Zizi Cabane - Bérengère Cournut ****

Dans Zizi Cabane, Bérengère Cournut présente une famille généreuse, originale et tendre. Il y a
* Ferment, le père bricoleur, décidé à lutter contre des fuites exceptionnelles dans la maison familiale,
* Martin dit Béguin, l'aîné, le sérieux et consciencieux de son rang de responsabilité dans la fratrie,
* Paul dit Chiffon, le cadet dont le talent scientifique et naturaliste va faire des merveilles,
* Ambre-Isoline dit Zizi Cabane, la petite dernière.

Autour d'eux, il y a des gens aimants dont Jeanne, la sœur d'Odile (mère des trois enfants, femme de Ferment, disparue sans laisser de trace mais dont l'esprit rôde toujours) et un pépé qui tarde à se déclarer.

Voilà, dans Zizi Cabane, on découvre l'origine surprenante des surnoms et l'existence perturbée par les éléments physiques déchaînés (vent, source,...), on se surprend à voir évoluer ces grands et petits bouts et dépasser les difficultés, à user d'astuces, à endurer aussi l'existence qui est tout sauf linéaire. Zizi Cabane, malgré le manque maternel profond, présente des êtres en constante résilience, bourrés d'innovation, proches et respectueux de Dame Nature (qui multiplie les serres). 

Bérengère Cournut propose une nature writing à la française, une histoire très bien écrite à la prose lyrique et au rythme narratif haletant, alternant les interventions (l'idée étant à chaque fois de reconnaître le narrateur ou la narratrice). On ne peut pas dire que cela soit gai, on ne peut pas dire que tout soit triste non plus. Zizi Cabane offre un moment très sympa de lecture.
Si l'ensemble se tient très bien, je n'ai pas du tout aimé la fin comme un revival à l'atmosphère de De pierre et d'os qui m'a semblé un peu inutile, parachutée et étirée, alors que le reste était juste impeccable. Bref je n'ai pas vraiment compris ce parti-pris de l'autrice. C'est le seul bémol que j'ai de cette lecture.

De la même autrice : De pierre et d'os - Élise sur les chemins -

Le nom sur le mur - Hervé Le Tellier ****

Dans Le nom sur le mur, Hervé Le Tellier se lance dans la biographie romancée et dresse le portrait d'un jeune maquisard, André Chaix, mort à 20 ans, mort en août 1944 peu de temps avant la libération complète de la France.

Avec une enquête minutieuse, accompagnée du recueil de témoignages, de photographies, de lectures et de visionnage de documentaires, Hervé Le Tellier nous présente un héros pudique et un patriote conscient des dangers encourus. Il rappelle les faits historiques et esquisse les proches qui ont accompagné le jeune homme. 

Voilà, lorsque j'ai débuté la lecture, je n'ai pas de suite adhéré à l'écriture de Hervé Le Tellier : je la trouvais convenue, manquant de musicalité, à la limite de l'exercice du style (avec ses rappels lexicaux, pas très loin de la leçon de dictionnaire). Et puis, Hervé Le Tellier a libéré sa plume, s'est énervé à l'évocation d'écrivains foncièrement racistes et a dénoncé la forme de complaisance dont ils ont pu bénéficier. Et là, je l'ai trouvé honnête, authentique et mué par la forme de mission de démystification (et je l'en remercie parce qu'il a su mettre en mots quelque chose que je n'arrivais pas à m'expliquer : le style de Louis-Ferdinand Céline ne me parle pas, j'ai lu 40 pages de son Voyage au bout de la nuit et par deux fois... et par deux fois, j'ai arrêté tellement tout m'insupporte : le style, l'écriture, le contenu et je n'arrive pas non plus à le lire connaissant aussi les valeurs véhiculées par cet homme.). 

J'ai apprécié les images et les tentatives de Hervé Le Tellier à esquisser la vie d'un homme avec moult détails, avec ses rencontres humaines, son amour (Simone, sublime héroïne en résilience, dont la guerre n'aura pas épargné le cœur), à intégrer l'évolution du personnage avec les événements historiques, à mettre en perspective la petite et la grande Histoire, à nourrir les deux d'anecdotes aussi instructives qu'édifiantes (le détournement cinématographique de Titanic et idéologique de Front national à des fins fascistes et xénophobes). J'ai aussi apprécié les réflexions d'auteur et d'être humain d'Hervé Le Tellier sur cette période complexe "où la générosité et le courage ont côtoyé comme rarement l'égoïsme et l'abject" [page 160], son recul sur la succession des événements.

Restent les dernières lignes juste sublimes d'être humain à être humain, d'un écrivain face à sa création  qu'il veut aussi sincère et juste que la personne qu'elle honore. 

Un livre à découvrir à tout moment parce que la démocratie est fragile et qu'il est important de continuer à la défendre face à ses zélés pourfendeurs toujours présents, démagogiques et irrespectueux de la diversité et de l'intégrité humaines.

Éditions Gallimard

Livre emprunté à un proche (merci, merci, merci pour ce prêt !)

autres avis : Keisha, Jostein,

Du même auteur : Assez parlé d'amourCher Père Noël (du collectif OuLiPo) - Inukshuk, l'homme debout - Je m'attache très facilement - L'anomalie - Toutes les familles heureuses- Moi et François Mitterrand

Le livre des soeurs - Amélie Nothomb (entre *** et ****)

J'ai choisi de découvrir Le livre des sœurs d'Amélie Nothomb pour son titre, pour le thème abordé (celui de la sororité), avec l'espoir d'être éblouie ou davantage scotchée (parce qu'Amélie Nothomb a su m'embarquer par le passé -Hygiène de l'assassin, Stupeur et tremblements-). Cette autrice m'intrigue par sa capacité à se renouveler, à avoir souvent une bonne idée mais dont le traitement ensuite manque de profondeur (enfin, pour moi). 

