La marche de l'incertitude - Yamen Manai ****


Il y a des rencontres comme cela qu'on n'oublie pas : celle que j'ai vécue (et rapportée) avec Libfly et Deux éditeurs du Maghreb à Lille en fait partie. Ce fut pour moi l'occasion de découvrir et d'apprécier un jeune auteur présent (et bien présent, vif et profondément humain, brut de décoffrage, affirmant des principes et les argumentant : quelqu'un qui assume ses opinions, quelqu'un qui s'assume !). J'ai nommé Yamen Manai. Sous le charme et motivée à lire les œuvres de Monsieur, je me suis attelée à la première : La marche de l'incertitude. J'ai bien fait !

Il y a des amours qui survivent à l'éloignement géographique, à la durée de séparation, au hasard maître des dés (alea jacta es) : celui de deux jeunes enfants de Sidi Bou Saïd, celui d'une jeune maman célibataire pour son enfant, celui d'un colonel pour un orphelin, celui d'un peintre tchèque pour une future fleuriste : tous et à la fois uniques, on les voit déambuler, en manque d'une moitié arrachée par le sort (ici, l'histoire d'un œuf gobé par erreur, là celle de moutons suicidaires,...). Le sort s'acharne et puis rassemble. On y découvre Marie et Christian brillants mathématiciens, les «Bohémiens» Rima et Milan, le romantique Boblé au cœur si généreux, le fantasque Haj Souleymane enfin, la naïve et crédule Sophie. Le moment est délicieux, on aime les personnages, on sourit de leurs facéties et leurs maladresses, on s'épanche sur leurs rencontres éventuelles, on respire la Tunisie et puis Paris. La prose est toute jolie, en rondeurs, semblable à un conte des Mille et une nuits. A la manière géniale d'Anna Gavalda, Yamen Manai nous apporte que du bonheur en le lisant : qu'il continue ! 
 


Éditions Elyzad

à ma maison

évasion musicale : Je reste - Amel Bent 
Hommage à Benoît Poher, chanteur de Kyo et l'auteur de si belles paroles et musique de cette chanson, interprétée avec force, conviction et retenue par Amel Bent (très belle dans la vidéo comme son séduisant partenaire, alias Karl E. Landler qui est quand même à tomber par terre dans ce clip)
 
 

Les vacances de P.C

Voilà, enfin elles arrivent (elles n'ont jamais été aussi proches)...mais qui donc ?... Les vacances ! Si vous voyez mon blog au ralenti, c'est normal, je suis en visite européenne. Je vous encourage à visiter mes cop blogs listés et à relire certaines de mes fiches (si le cœur vous en dit, marquez un petit commentaire : le mien de cœur sera ravi !) . Pour me dévoiler davantage et vous faire patienter, voici mes réponses (et non réponses) à un questionnaire proposé par Miss Liliba

1. Y-a-t-il un moment de votre passé que vous aimeriez revivre, du genre, on rembobine la cassette et on appuie sur replay pour tout recommencer d'une autre façon ?
Dans le passé, oui j'ai rêvé qu'un moment magnifique se repassait en boucle, parce que je vivais avec des souvenirs, avec le passé, jusqu'à ce que je grandisse enfin et que je profite de l'instant présent. 

2. Pourquoi avoir créé un blog ? Qu'est-ce qui vous a motivé pour commencer ?
J'ai eu l'idée de créer mon blog, il y a trois ans mais mon aide-concepteur, mon cher A., était assez dubitatif  car il ne me voyait pas pas taper mes avis (il pensait à tort que c'était une lubie de ma part). Avec le temps, j'ai peaufiné ce que je souhaitais trouver dans mon blog, je l'ai finalisé. Cette période de réflexion m'a aidée (c'est pour cela que je n'en veux pas à mon A. !). Après, une gentille remarque de Catherine et la nouvelle motivation de mon A. l'ont emporté !
 
3. Votre plus gros défaut ?
J'ai des défauts, mais je pense que le principal reste mon intransigeance politique : je ne supporte pas les relents détestables de racisme, de xénophobie, les discriminations en tout genre (sur les femmes, sur les arabes, sur les juifs, ...), les stigmatisations (sur les chômeurs, sur les rmistes, sur les plus pauvres, sur les Grecs, ...), toutes ces paroles qui nous séparent et nous isolent. Je reste traumatisée par la Première et la Seconde Guerres mondiales et par les génocides. Je n'arrive toujours pas à comprendre cette barbarie.

