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Eden - Audur Ava Olafsdottir (entre **** et *****)

Eden raconte l'itinéraire de vie et de réflexion d'une linguiste, Alba, en quête de grand espace (de préférence forestier) et de renaissance intime. Après la quête du terrain et de la maison qu'il faut, il lui reste à apprivoiser le voisinage tant humain que naturel, y marquer son empreinte et se fondre dans les us et coutumes locales. Mais Alba sait faire le ménage, construire et même instruire. Rien ne l'effraie, pas même une bicoque isolée et assaillie par les vents. 


Dans Eden, on retrouve la plume fantastique et fantasque d'Audur Ava Olafsdottir. Bien sûr, j'aime l'univers de cette autrice, ses descriptions, son humour, ses images qui restent, ses héros si attachants si bienveillants qui marquent l'esprit. Alors oui, avec Alba, on découvre son clan d'origine : son père, sa sœur parfois revêche mais souvent pleine de sollicitude, le meilleur ami de son père (si friand de conseils horticoles) et puis un absent très présent - le poète- et un présent qui prend de plus en plus de place -Danyel -. On apprend le petit monde de l'édition et de l'université (les entourloupes littéraires, les difficultés à trouver le juste titre ou à s'imposer à un poste), les traces du passé qui bousculent une évolution professionnelle ou qui suscitent la curiosité villageoise. Avec Audur Ava Olafsdottir, on ne sait jamais quel chemin on va emprunter. L'autrice a l'art et la manière de surprendre son lectorat par les réflexions qu'elle donne à ses personnages, par les situations. Avec Alba, on plante des arbres (beaucoup), on retourne la terre, on parle écologie et guerre de l'eau, on comprend l'importance des déclinaisons de la langue irlandaise et les façons de les contourner, on s'attache à la situation de migrants, on se passionne du troc local et on observe la vitesse de propagation du "tout se sait tout le temps".  

J'ai passé un super moment avec Eden, un livre plein de peps qui donne foi en l'humanité et en l'écriture. J'ai aimé les citations poétiques qui deviennent des plus-values de vente, j'ai aimé découvrir cette belle héroïne solaire et très attentive à ce qui se passe autour d'elle. Une vraie réussite (comme d'hab').

Éditions Zulma

Traduction par Éric Boury (bravo pour cette traduction fantastique et si énergique)

De la même autrice

La vérité sur la lumière - Auður Ava Ólafsdóttir ****

Dýja est sage-femme et vit dans l'appartement de sa grand-tante, Fífa, appartement qu'elle a reçu en héritage. D'ailleurs, Fífa ne lui a pas laissé que l'appartement : les meubles, ses manuscrits, sa profession sont des biens communs qu'elles se partagent. Comme Fífa, Dýja est célibataire et vouée à son métier. Pourtant on ne peut pas dire que ce fut son premier choix mais disons que son itinéraire de vie l'a amenée à suivre la lignée ancestrale, toutefois fortement concurrencée par un autre corps de métiers (celui des pompes funèbres, celui des parents de Dýja ) dans un tout logique : la naissance et la mort, les deux bouts d'une existence. Parce que finalement tout est lié.

Entre les naissances qui se succèdent et ne se ressemblent pas, les sorties de couches à surveiller, l'appartement à réaménager pour gagner en lumière, les appels tempétueux de la frangine météorologue et les mémoires de Fífa à découvrir et à suivre, Dýja n'a pas une seconde pour elle. Et cela tombe bien : un visiteur australien débarque pour occuper l'appartement du dessus et peut-être un peu plus d'espace.

La vérité sur la lumière emprunte le titre d'un des écrits de Fífa et aussi sa principale quête existentielle. Dans ce roman, Auður Ava Ólafsdóttir brosse deux héroïnes : une qui vit, l'autre qui se dévoile par ses écrits. Et ce qu'on constate en lisant cette œuvre foncièrement géniale est finalement qu'on en sait plus sur  Fífa et sa profonde intelligence (notamment sa réflexion sur la vie) que sur sa petite-nièce (qui est loin d'être idiote, fait preuve de générosité, de bonté, de discrétion, d'empathie et de partage : une autre belle âme également).

