques favorites de l'écrivain nobelisé : des personnages au passé trouble ou sans passé, au futur incertain, à l'identité peu confirmée dont on explore un instantané de vie.

Comme d'habitude, on quitte les deux œuvres avec contentement parce qu'avec Modiano, on ne risque rien, à part de belles phrases, une réelle sincérité et l'envie de continuer le chemin (enfin, c'est vrai pour ce qui me concerne). Même si je reconnais  que ces deux œuvres sont moins punchies, moins frappantes que Rue des boutiques obscures et Dora Bruder qui pour moi restent des moments de littérature exceptionnels, chacune d'elles laisse une trace : témoignage d'une profonde tristesse pour Un pedigree (ou comment se construire dans l'absence et dans l'attente ?), image volubile et arty pour Villa triste.

Collection Quarto Gallimard

avis sur Villa triste : Ingannmic,

avis sur Un pedigree : Geronimo, Sharon, notre Galinette nationale qui nous manque beaucoup, Mimipinson,

Du même auteur :
Rue des boutiques obscures
Dora Bruder
Souvenirs dormants

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