4. Et votre qualité première, celle dont vous êtes fière ?
Mon écoute et ma fermeté sur mes principes d'humanité et de respect : j'ai appris à aimer ce que je suis devenue, du coup j'aime mieux les autres aussi !
 
5. Si vous étiez un personnage de roman (ou de film), vous seriez...
Madame de Rénal  (pour le roman) et Bridget Jones (pour le film Le journal de Bridget Jones,... rien que pour entendre la magnifique déclaration d'amour de mon Colin chéri)

6. Qu'est-ce qui vous fait éclater de rire ?
L'imprévu, des scènes cocasses lues dans des romans, des sourires, des remarques inattendues : un éclat de rire ne se prévoit pas et en est d'autant plus savoureux !
 
7. Vous avez une idée ou une envie, êtes-vous du genre à déplacer les montagnes pour arriver à vos fins, ou bien attendez-vous que les choses viennent à vous ?
Je suis prête à prendre des initiatives mais pas au point d'écraser les autres pour arriver à mes fins : alors je dirai que seul, mon jugement critique et moral me dicte ma conduite.
 
8. Si vous étiez très riche (par exemple, vous gagnez au loto, on peut toujours rêver, non ?), que changeriez-vous dans votre vie ?
Je travaillerais à temps encore plus partiel, j'essaierais surtout de ne pas tout changer (parce que ma vie actuelle me convient parfaitement).  

9. Pourquoi votre meilleure amie est-elle votre meilleure amie ?
J'ai de nombreux amis(ies) qui m'aident et m'entourent (ou m'ont bien entourée dans des moments difficiles) : tous sont importants dans ma vie, les hiérarchiser est impossible ! 
 
10. La famille, pour vous, ça représente quoi ?
C'est mon tout, mon moi, mon équilibre, une de mes raisons de vivre, mon ancrage dans le monde, la plus belle chose que j'ai construite !  
 
11. Racontez-moi un truc inavouable !
Impossible puisque c'est inavouable (oui, je sais être une petite joueuse, bande de curieux(ses) !)

Un rideau d'arbres - Richard Baron / Olivier de Solminihac *****

Un livre magnifique et une belle surprise m'attendaient dans ma boîte aux lettres : le petit dernier des Éditions Light Motiv et aussi de l'opération Libfly/ Un éditeur se livre les éditions Light Motiv (tout a une fin et c'est bien dommage : on s'habitue aux bonnes choses, ma foi !). 

Mélange original et réfléchi, Un rideau d'arbres se présente sous une forme de ritournelle littéraire et photographique. Très imprégnés par la cité 1940 de Libercourt, Richard Baron a photographié les visages, les paysages (avec les fameux terrils, redécouverts à l'occasion de l'ouvrage éponyme de Naoya Hatakeyama dans la même édition), la nature, les objets qui nous entourent (ceux qui nous rassurent, qui nous lient) pendant qu'Olivier de Solminihac s'en inspirait pour imaginer dix courtes histoires avec des pépites splendides (et je pèse mes mots) : Le sel (une quête personnelle des larmes après un voyage éprouvant à Auschwitz), Un jour, elle bondira (l'envol prochain d'une sœur sous fond de Into the Wild... un grand moment, très émouvant), Cinéma (où fiction et réalité se mêlent à la façon d'un Lynch...réussi sous fond de terril, of course), Les trophées (une vraie philosophie de vie qu'il est bon de s'approprier pour ne pas se perdre en futilité), En attendant (où une invitation à l'apéritif sème le trouble chez un jeune couple de retraités : grandiose), D'u qu'i sont (où un merci prend une place infinie dans nos cœurs) et L'enveloppe (où un absent n'a jamais été aussi présent). Je l'avoue, j'ai été moins sensible aux fantômes (Filtres et Un jardin de fantômes). Chaque nouvelle est  annoncée par son titre à droite et une image à gauche, puis précédée de quatre à cinq photos s'y rapportant et se finit sur un court paragraphe à gauche et une image à droite. Entre deux, une interlude photographique. 
La qualité du papier est remarquable, les photos choisies par Richard Baron complètent la compréhension du texte d'Olivier de Solminihac, montrant la diversité des regards, des ambiances, la beauté des paysages, les arbres centenaires, qui nous enterrent tous, l'universalité des histoires.
Un livre hommage à la région natale des auteurs (tous deux viennent de Lille), aux habitants de la cité 1940 qui se sont prêtés à cette œuvre collective, aux habitats parfois vétustes mais toujours en reconstruction... un beau cadeau pour tous !