Dans La vérité sur la lumière, Dýja confirme que les différents calepins de notes laissés par Fífa forment un foutu bordel : on devine difficilement et sans assurance l'ordre chronologique de ses œuvres et de ses remarques. Et je vous confirme que La vérité sur la lumière est un roman assez bordélique tout en étant très organisé : il est définitivement inclassable ! Parce que sans se forcer à l'exercice de style comme on peut le voir chez certains auteurs français, Auður Ava Ólafsdóttir met en pratique ce qu'elle écrit : ainsi on évolue entre trois histoires (le quotidien de Dýja nourri par des rencontres, des échanges avec les copines, les collègues, les futurs parents, les inconnus ; la vie de Fífa et le passé des sage-femmes de la famille ; les écrits de Fífa) sans aboutir à une conclusion certaine sur l'essence même de la lumière, mais en ayant abordé plein de chemins de traverse avec comme moyens de transport : la poésie et le tricot. 

Comme toujours chez Auður Ava Ólafsdóttir, les personnages sont toujours un peu hors sol mais il y a une telle énergie, une telle facétie, une telle inventivité que tout passe, mais alors vraiment tout. Il y a des mots cités de toute beauté, un univers tellement réjouissant, à la fois terre-à-terre et complètement stellaire - rien n'est prévisible-. Il y a toujours cette écriture de la contemplation qui m'émerveille et dont je ne me lasse pas. Bref, La vérité sur la lumière est un roman qui va rester longtemps dans ma mémoire comme celui qui ne dit pas tout mais qui me nourrit et offre plein de perspectives, comme une aurore boréale. Fantastique. 

page 48 : "On oublie les gens. Au bout de trois générations, tout le monde est oublié. Bientôt, il n'y a plus qu'une seule personne qui se souvienne de nous. Notre nom dit vaguement quelque chose à quelqu'un. Et puis nul ne sait plus que nous avons vécu."

page 127 : dans le paragraphe intitulé Le plus difficile, c'est de s'habituer à la lumière.
"... les trous noirs sont des zones qui absorbent toute lumière et avalent toute matière sans jamais les laisser ressortir. Leur comportement est tellement étrange qu'il remet en question toutes les notions communément admises par la science... Ils abolissent jusqu'aux notions de temps et d'espace telles que nous les connaissons." ...
puis page 152 : "Au centre de l'univers, il y a un trou noir et au centre de ce trou noir, il y a la lumière."

 

Éditions Zulma
Traduction d'Éric Boury.

autres avis : Hélène , Cathulu , Dasola

De la même autrice : L'embellie  L'exception  -  Le rouge vif de la rhubarde  - Miss Islande  - Ör  -  Rosa candida    

Ásta - Jón Kalman Stefánsson *****

Je dois la lecture d'Ásta à Jérôme et à Céline par leurs chroniques motivantes. J'ai débuté Ásta, ai lu 100 pages puis l'ai abandonné momentanément parce que ma concentration n'était pas suffisante. J'ai eu besoin de lire des BD, d'autres romans plus légers ou bien de narration plus linéaire. J'ai repris Ásta et je l'ai dévoré... définitivement.

Le résumer ou du moins aborder ne serait-ce qu'une amorce d'histoire n'est pas simple. Ce n'est pas l'émotion qui gêne, c'est plutôt l'efficace et tortueuse construction narrative qui pourrait pâtir de mon trop pâle résumé.

Ásta est un roman islandais géant :
  • de par ses personnages fabuleux foncièrement humains, emplis de désir, bruts de naturel, êtres primaires et charnels, flirtant avec la folie et la poésie, vivant à cent à l'heure et sans arrêt, vivant tout court et parfois inquiets du lendemain.   
  • de sa construction anguleuse, difficile à suivre et qui nécessite une forte concentration (au moment au début, le temps que le cerveau mette tout en place) où les souvenirs de différentes époques et décrites par différents protagonistes et les allers-retours qu'ils imputent constituent un mille-feuilles littéraire où se superposent également récit linéaire, lettres, monologue, séparés par des citations ou de sous-titres.
À travers Ásta, une vision de l'amour et du couple s'affronte : passionnée chez Sigvaldi-Helga, tendre et peut-être plan-plan chez Sigvaldi-Sigrid, tendre et en latence chez Ásta-Josef. À partir de ces trois paires, d'autres se forment : chaque protagoniste n'est là que pour révéler davantage la nature soit d'Helga (la mère) soit d'Ásta (la fille). 