J'ai apprécié Le livre des soeurs parce qu'il y présente la puissance d'une sororité réussie, construite par un défaut d'équilibre familial au départ (le couple fusionnel de parents est moins accompagnant que prévu, voire carrément toxique). J'ai apprécié de voir naviguer Tristane (l'aînée) et Laetitia (la cadette), de repérer la sagesse de Tristane et la volubilité et l'énergie de Laetitia, ensemble contre tous, ensemble jusqu'au bout de la musique et des études. Alors oui, elles découvrent les premières amours, elles se construisent un autre clan, une autre tribu. Elles réussissent leur sororité là où leur mère (Nora) échoue avec la sienne (avec la rock'n roll Tante Bobette). Le thème récurrent de l'anorexie et de la morbidité est tristement incarné.

Voilà dans Le livre des soeurs, Amélie Nothomb nous parle de vécu familial, de construction d'un être à l'ombre du regard parental, questionne la genèse d'une famille. Elle nous parle de désirs de jeunesse, de cette énergie à tout construire, à tout tenter et à imiter, de sa très grande fragilité aussi.

Editions Le livre de poche.

De la même autrice : Frappe-toi le coeur - Les aérostats - Riquet à la houppe Soif -  

Le soldat désaccordé - Gilles Marchand ****

Le soldat désaccordé est l'histoire d'une double quête : celle d'un ancien soldat devenu enquêteur, parti à la recherche du fils d'une cliente, celle d'une muse des champs de bataille qui laisse un souvenir impérissable pour ceux qui la croisent. 

Avec un récit ambitieux et incarné, Gilles Marchand pose savamment le cadre de son histoire le pendant et l'après première guerre mondiale, les blessures et des populations décimées. Au-delà des scènes morbides et de la tragédie mondiale, subsistent un amour inconditionnel et des rencontres manquées, des amitiés loyales où tout n'est que survie. 

En lisant Le soldat désaccordé, on apprend, on vibre, on s'émeut. Malgré une ambiance pesante, Gilles Marchand arrive à faire vivre l'espoir comme il arrive aussi à rendre compte de la vie des tranchées, de la misère, des boucheries humaines, d'une jeunesse sacrifiée. Il propose des héros dignes et romantiques. Il rend hommage à toutes ces générations blessées et revenues traumatisées physiquement et moralement, taiseuses par la difficulté d'expliciter l'inexplicable et l'inexprimable... quand elles sont revenues au pays. 

J'ai apprécié cette lecture qui m'a instruite et j'ai aussi suivi cet enquêteur opiniâtre, motivé par son enquête - sa quête - sur plusieurs années. J'ai été saisie par la grandeur d'âme de deux amoureux, par la dignité de leur amour.

Voilà, Le soldat désaccordé est un roman bien construit qui a reçu de nombreux prix littéraires et une reconnaissance du public, à juste titre.

Éditions Le livre de poche

[BD] Les notes rouges - Nadia Nakhlé (***** pour le dessin et l'intensité des couleurs - **** pour le scénario - *** pour le traitement inégal des personnages)

Oui, en ce moment, je décline mes notations (je décline tout court, commenteraient certaines perfides mauvaises langues, ... à raison, à raison !).

Les notes rouges propose une fraternité de toute beauté faite de mots laissés, de souvenirs (plus ou moins heureux, plus ou moins douloureux), d'espoir dans une époque sombre (celle de la seconde guerre mondiale, celle de l'après-guerre). Ce roman graphique somptueux présente un duo d'orphelins : une jeune fille pianiste (Anna), un garçonnet en devenir (Dorian) qui se construit à l'ombre et grâce à sa sœur, avant leur irrémédiable et irréversible séparation. Les notes rouges nous montre l'attente d'hypothétiques retrouvailles dans une ère de la haine et des génocides. 

Comme dans Les oiseaux ne se retournent pas, j'ai été scotchée par le graphisme, le lyrisme de la narration de Nadia Nakhlé qui use différents registres. J'aime ses images très arty, son traitement et la profondeur des couleurs qui rend intense et dense l'interprétation de chaque planche. J'avoue avoir été plus accrochée par l'objet-livre, son contenu fait de poèmes, de lettres, de rappels historiques. J'ai apprécié les dessins plutôt classiques respectant l'époque narrée (années 1940-1960). J'ai été moins convaincue par le traitement des personnages et leur devenir. Si on voit et on respire Anna, Dorian reste une sorte de fantôme, a un côté évanescent, malgré un parcours chaotique : il m'a manqué de la profondeur dans ce personnage (et pourtant ce qu'il vit est très lourd), comme si Nadia Nakhlé ne voulait pas l'abîmer. C'est peut-être voulu, dans le sens où l'autrice  peut-être souhaitait mettre la lumière sur l'attente d'Anna, mais j'ai senti le personnage de Dorian comme secondaire, subsidiaire à celui de sa soeur, et c'est bien dommage car leurs réactions  différent et se complètent.

Un roman graphique à découvrir pour le graphisme, la diversité et l'ingéniosité littéraires de l'autrice Nadia Nakhlé, pour une piqûre de rappel historique foncièrement utile pour ne jamais oublier et pour maintenir un état de veille constant face aux didacteurs/autocrates à la propension expansionniste contraire aux droits humains et au droit des peuples à disposer de leur sol.

Editions Delcourt / Mirages

Lu dans la cadre d'une Masse critique privilégiée Babelio en partenariat avec les éditions Delcourt / Mirages : un très très très grand merci pour cette proposition de lecture. J'ai été ravie de retrouver l'univers et la plume fantastiques de Nadia Nakhlé.

De la même autrice : Les oiseaux ne se retournent pas