Un très grand merci à Libfly et aux Éditions Light Motiv pour leur confiance et pour cet envoi précieux.

Note personnelle : Grâce à Libfly et Light Motiv, j'ai pu déguster d'autres splendides ouvrages dont voici la liste (en cliquant dessus vous retrouvez mes fiches de lecture) :    
     Balise                    Marin                     Terrils        

les derniers jours de Stefan Zweig - Laurent Seksik ****

Mon très cher comité de lecture proposa dans sa nouvelle sélection, Les derniers jours de Stefan Zweig. Étant une fan absolue de cet auteur, je ne fus pas longue à me décider. Résultat : j'ai bien aimé !
Laurent Seksik a effectué un travail de recherche impressionnant pour tenter d'expliquer cette partie de vie de l'auteur autrichien et les raisons de son suicide. Stefan Zweig a fui l'Allemagne nazie en compagnie de sa seconde épouse Lotte Altmann (Lotte, pour certainement Charlotte, son deuxième prénom). Véritable apatride mais dont on rappelle à chaque nouvel exil sa nationalité compromettante (il n'est pas bon d'être né autrichien lorsqu'on se réfugie en Angleterre par exemple) et malgré la raison de sa fuite : l'envie de survivre lorsque la judaïcité est considérée comme un «délit» menant à la mort en Allemagne, en Autriche, en Pologne et bien sûr en France !  Dans cette apnée stéphanoise au Brésil, on le découvre morbide, sinistre, empreint d'un sentiment de culpabilité de vivre et d'impuissance face à l'horreur alors que d'autres meurent en masse (il découvre que les villes comme Varsovie et Vienne «se vident» de leur communauté juive), entouré d'intellectuels fidèles (Bernanos et surtout, Ernst Feder, d'une très grande lucidité sur le devenir de son ami, annonciateur avant l'heure de son destin tragique), tout aussi déprimés par cet éloignement géographique choisi mais non désiré. 
On constate à quel point son œuvre et lui-même furent en interconnexion jusqu'au bout:  son essai sur Kleist dont la fin de vie reste une copie conforme de celle de Zweig, (page 159 Feder à Zweig « Tu ajoutes, si mes souvenirs sont bons, qu'il fut le plus grand poète d'Allemagne parce que sa fin fut la plus belle. Tu sublimes sa mort... Rassure-moi, lorsque tu écris que sa mort est un chef d’œuvre , c'est un effet de style ?»), son héros Jérémie etc. Et puis, même à Pétropolis près de Rio, arrivent les lettres de menace (page 139 :«Nous t'avons retrouvé. Nous allons te crever, toi et ta chienne juive»), le sentiment d'oppression et la chute de Singapour : nous sommes le 17 février 1942.
Au cours du récit, se dessine pour moi la plus grande réussite du livre, celle qui l'aurait fait basculer dans l'excellence si elle avait été mieux exploitée : le personnage de Lotte ! Magnifique, soumise, complexe, d'une intelligence rare et d'une grande finesse, elle aspire à vivre quand son sexagénaire de mari (ils ont 25 ans d'écart) s'enfonce dans les abîmes. Ils s'aiment malgré l'omniprésence intellectuelle de la première femme de Zweig, Friderike, celle qui a vu son homme partir pour une plus jeune, sa secrétaire, celle qui a fait le choix de vivre et d'espérer à New-York. Ce livre, très porté sur son héros masculin, est éclairé par ses beaux personnages féminins : quel dommage de ne pas l'avoir autant exploité ! On serait sorti d'une biographie abrupte pour accéder à une fiction plus raffinée et toute aussi plausible. Le style de l'auteur y aurait gagné en fluidité et perdu en démarche quasi-chirurgicale. 
Malgré ce défaut, la lecture de ce livre nous rappelle les horreurs de la guerre, une piqûre indispensable pour haïr et hurler face aux «détails nauséabonds» de certains dirigeants politiques français, pour ne pas oublier la compromission de nos peuples face à ce génocide.
La dernière scène est tout simplement magnifique : ce mercredi 22 février 2012, nous en fêterons le soixante-dixième anniversaire.