Ásta est un roman ambitieux, un classique parmi les contemporains, foncièrement féministe où l'homme aimant (Sigvaldi, Josef, Gudjon) plus en retrait, plus à la merci de sa compagne apparaît dans toute sa fragilité : fragilité face à des comportements psychotiques, fragilité dans ses sentiments, fragilité à affronter le quotidien et la perte. Jón Kalman Stefánsson offre deux héroïnes solaires : Helga et Ásta, celles qui font tourner la tête, celles qui la perdent aussi un peu par les drames vécus, les traumas, les envies et la violence. Les seconds rôles ne sont pas oubliés et sont mis à profit : quand l'une est défaillante en maternité, l'image de la nourrice ou de la seconde mère est renforcée. Dans Ásta, tout est question d'équilibre.
Dans cette fresque, les changements d'époques sont aussi l'occasion d'aborder différents territoires : d'abord l'Islande avec la quiétude rurale comme mise au point/nouveau départ/ source de tous les apprentissages, et avec la frénésie urbaine pour la survie/la liberté des corps/la débauche, l'Europe comme exil salutaire.

Ásta
  • un roman bouleversant par ses personnages attachants et dignes,  où une lettre d'amant éconduit trouve sa source dans la litote
  • un écrit difficile d'accès dans un premier temps par une construction emberlificotée (reconnue par l'auteur avec son "J'espère que vous vous en souvenez..." - page 453- supplique adressée à son lecteur, qui n'est pas forcément un bon signal et est peut-être due à un conseil après relecture) 
  • mais également puissant pour ce que cette construction génère et met en lumière : le tourbillon de la vie où le passé et le présent se percutent constamment, façonnent les êtres, expliquent les comportements.    

Au-delà de l'histoire (ou des histoires), il y a une prose intéressante et punchy, liée à l'écriture de l'auteur Jón Kalman Stefánsson mais également à l'excellence de la traduction faite par Éric Boury.

page 207 : " Pour tromper le monde, je m'habille avec élégance chaque fois que je sors. J'allume mon sourire. Je maquille un peu ma tristesse puis je mets mes lunettes de soleil pour que personne ne remarque ton absence au fond de mes yeux. "

page 230 (merci Bernhard !) : " « En août, la clarté matinale est presque granuleuse, elle n’a plus l’assurance qu’elle avait en juillet, et moins encore celle de la lumière éclatante de juin. Elle porte en elle un soupçon de ténèbres et de fin qui, chez certains engendre mélancolie et force à la sincérité. C’est peut-être pour ça que Josef sourit si souvent à Ásta ce matin-là, il va même jusqu’à lui dire, ou plutôt, ces mots lui échappent alors qu’ils sont tout près l’un de l’autre, occupés à rentrer le foin dans la grange : tes cheveux sont si beaux au soleil. »

page  262 : " Il est plus facile de vivre en baissant les yeux. L'ignorance vous rend libre alors que la connaissance vous emprisonne dans la toile de la responsabilité. "


Éditions Folio 
Excellente traduction d'Éric Boury
autour de 480 pages.

Autres avis sur ce roman exceptionnel (qu'il faudrait relire pour rassembler tous les pièces du puzzle) : Jérôme, Céline, Alex, Bernhard, Moka, Athalie, Eimelle, Hélène, Karine

Les livres à l'épreuve du temps # 2 : Miss Islande ***** - Audur Ava Olafsdottir

Bon, pour être honnête, j'ai lu ce livre encore tout récemment mais j'ai volontairement éternisé la lecture parce que je ne voulais pas quitter les personnages, ni l'histoire, ni la plume de l'autrice, ni son univers.

Je crois que je l'ai déjà dit, mais j'en suis maintenant convaincue : Auður Ava Ólafsdóttir a définitivement conquis mon cœur de lectrice, c'est-à-dire qu'elle peut écrire n'importe quoi, je serai toujours ravie de la retrouver, d'admirer son écriture, sa façon de narrer les événements avec une très grande intelligence du jeu, de manipuler ses créatures, de leur faire prendre des chemins détournés, de raconter leur quête de bonheur absolu.

J'aime à la fois la simplicité et l'humilité d'Auður Ava Ólafsdóttir, son côté fantasque et sa voix (et voie) littéraire, j'aime ce qu'elle dégage à chacun de ses romans (et pourtant je n'ai lu aucune interview d'elle, je n'en éprouve pas le manque ni le besoin, peut-être à tort). Je suis définitivement accrochée à son œuvre et je suis heureuse qu'à chaque fois, elle me surprenne.  

