Je ne suis pas certaine d'avoir totalement compris l'expérience de vie Comme un ciel en nous de Jakuta Alikayazovic. Je précise : j'ai bien compris que l'autrice a passé une nuit dans le musée du Louvre à contempler beaucoup la Vénus de Milo, que ce temps passé dans ce musée lui a permis de convoquer des souvenirs partagés avec son père (dont leurs escapades au Louvre et un oubli momentané par exemple), de rappeler le passé d'exil de ce père, les remarques mesquines et le racisme ordinaire dont lui et sa fille ont souffert, le sentiment de se battre dix fois plus que d'autres pour obtenir la même chose, le sentiment toujours de batailler pour obtenir la confiance et l'estime d'autrui, la volonté de s'intégrer au point de renier momentanément la langue d'origine pour apprendre celle d'accueil, d'évacuer le prénom d'origine parce que jugé hors sol, au risque de se construire un autre soi, décalé de celui d'origine. Tout cela, je l'ai compris. Mais je crois sincèrement qu'à l'issue de cette lecture, je n'ai pas complètement cerné la figure paternelle de Jakuta Alikayazovic (et c'est peut-être voulu par l'autrice donc dans ce cas, c'est gagné !), pas cerné totalement, à part sa passion des arts et ses petits secrets, sa complicité avec sa fille, sa fantaisie, son envie de rester libre et de faire fi des préjugés. Je crois que je n'ai pas complètement cerné la figure du père parce que son arme de défense m'a semblé être l'esquive ("un camouflage par flamboyance" page 109) plutôt que le combat, la suggestion ("Et toi, comment tu t'y prendrais-tu pour voler la Joconde ?") plutôt que l'affirmation, le risque de suspicion plutôt que l'argumentation de son innocence ou d'assumer sa culpabilité, bref le courage (et pourtant ce haut personnage en a fait preuve et en a à revendre). Est-ce aussi lié au choix de l'écrivaine de ne pas tâcher l'image paternelle ? Bref, je reste avec ma question et je n'ai pas trouvé la réponse, juste des propositions.
Au-delà des images et des instantanés de vie remémorés, l'autre très grande qualité de Comme un ciel en nous est l'écriture de Jakuta Alikayazovic : le récit est remarquablement écrit, avec un style splendide. L'autrice décrit les lieux du musée, rappelle les anecdotes (l'arrivée en France, les instants scolaires, l'apprentissage de la langue, le poids des mots entourés par le père puis non utilisés par la fille romancière, les blessures d'amour propre, les remarques dégradantes, les détails des œuvres picturales, comptés et recomptés). Il y a une réelle pudeur et une infinie tendresse qui se dégagent dans ce texte beau, solaire, impitoyable et court. Une parenthèse littéraire et artistique qui s'apprécie comme un moment suspendu et bienvenu, un moment sur des époques révolues, qui porte haute la réflexion sociologique, géopolitique, humaine tout simplement.Éditions Points
Prix Medicis essai 2021
page 47 : Il croyait qu'une identité pouvait s'inventer, se créer comme on crée une œuvre d'art et, comme une œuvre d'art, tout en étant créée de toutes pièces, ne jamais manquer de naturel. Il croyait qu'on peut se choisir des valeurs pour patrie. Les nationalismes le répugnaient. Lui, il voulait vivre dans la beauté.
page 93 : Certaines phrases, en apparence anodines, en apparence bienveillantes, vous sont assénées par des gens qui brûlent de vous blesser. Ces gens-là, on les reconnait non pas à la douleur qu'ils vous causent et qui pourrait très bien être, comme ils le prétendent si vous leur en laissiez l'occasion, le fruit de l'ignorance ou de la maladresse ; ce qui les trahit, c'est l'intensité du regard qui suit, car ils vous scrutent. Ils vous étudient, et leur art, leur jouissance, est dans la peine qu'ils vous causeront - ou plutôt dans les signes qu'ils en verront sur vos traits.
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