Éditions Flammarion

emprunté à ma biblio chérie (mais cela, je pense que vous l'aviez deviné)

évasion musicale : Set fire to the rain - Adele

Itinéraire d'une adulte gâtée par une belle soirée... organisée par Libfly.com

Ayant reçu six ouvrages de très haute qualité littéraire par l'opération Libfly/Deux éditeurs se livrent spécial Maghreb et habitante de la métropole lilloise, je me rends à la rencontre du 13 février 2012 à l'auditorium des Beaux-Arts, très motivée de découvrir la belle Kaouther, le séduisant Yamen, les illustres Elisabeth, Marie et Sofiane. Toute fière, j'ai emmené un carnet et pas de stylo : zut, la soirée commence bien !

À ce propos, elle commence et même débute à l'heure. Christine Mercandier, brillante modératrice, entame le tour de table par les éditeurs puis les auteurs. Elisabeth Daldoul (Elyzad) et Sofiane Hadjadj (Barzakh) nous racontent leur début dans la profession : on sent l'implication militante chez Elisabeth (celle de gagner sur la censure, d'offrir à tous les Tunisiens un brin de liberté par la lecture, à défaut de celle physique et de conscience et malgré les problèmes techniques récents : plus de papier en imprimerie pour les poches Elyzad avant avril) ; Sofiane, lui, revendiquant le choix d'abord de faire ce métier, celui qu'il a choisi après des études françaises en architecture. On a le droit aux premières anecdotes : l'estafette blanche de Barzakh sillonnant l'Algérie pour retrouver les 50 librairies du pays, le nom de Barzakh (l'isthme, l'entre-deux mondes mystique, là où on n'est pas tout à fait mort mais où on ne fait plus partie des vivants). Chacun explique la difficulté d'exercer ce beau métier mais aussi les ressources incroyables d'adaptation qu'il peut générer. Intervient ensuite Marie Desmeures (Actes Sud) en partenariat privilégié avec Barzakh et en collaboration prochaine avec Elyzad (ce fut annoncé devant témoins!).

Arrivent ensuite les auteurs : tout d'abord Kaouther Adimi, jeune écrivaine et auteure du magnifique L'envers des autres, polyphonie intergénérationnelle d'Algérois publiée par Barzakh, puis Yamen Manaï auteur de deux ouvrages La Marche de l'incertitude et La Sérénade d'Ibrahim Santos chez Elyzad Poche. Tous deux lisent un morceau de leur texte (pour Kaouther, présentation de Kamel, et pour Yamen, lecture de la préface, qu'il n'avait pas prévu d'écrire mais les événements tunisiens de janvier 2011 en ont décidé autrement, différant la publication de la Sérénade). Tous deux, si différents mais si proches dans la démarche artistique : Kaouther dédiant son livre à ses personnages, Yamen précisant qu'à partir d'un moment, le texte s'impose à lui, qu'il ne peut pas faire ce qu'il veut de ses personnages, que ces derniers deviennent ses propres guides ! Kaouther et Yamen ont choisi de quitter leur pays d'origine pour ne plus subir le carcan local, pour ne pas sentir l'oppression. Kaouther précise qu'elle s'est autorisée à finir l'Envers des autres en quittant l'Algérie, Yamen n'a pas conçu de livre ailleurs qu'en France. Ce recul géographique est reconnu comme salutaire par Elisabeth Daldoul qui en aparté m'a précisé que certains auteurs tunisiens restaient trop tendus par les difficultés de vie sur place et du coup, atrophiaient une part non négligeable de leur créativité. Kaouther et Yamen ont aussi conscience d'écrire des livres universels dans le sens où le lieu de vie de leurs personnages importe peu, où les problèmes abordés restent valables partout. Yamen Manaï a volontairement créé un site inexistant Santa Clara pour son livre La Sérénade. Comme il le précise, il y a au moins vingt Santa Clara dans la région du monde considérée. Tous deux abordent la société dans sa richesse, sa globalité et sa mixité, leur bilinguisme en toute honnêteté : Kaouther nous narre sa schizophrénie linguistique (née dans un milieu arabisant et arabophone, elle a appris à lire et à écrire en français pendant son séjour grenoblois entre ses 4 et 8 ans, avant d'écrire et de lire l'arabe. De ce fait, elle pense en arabe et écrit en français). Yamen a appris à lire et à écrire en arabe mais le fait de quitter assez tôt la Tunisie pour rejoindre la France, l'a rendu plus à l'aise dans le lexique francophone, enfin pour l'instant (mais il ne désespère pas de créer une fiction dans sa langue maternelle). Vient aussi la question de la difficulté que rencontrent les jeunes auteurs à être publiés en France et aux Pays du Maghreb : Yamen et Sofiane confrontant leur point de vue et ne semblant pas tout à fait d'accord ; Yamen essuyant une lettre de refus alors que l'envoi du manuscrit datait de moins d'une semaine, Sofiane prétextant que tout manuscrit de qualité sera lu et publié. Je précise que malheureusement, je reste de l'avis de Yamen : trop d'auteurs illustres en France publient leur soupe annuelle et malheureusement prennent la place d'autres plus méritants.