Auður Ava Ólafsdóttir a reçu récemment le prix Médicis du roman Etranger 2019 pour ce très beau roman Miss Islande, elle a obtenu le Nordic Council Literature Prize, prix des cinq pays nordiques pour honorer son formidable Ör. Je considère qu'elle a toutes les qualités pour devenir une future prétendante sérieuse du prix Nobel de Littérature et elle le mériterait amplement. 
Si je devais résumer Miss Islande en peu de mots, je reprendrai les paroles d'Isey, la meilleure amie de l'héroïne Hekla : c'est l'histoire d'une femme qui aime un homme et qui couche avec un autre.

Mais Miss Islande est bien plus que cela : ce roman mesure en quoi le contexte social et politique d'époque influe sur les comportements, sur une liberté contrainte, où une fuite peut s'avérer une survie.

Nous sommes dans les années 60, en Islande donc, période où les femmes sont cantonnées soit à des rôles domestiques, soit des participations stériles de concours de beauté, où le non-respect de la trajectoire dite normalisée (mariage-boulot-bébé) est considéré comme une déviance ou est farouchement réprimé ou rejeté (homosexualité, concubinage, sexualité libre et sans contraintes). 

Miss Islande met en lumière un trio d'amis, tous artistes, dont le talent est soit déjà révélé soit en passe de le devenir : Hekla dont la beauté rend invisible le talent littéraire aux yeux des autres, Isey dont les maternités successives et la conjugalité noircissent les pages de son journal intime, John Jon dont l'art des ciseaux se confronte aux contraintes matérielles (et maritimes). Entre eux, une pelletée de personnages dont l'éclairage momentané sert l'intrigue et illustre l'époque : la voisine d'Isey en mère nourricière qui peu à peu se perd, le poète Starkadur dont les rimes ne trouvent aucun écho, le personnel du bar Borg, le père d'Ekla qui retient sa vie à chaque irruption volcanique, l'élément eau qui conditionne et rythme le quotidien de John Jon et rappelle que l'Islande est un pays de pêcheurs.

Dans Miss Islande, on retrouve l'atmosphère cotonneuse de Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guénassia, l'exigeante retranscription de l'atmosphère de l'époque à la Patrick Modiano, la dissection minutieuse du fait sociologique à la Annie Ernaux (mais avec un côté plus romancé), une harmonie des rythmes et des synergies, une infinie bienveillance entre les principaux protagonistes (sans le côté bisounours ou nunuche, c'est selon). On redécouvre aussi avec douleur l'usage du pseudonyme masculin pour avoir une chance de publication ou de reconnaissance publique..

Bref, Miss Islande est un roman multiple, complexe, totalement accessible, riche, profond, touchant, qui raconte le début de l'émancipation féminine et les nombreux quolibets que les pionnières ont supportés. Dans ce roman-ci, contrairement aux précédents, il y a une insaisissable forme de gravité, liée à l'âge des héros, à l'aube de changements ou de prises de décision importantes de leur existence. Il y a aussi une mélancolie, celle de l'abandon.
Un roman génial comme l’œuvre de cette inestimable romancière qu'est Auður Ava Ólafsdóttir. Un grand moment de bonheur et un énorme merci à cette écrivaine de toujours atteindre mon petit cœur directement, sans détour !

Éditions Zulma 
Très bonne traduction d'Éric Boury.

avis : Krol, Hélène, Cuné, Cathulu, Eimelle, Jostein,  Dasola

De la même auteure

L'exception - Audur Ava Olafsdottir *****

Voilà, j'ai enchaîné depuis une semaine des catastrophes littéraires abandonnées au bout de quarante pages (la faute à mon comité de lecture dont la sélection pour cette période-ci n'arrive pas à me convaincre). Du coup, je suis retournée vers une valeur sûre : mon écrivaine islandaise préférée, j'ai nommé Audur Ava Olafsdottir. Si son dernier roman paru en France (son premier dans sa vie d'écrivaine), Le rouge vif de la rhubarde, m'a laissée sceptique, l'avant-dernier édité chez nous L'exception est remarquable, un moment agréable de sérénité que j'ai dévoré !
Floki, mari de Maria, annonce le jour de la Saint Sylvestre son coming-out et la fin de leur relation, histoire de bien débuter l'année qui arrive ! Entre anecdotes du passé et le présent un peu balbutiant (rythmé par des jumeaux de deux ans, trop petits pour comprendre la situation de séparation parentale), Maria surnage, entourée par Perla, écrivaine naine de polars dont elle n'a pas la primeur de la première de couverture (du fait de son statut de nègre littéraire) et d'un charmant voisin étudiant et particulièrement attentif. 

