Les os des filles - Line Papin ****

J'ai choisi Les os des filles pour sa première de couverture que je trouvais stylée, pour l'histoire intergénérationnelle, pour découvrir la plume de son autrice, Line Papin. J'ai bien fait !
Les Os des filles narre d'abord l'histoire de trois femmes :
  • la grand-mère Ba, révolutionnaire dans l'âme, à la pointe de la technologie en fin de vie, motivée à cravacher et à se battre, à mordre la poussière.
  • la silencieuse seconde H, la fille de Ba, cadette d'une sororité à trois éléments, celle à droite de la première de couverture du livre, regard vers le sol, distinguée et de stature altière, déjà consciente de sa classe, discrète mais présente dans le quatuor féminin représenté par sa mère et de ses deux frangines,
  • la petite fille -l'autrice Line Papin- celle dont on n'attendait pas la venue, la déracinée qui a perdu pied -et presque vie-, celle qui a du mal à trouver un pays-refuge.
La quatrième de couverture parle de trois femmes, trois fronts : la guerre, l'exil, la maladie mentale. J'en rajouterai un commun : celui de la faim - et dans une moindre mesure, celui de la pauvreté. Trois femmes d'une même lignée, trois destins, trois périodes : la dernière née est le fruit métisse de la réconciliation entre deux nations : le Vietnam et la France.

Les Os des filles nous berce dans le Vietnam si cher à Marguerite Duras (dont on sent la discrète présence et l'allusion avec La petite fille au regard de La jeune fille de l'Amant), en période troublée de conflit avec les Français.
Dans Les os des filles, on ne manque pas d'amour malgré le manque de tout, mais rien n'est simple. Ba élève ses trois filles, souvent seule, dans le plus grand dépouillement : le sol à même la terre, une baraque dont les murs ne tiennent qu'à un fil, chaque sortie avec les copains coûte et est souvent refusée. Une vie à la dure qui renforcera les caractères, les envies d'ailleurs, l'envie d'avoir mieux. La seconde H est le personnage le moins marquant des trois femmes, assurément la plus déterminée aussi, faisant la preuve d'une capacité hors du commun d'adaptation, d'une intelligence méthodique à construire son bonheur. La petite fille -l'inattendue- porte en elle tout l'espoir et l'amour de sa famille : celui de la date d'anniversaire de sa grand-même Ba, celui de la première petite fille, celui d'une incomprise aussi. C'est finalement elle qui marquera la faiblesse de tous ces beaux parcours, elle qui en représentant le trait d'union de réconciliation, va se fissurer en refusant de choisir, elle qui finalement sera malmenée et malaimée puisqu'elle n'a pas choisi l'exil, l'a subi sans qu'on lui explique, parce qu'elle n'a pas choisi la faim, parce qu'elle subit elle aussi la guerre - une guerre interne, vicieuse, sournoise, dévastatrice.

J'ai tout aimé dans Les Os des filles : le texte propre, intelligent, brillant, déroutant passant parfois au "elle" au "je" au "nous" (si cher à Julie Otsuka dans Certaines n'avaient jamais vu la mer) : l'instabilité et la fragilité s'expriment aussi par la forme. Il y a une très grande pudeur et aussi une façon pertinente de monter d'un cran la pression, de se mettre à nu, de se dévoiler sans choquer. Il y a une écriture maîtrisée au phrasé dynamique, parfois irrégulière dans la poésie. Il y a des descriptions qui donnent envie de découvrir Hanoï, d'aller embrasser Co Phai, de lui dire merci pour tout l'amour qu'elle a porté. Il y a cette intelligence des détails : la lettre H des trois sœurs, H comme Hanoï, H comme hôpital :  trois nominations centrales de cette épopée. En lisant Les os des filles, j'ai pensé au père et à la mère de Line Papin, je me suis demandé comment ils avaient reçu/perçu ce roman, cette douleur au départ si intérieure qui a dépassé l'extérieur, cette exposition feutrée de leur intimité même si leur fille, Line, ménage leurs personnages, les ménage après les avoir tant ébranlés.