Au cours des deux heures trente, sont abordées les questions des contributeurs de Libfly et du public : la place du livre en Algérie et en Tunisie, l'espoir (peut-être vain mais non improbable) d'un meilleur pour la littérature maghrébine, l'avenir de la lecture dans les écoles, l'approvisionnement des librairies, le militantisme ou non, l'universalité ou non (Sofiane Hadjadj précisant qu'on ne peut recourir qu'à l'universalité si on est installé à un endroit et qu'il défend à quiconque de le réduire à sa nationalité, à sa ville, à sa langue, à sa culture : on est un et multiple à la fois !). Leurs mots sonnent justes et me plaisent : le «mal du livre», devenant un vrai baromètre de la dictature (les assauts répétés contre La princesse de Clèves et la remontée à 7% de la TVA sur les livres deviennent révélateurs d'une démocratie française en berne). Suit le devoir de mémoire que chaque pays se doit de traiter pour ne pas répéter les événements, pour aussi les comprendre : ainsi préconisent Sofiane Hadjadj et Yamen Manaï. Apprendre l'Histoire et non un roman historique comme le souhaitent certains tyrans et autres anciens officiels français pour éviter les questions fâcheuses, les remises en question déroutantes, pour enfermer leur peuple dans une histoire à l'eau de rose imbuvable et stérile, pour le rendre sans passé et donc sans avenir (clin d’œil à une jolie et si juste remarque de Bluedot), pour l'empêcher d'avancer et de réfléchir : combien de temps a-t-il fallu aux Français pour apprendre la période de la collaboration, pour renommer les événements d'Algérie en guerre franco-algérienne ? Yamen Manaï a précisé que souvent cet effort de mémoire était précédé par les fictions des écrivains qui, en les élaborant, arrivent à cette vérité commune. On y parle de civilisations et d'animalité : le débat vole haut mais on suit très bien !
La soirée se termine : les auteurs se plient gentiment aux dédicaces. Muette devant la belle Kaouther (sauf pour l'abreuver de remerciements pour le moment fantastique que j'ai passé avec «ses» personnages, alors que plus tard une question la concernant m'a taraudée.), je suis plus encline à demander la profession d'Yamen Manaî, à en discuter (il vit sous des algorithmes tous les jours), à lui demander « quand écrivez-vous ?» et à entendre sa réponse « quand il n'y a rien à la télé, que rien ne me gêne...entre minuit et 3h du matin : vous ne trouvez pas que j'ai des cernes ? », ce à quoi je lui réponds «vous êtes frais et très inspiré ce soir : j'ai beaucoup aimé vous entendre et j'ai très envie de vous lire».

Me voilà de retour avec deux livres dédicacés, un sourire aux lèvres, confortée par de belles rencontres avec des humains profondément ancrés dans le monde (notre monde), à l'écoute des autres et dans le but de nous élever : chouette programme, non ?