Il y a une vraie tendresse qui se dégage de ce roman et une belle preuve d'amour aussi : les ex-amoureux ne s'entredéchirent pas mais se retrouvent à nouveau pour des explications, pour aplanir leur nouvelle complicité. Ce sont des personnages aussi talentueux qu'intelligents. Maria a un chance inouie : une famille stable qui va lui réserver des surprises paternelles, des amitiés confortables et beaucoup de bienveillance autour d'elle. Oui, cette superbe généreuse trinque de cette rupture non choisie mais l'existence lui réserve de belles rencontres, tantôt furtives, tantôt à durée indéterminée (ce que je lui souhaite). 

L'exception (ce que Maria représente dans le cheminement sentimental de Floki) est un roman intense par ces petits temps du quotidien, par cette quête raisonnable de la jeune femme entre passé et futur familiaux. L'écriture de Audur Ava Olafsdottir est toujours là, sans force, subtile : l'auteure narre le quotidien sans fioritures, sans en surjouer. Un vrai et chouette moment de lecture que je vous conseille !

Editions Points
Traduit par la toujours excellente Catherine Eyjolsson 


En ce jour du souvenir, je ne dirai rien, je repenserai juste à ce qui s'est passé il y a un an. Je vous embrasse. 

RL2016 #4 : Le rouge vif de la rhubarbe – Audur Ava Olafsdottir ***

Agustina est une jeune adolescente infirme ; elle dépasse son handicap (des jambes mortes liées à une naissance mouvementée) grâce à sa dextérité avec les béquilles et sa vivacité d'esprit. Décidée à gravir une montagne, elle doit son équilibre par son environnement bienveillant : sa nourrice Nina (une maman de remplacement pendant que la biologique, chercheuse et voyageuse dans l'âme, narre ses exploits au moyen de lettres), le bricoleur Vermundur et l'amoureux Salomon. 
Dans Le rouge vif de la rhubarbe, on retrouve le plaisir d'Audur Ava Olafsdottir à décrire les instants précieux du quotidien (le test du chant), les coutumes locales (les confitures de rhubarbe impossibles à consommer), ceux qui façonnent et rythment une vie.

Il y a toujours cette belle écriture, des héros attachants, de belles descriptions et des confidences qui évacuent tout secret stérile et propice à la confusion. Bien que bringuebalante, Agustina est un personnage très stable affectivement et humainement : une héroïne sereine.
J'ai lu avec plaisir cette première œuvre, éditée en France bien après les autres romans d'Audur Ava Olafsdottir mais je reconnais avoir ressenti un certain ennui en raison de la langueur et l'absence de péripéties. J'ai apprécié la lecture mais voilà, il m'en faut plus pour m'évader et me bousculer (je deviens exigeante avec cette auteure dont j'affectionne l’œuvre et la splendide prose).

Editions Zulma

Très belle traduction de Catherine Eyjolsson 
 

autres avis : Virginie Neuville, Hélène, Cathulu,...


de la même auteure
  L'embellie ***
  Rosa candida  ****

La lettre à Helga - Bergsveinn Birgisson *****

Voilà j'ai retardé au maximum le temps de cette chronique. Non pas que cette lettre somptueuse soit catastrophique (au contraire !) mais face à une lecture de cette qualité, eh bien je suis restée un peu coite ! (si, si c'est tout à fait possible et envisageable). Peur de ne pas la défendre assez, peur de ne pas la promouvoir comme il se doit (cela dit, le texte s'autosuffit). Alors, il a fallu un homme pour me motiver et pas n'importe lequel (non, laissez mon A. en dehors de tout cela), j'ai nommé Benjamin Biolay et son Aime mon amour pour booster ma détermination. Parce que placer deux chefs d’œuvre sur un post, ça le fait (et même, plutôt bien) !  
Bjarni Gíslason, fermier de son état, aime être serviable et ne compte pas l'aide qu'il apporte aux autres. Amoureux de ses terres reçues en héritage, il élève ses brebis avec attendrissement, contrôle assidûment le fourrage de tous, s'oublie dans le travail, une forme d'échappatoire pour évacuer une vie intime plutôt tristounette. Heureusement, le voisinage offre d'intéressantes perspectives, plutôt même pulpeuses.