Les Os des filles parle de vie, de mort, de sépulture, de renaissance, de pardon, d'ascension sociale, de discussions politiques, de grand-même rock'n roll, de tante contestataire, de petite-fille en sourdine, de balades en moto, de circulations routières anarchiques, d'émancipation féminine. Des photos et des dessins de l'autrice donnent corps à ce roman très complet et solaire. Avec une telle ascendance, Line Papin avait déjà un destin tout tracé, qu'elle a sublimé.

À la mode de ma copine Alex, je retiens deux images : celle des emballages colorés de bonbons, uniques jouets d'enfants en temps de disette et d'embargo (on y apprend que les papiers argentés valent dix fois ceux d'une autre couleur) ; celle de sandales dans la neige russe.

Éditions Le Livre de Poche

Autres avis : Une ribambelle

16 commentaires:

  1. Ah, c'est la Line Papin qui vient de se marier avec Marc Lavoine ! (rubrique people). Quelque chose me dit que c'est encore un vieux avec une jeunette, mais je suis hors sujet là, pardon. Son livre me tente beaucoup, ces histoires douloureuses marquent tellement les générations successives.

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    1. Oui Line Papin a épousé un chanteur connu mais à la mémoire défaillante (je ne pardonnerai pas à ce monsieur son indélicatesse à l'égard de Vitaa). Ce roman et la plume de Line Papin valent vraiment le détour.

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  2. Merci pour cette belle chronique, cela pourrait peut-être me plaire ! :)
    Bonne journée !

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    1. Je pense que ce roman devrait te plaire. Merci de ton enthousiasme.

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  3. Je l'ai rencontrée au salon du livre de Saint-Maur des fossés l'an dernier... Certains l'évitaient comme la peste parce qu'elle était en couple avec ce fameux chanteur en mode "oh, elle, elle n'a pas besoin qu'on achète ses livres". Comportement absurde à mes yeux, elle ne doit son talent qu'à elle-même.

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    1. Exact ! et elle mérite notre regard. Sa plume est une très belle découverte et elle est d'une profonde sincérité avec une grande délicatesse. J'aime beaucoup et je n'ai qu'une envie : lire ses deux précédentes œuvres.

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    1. Je vais chercher le lien vers ton avis. Merci de ton passage.

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  5. Je bloque... c’est complètement idiot je sais ... mais c’est la nana de Marc Lavoine ...

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    1. J'ai choisi le livre sans le savoir et j'ai lu Hélène Grémillon en sachant qu'elle était la compagne de Julien Clerc. Je ne me suis jamais arrêtée à la relation conjugale (a vrai dire, je m'en contrefous, ce n'est pas cela qui fait le talent, heureusement !). Je trouverai même cette autocensure de ma part, incohérente par rapport aux valeurs qui me portent au quotidien et que j'essaie de poser sur ce blog.

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  6. Je ne connais pas du tout ! Je ne savais même pas que c'était la femme de Marc Lavoine, mais ça n'a pas d'importance.
    Je vois que tu as mis 4 étoiles et c'est ça l'important, c'est la valeur du livre.

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    1. Oui et j'espère sincèrement qu'on oubliera vite son compagnon et qu'on s'attache plus à elle comme artiste et non comme "femme de". Je le souhaite de tout coeur.

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  7. Tu me donnes envie de découvrir ce roman qui t'a touché.

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    1. J'espère qu'il te plaira malgré ses imperfections et irrégularités stylistiques ou de récit. Ce qui explique pourquoi cette lecture n'a pas recu le *****. Bises

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  8. La référence à Duras et le contexte font que je retiens ce titre, même si les romans intergénérationnnels me semblent parfois artificiels ( le coté destin de femmes qui se battent et se sortent de la misère prédestinée ...)

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    1. La pauvreté concerne surtout Ba et la seconde fille H.

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