                                                                                                         P.C, le 14 février 2012

photos Olivier Milleville pour Libfly (je remercie vivement Olivier et Libfly de m'avoir autorisée à poster ces photos, copiées sur le site Libfly.com).

Notes personnelles 
1) J'ai fait le choix de placer en page Accueil mes fiches de lecture. J'ai décidé de créer une page Rencontres de la Cave où je référencerai toutes mes rencontres littéraires ou non. Pour remercier Libfly.com de cette belle opération, j'ai décidé d'éclairer davantage cet article que j'ai publié sur Libfly le mardi 14 février et que je vous présente en page Accueil aujourd'hui : vous aurez la possibilité de le critiquer et d'y laisser des commentaires !
2) C'était un belle soirée riche en débat publique : je crois aussi sincèrement qu'Elyzad et Barzakh fournissent un travail remarquable dans leur pays, qu'ils participent à l'émancipation intellectuelle de leur peuple par la publication de livres magnifiques pour un lectorat plus restreint mais intransigeant sur la qualité littéraire. Je ne dis pas que ce n'est pas le cas en France mais je pense que certains auteurs français archi-médiatiques ne verraient pas leurs livres vendus au Maghreb car trop pauvres intellectuellement et trop chers aussi.

3) Pour ceux et celles qui n'ont pas pu participer à cette soirée, Libfly met en ligne la video du débat :
http://www.libfly.com/rencontre-exceptionnelle-avec-les-editions-elyzad-barzakh-actes-sud-et-deux-auteurs-fevrier-billet-1485-381.html

L'invité mystère - Grégoire Bouillier ****

Je ne pensais pas Grégoire Bouillier aussi compliqué, à l'esprit aussi torturé. Pourtant, ce n'est pas faute de l'avoir découvert dans l'excellent Rapport sur moi : j'ai visiblement oublié sa longue prose.

Suite à une invitation pour le moins originale, le narrateur (certainement l'auteur, tant ses pensées les plus intimes sont clairement énoncées et même exposées) renoue avec son ancienne compagne : enfin, renouer est bien un grand mot, juste un retour aux sources.  Il faut dire qu'elle est partie du jour au lendemain, sans explication et pour un monsieur, comme le héros, qui se pose des questions continuellement sur tout et sur rien, cette situation ne l'a pas bien arrangé ! Tout au moins, il porte fièrement des sous-pulls à col roulé, semble très perturbé par le décès récent de Michel Leiris (en 1990, ce qui permet de dater les scènes), vit une relation avec une nouvelle femme sans trop d'attachement.  On y parle d'anniversaire sans cadeaux décachetés, de l'artiste contemporaine Sophie Calle, d'une bouteille de vin Margaux, d'un invité mystère (d'où le titre !), chaque détail présentant une importance dans la vie du narrateur !
Indubitablement, je ne pourrais pas vivre avec le héros: trop de questions posées, un manque flagrant de sérénité qui m'épuiserait d'avance, une recherche constante du bonheur (là, je le suis) mais aussi en état permanent d'émerveillement et de cristallisation probablement beylienne. Les phrases à rallonge peuvent aussi exciter le lecteur ou la lectrice : au moins on ne s'endort pas sur un texte pareil ! Malgré certains défauts indéniables, j'ai aimé le style emphatique de Bouillier, l'évolution de son héros qui apprend à grandir, à s'émanciper de son passé : une jolie quête !

Livre reçu et lu à l'occasion de l'opération Libfly/Un éditeur se livre Les éditions Allia que je remercie infiniment pour ce très beau cadeau.