La lettre à Helga est mon premier coup de cœur de la rentrée littéraire 2013 (à ce jour, le seul). Comment Bergsveinn Birgisson a-t-il réussi à placer autant de sensibilité et d'émotion dans cet écrit ? Son héros, Bjarni Gíslason apparaît sous toutes les coutures : tour à tour râleur, souvent de mauvaise foi (surtout quand il n'assume pas ses propres décisions), attachant et finalement intègre, facétieux et bourré d'habitudes qui le rassurent et parfois le castrent. Bergsveinn Birgisson décrit la vie d'un homme tout simplement, d'un amour consommé et consumé.
Loin des atermoiements habituels, l'auteur ne se laisse jamais manger par l'intrigue ou par ses personnages : il sait les contenir et obtenir d'eux tout ce qu'ils ont dans le ventre, dans leur corps, dans leur cœur. Rien n'est simple dans l'existence : parfois certains choix s'imposent d'eux-mêmes, d'autres semblent contraints. Et c'est justement l'idée principale du texte : une décision irrévocable conditionne une autre vie, un abandon. La qualité littéraire de cette lettre (hommage appuyé au travail de traduction de Catherine Eyjólfsson qui à mon avis, n'a aucunement trahi la pensée de l'auteur et a brillamment servi le texte) participe au succès de cette première œuvre. Oui, l'idée géniale de la confession permet un glissement plus rapide du lecteur vers le héros. Oui, le discours de ce dernier, certes simple et quelquefois réducteur, le rend attendrissant et anticipe la relance de l'intrigue. Mine de rien, Bergsveinn Birgisson aborde la misère sexuelle sous différentes facettes (zoophilie, adultère, abstinence...).
Tout est beau dans ce livre : la description des paysages, le lien fort avec les animaux, la vie à la ferme, la relation entre Bjarni et son épouse Unnur, le manque d'amour et puis le manque tout court.  
Je ne pensais pas qu'il était aussi formidable de découvrir un homme qui se cherche.   

Traduction de Catherine Eyjólfsson
Éditions Zulma 

Rentrée littéraire 2013

avis : Cathulu, Jérôme (c'est quoi, ce pseudo à la mords-moi-le-noeud sur Babelio, Geronimo chéri ?), Marilyne, Mélopée , Philippe, Mina , Coccinelle, Evalire, Hélène, Zazy, Fersenette


Je me suis fait ce beau cadeau sur le conseil très avisé d'Hélène Delapré (libraire du Saint-Christophe à Lesneven) obtenu sur notre plage préférée début août (oui, la vie est belle !). Ce livre voyage et sera ravi de passer de main en main.
départ demain chez Mina, puis Evalire, FersenetteLiliba

The Voice sur Libfly 

évasion musicale : Aime mon amour - Benjamin Biolay (réalisation de la vidéo par Karole Rocher, la dame du clip)


et un de plus pour les challenges d'Anne et d'Anne, Heide et de Galéa
En toutes lettres

L'embellie - Audur Ava Olafsdottir *** (Livre audio)

D'abord je tiens à remercier Sylire pour ce livre audio voyageur. Sans elle, je n'aurais pas découvert cette histoire et je ne l'aurais pas lue (ou bien aurais refermé le livre après quelques pages). C'est dire.
Une correctrice littéraire de 33 ans voit son petit quotidien chamboulé : son mari Tursten (orthographe approximative, c'est le problème des livres audio : on n'a pas l'écriture des prénoms !) lui annonce l'existence d'une maîtresse arrondie ; son amie Audur lui confie son aîné de 4 ans très myope, très malentendant et surtout très charmant, Tumi, le temps d'une grossesse gémellaire plus ou moins prolongée, plus ou moins alcoolisée au cognac ; un amant-client illettré mais à la poigne ferme ; une voyante lui assure un gain, trois hommes dans sa vie et trois accidents mineurs, trois animaux inactifs et enfin, un séjour dans un cabanon estival sur une île en plein mois de novembre assez pluvieux. En route pour l'aventure !