évasion musicale : Ode to the bouncer - Studio Killers

Les précieuses ridicules - Molière **

Oh là, là, la grosse déception !!!! J'avais un souvenir plutôt positif de cette pièce (je crois que je l'ai confondue avec Les femmes savantes). Tout est lourd : le style, les diatribes, le jeu des personnages. L'enchaînement des événements n'est pas drôle. J'ai eu l'impression de  découvrir une pièce de Feydeau alors que j'espérais une stylée de Guitry. Vous allez me dire : « mais P.C , Molière a écrit une farce ! » Là, je rétorque : « Il aurait pu y mettre de la manière, de l'humour léger, de beaux mots. Ici, tout est exubérant et même lassant ». Aucun personnage n'est sympathique, ne mérite le plus infime respect. 
En gros : deux pimprenelles provinciales débarquent à Paris, ville de Lumière et pour papillons de nuit. Les donzelles aiment et veulent de l'amour courtois, participer aux beaux salons, souhaitent une cour passionnée et assidue de leurs prétendants, de belles phrases (même si elles n'y comprennent rien !). Magdelon et Cathos sont cousines et subissent la rencontre de deux lourdauds de service Du Croisy et La Grange, nobles peu au faîte des principes délicats de leurs amantes. Résultat : une cuisante remontée de bretelles des miss et ces messieurs sortent ulcérés d'avoir été portés en ridicule, bien motivés à se venger (surtout le remonté La Grange). L'ultime revanche est l'envoi de leurs valets renommés le Vicomte de Jodelet et le marquis de Mascarille plus doués en parlotte précieuse que de descendre d'une chaise ou de danser sans fanfaronnade. Tous se font passer pour ce qu'ils ne sont pas et montrent leur vraie bêtise en pâture.
Le thème est actuel : notre société du m'as-tu-vu et du paraître n'a rien à envier à celle de Molière mais je considère que le propos de Molière tombe à plat en s'adressant à deux commères surtout plus bêtes que précieuses. Pour que la charge implacable sur la préciosité eût un réel effet, il eût fallu s'adresser à des personnes ridiculisées certes mais intellectuelles (ce qui n'est pas le cas, ici) à défaut d'être intelligentes. Et finalement, tout ce petit monde est ridicule, précieux ou pas : du coup, Molière a planté son propos tout seul !
Éditions Classiques Larousse
à ma maison 

évasion musicale : Louxor, j'adore - Philippe Katerine (à l'exubérance de Jean-Baptiste, je réponds "Philippe")

Mon grand-père / Valérie Mréjen ****

Deuxième relecture du livre (après 12 ans d'absence) et toujours autant de plaisir. Mon grand-père est une vraie source d'anecdotes familiales de l'auteure, acerbes, cruelles et souvent violentes d'un clan plutôt déjanté : entre les mœurs sexuelles hallucinantes de l'aïeul (très bonne entrée en matière du bouquin), les nombreux mariages des grands-parents, les réflexions maternelles et paternelles corrosives et un portrait au vitriol d'une bourgeoisie parisienne en perdition psychique. Constitué de micro-scénettes, Mon grand-père se lit d'une traite (57 pages... on n'a même pas le temps de s'ennuyer). 
Pour vous donner une idée (et l'envie de lire ce court ouvrage), voici un extrait de la page 9 « Ma mère était amoureuse d'un ami de la famille lorsqu'elle avait seize ans. Un jour, cet ami appela mon grand-père pour lui raconter des horreurs et tenir des propos infâmes. Le premier réflexe de mon grand-père fut de tendre l'écouteur à ma mère afin d'observer la déception sur son visage».
Finalement, Valérie Mréjen s'en tire plutôt très bien ! (dans tous les sens de l'expression).

Éditions Allia (j'apprécie beaucoup le format de cette collection, pas pesant, lunaire, léger et les premières de couverture sont souvent recherchées).

à ma maison

évasion musicale :  When you believe - Withney Houston et Mariah Carey 

Note personnelle : Withney Houston est morte, il y a quelques heures. Outre qu'elle était une des plus grandes chanteuses pop de tous les temps, elle possédait une voix suave, magnifique et sensuelle. Je suis très touchée d'apprendre sa disparition. J'ai aussi moins aimé Serge Gainsbourg lorsqu'il s'est comporté de manière ignoble, lamentable et phallocrate à son égard : malgré ses excuses publiques, l'homme a baissé indéniablement dans mon estime. R.I.P, Whitney.

Derrida à Alger, un regard sur le monde *****

Derrida m'a déridée (voilà, ça c'est fait !) du point de vue philosophique. Il faut dire qu'il y avait du boulot. Sujette à une dysorthographie sévère (dixit mon professeure de Philosophie de Terminale : à ce jour, je ne lui en veux plus et reconnais une forme de réalité dans son intuition), j'ai toujours des difficultés à comprendre cette discipline. Le talent n'étant pas là (les exercices non plus), mon niveau atteint dans ce domaine reste proche du vide abyssal. La lecture de cet essai fut donc une gageure (accoucher de cette chronique également, je ne vous le cache pas  !).
Un colloque international «Sur les traces de Jacques Derrida» s'est tenu en novembre 2006 à Alger, deux ans après la disparition du philosophe «juif, Algérien, Français, citoyen du monde» (page 9 de l'ouverture). Organisé par Mustapha Chérif, suppléé par Amin Zaoui et les responsables de la Bibliothèque nationale d'Algérie, il rassembla différents orateurs, éminents spécialistes derridiens et présentant chacun un pan de la pensée de ce philosophe cosmopolite, en recherche constante d'innovation et de décloisonnement.
Étudier Derrida en oubliant son histoire personnelle serait une erreur monumentale, tant les deux sont intimement liés. Né à El-Biar en 1930, issu d'une famille installée en Algérie depuis des siècles, Jacques Derrida subit les lois de Vichy en 1940 qui déchurent pendant deux années sa famille (et donc lui-même) de la nationalité française. Cet épisode douloureux va l'amener très tôt au questionnement de l'identité, des déconstructions physique, langagière et théorique. Je suis restée hermétique à certains passages du livre (ne les comprenant pas et ce n'est faute de les avoir relus) mais d'autres m'ont emballée et touchée :
       1) la pensée de l'hospitalité (magnifique synthèse de Marie-Louise Mallet, où- «bien» vivre ensemble n'est possible (si cela est possible) qu'entre étrangers, à la condition d'un étranger «chez soi», c'est à dire aussi à la condition de n'être «chez soi» qu'en étranger- pages 59 et 60, où  l'hospitalité pure, absolue est l'accueil de l'autre sans condition,...,c'est-à-dire accueil de l'imprévisible, car «l'autre, par définition, est incalculable» page 63).
         2) le délacement, le délassement, le déplacement et la lettre manquante le p (l'initiale du mot Père -lien avec la psychanalyse freudienne- mais aussi du mot Puits - référence au puits d'Hegel et à la ville natale de Derrida, El Biar, qui signifie les puits), ce jeu de la déconstruction pour arriver à opposer les sens, à aboutir à des contradictions, marquer les différances, avec des phrases magnifiques rapportées par Jérôme Lèbre page 121 : «on ne peut délier un des nœuds qu'en tirant sur l'autre pour le serrer davantage» (J. Derrida) mais encore page 121«qui délace hors de propos, il lace» (citation de Pascal modifiée par les soins de J.Lèbre, en remplaçant les s par les c (encore un déplacement de lettre)) et enfin, en synthèse «La déconstruction entend nous libérer des pièges à lacets qui nous enserrent» page 132, «nous libère des pièges tendus par la langue» page 125 (J.Lèbre) .
           3) la difficulté des traductions de la pensée derridienne dans d'autres idiomes que le français, puisque justement il y a un problème du sens donné : ses traducteurs Silviano Santiago, Zohra Hadj-Aïssa et Geoffroy Bennington l'abordent humblement et modestement. L'un précise qu'il préférait discuter avec le penseur en français, malgré l'énorme reconnaissance internationale dont il jouissait (surtout aux États-Unis).
        4) l'identité judéo-arabe de Derrida, la figure des marranes («juifs de la péninsule ibérique convertis au christianisme, afin de s'assimiler, disparaître en tant que juifs et échapper ainsi pour un temps à la persécution» page 142), se sentir un étranger chez soi.
         5) la mise à nu des pouvoirs de domination : moment de la conférence où les attentas de 11 septembre 2001 sont «déconstruits» (j'aurais aimé un plus grand exposé de cette partie).

Ce recueil est remarquable pour la qualité des intervenants et les réflexions qu'il fait germer chez le lecteur (en l’occurrence, la lectrice me concernant), au point de me motiver à lire de la philosophie : finalement je crois que je vais réussir à me soigner ! 
Livre reçu et lu à l'occasion de l'opération Libfly/Deux éditeurs se livrent spécial Maghreb avec le partenariat des éditions Barzakh (Algérie) et Actes Sud (France) que je remercie infiniment pour ce très beau cadeau (inestimable pour moi).

évasion musicale : Again and Again -Basto