Si je reprenais le portrait chinois de Malika, alors le mot qui caractériserait L'embellie serait sans conteste digressions ou divagations (Finalement, deux termes suffisent). Entre le quotidien peu routinier -accessoirement routier- (la vie avec Tumi), les souvenirs avec Tursten ou avec sa mère et les communications avec Audur ou les hommes rencontrés, la description de chaque moment occasionne une longue fuite du récit. Résultat : je m'y perds et surtout je me noie (avec toute cette eau, je m'adapte parfaitement au texte). Bien sûr, cette façon de procéder permet au lecteur de cerner l'héroïne de toutes parts, personnage central et intéressant par sa logique inattendue, son humour fantasque et ses réactions quasi-autistiques. Néanmoins, l'ennui guette et l'impression d'une intrigue plutôt plate, étirée à l'infini (un peu comme lors d'un test d'un élastique, la patience du lecteur remplaçant le dit objet) s'insinue inexorablement.

Pourquoi *** alors ? Tout simplement, parce qu'Audur Ava Olafsdottir fait preuve d'une très belle prose et possède cette maîtrise rare des descriptions (très précises), des relations humaines confortées (rapprochement entre Tumi et sa protectrice) et ces temps de l'intimité. La réussite de Rosa Candida n'est pas usurpée. Il a fallu L'embellie, un joli brouillon avant l'éclosion d'une splendide rose.

texte lu par Melodie Richard (dont le timbre de voix islandophone se prête à l'évasion)
Éditions Thélème
                                                        
avis : Sylire (que je remercie infiniment pour le prêt de ce LV), Nadael, Clara, Cathulu, Kathel, Nina, Liliba, Theoma, Christie, Hélène

et un de plus pour les challenges de Laure (Prix de Littérature de la Ville de Reykjavík), d'Anne et de Nadael (un mois de Novembre et un automne pluvieux, bien présents dans l'intrigue)

Bettý - Arnaldur Indridason *****

Comment arnaquer ses lecteurs en une leçon magistrale ? Hein, comment ? Et bien demandez à Arnaldur Indridason et parlez-lui de sa sulfureuse Bettý. 
Bettý, un joli prénom pour désigner une femme fatale, ensorcelante et attirante. Concubine du riche armateur Tómas Ottósson Zoëga, elle vampirise son entourage et arrive à ses fins. Quand Madame décide une chose, peu de gens lui résistent. Un personnage nous la raconte : il est actuellement en détention provisoire et ressasse les moments passés avec elle. Apparemment, ce maître en droit a commis un délit suffisamment grave pour rester autant de jours emprisonné. Auparavant engagé par Tómas pour l'aider sur des contrats étrangers, ce témoin privilégié aura l'occasion de rencontrer très souvent la compagne de ce dernier. Entre ses souvenirs du passé et la description de son présent lugubre (interrogatoires policiers, entretiens avec psychologue, enfermement), cette personne nous parle et on l'écoute bien sagement. 

Très clairement, au début de l'histoire, je fus gênée par le style employé par l'auteur et par le traducteur. Jusqu'à l'horrible scène de la page 108, j'avais du mal à accrocher. Cette bascule de l'intrigue m'irrita au point de pester fortement «Mon petit Arnaldur, tu t'es planté». Puis, arrivent les pages 109, 110 et 111, transition en douceur de la part de l'auteur pour ménager sa monture la lectrice que je suis. Je retourne à la page 108 et je relis les pages 109 ,110 et 111, et ensuite les pages précédentes. Vient alors la douloureuse confirmation : « Non, Phili, c'est toi qui t'es plantée  et en beauté, ma belle ». Du coup, je n'ai pas vu passer les cent dernières pages, définitivement conquise et assommée par ce coup magistral.

Chapeau bas immense à Monsieur Indridason pour cet effet qui m'a terrassée direct et aussi à son traducteur français, Patrick Guelpa, qui a réalisé un véritable exercice de style difficile (une contrainte dans l'usage des temps conjugués), tant mon idiome natal regorge de détails infinis à l'écrit, qu'il a bien fallu maîtriser.

Un conseil : lisez ce policier génial qui parle de manipulation psychologique (des personnages et des lecteurs aussi) sous fond de gros sous et de sexe.

Traduction de Patrick Guelpa

Editions Métaillé Noir (198 pages grandioses)

avis : Athalie , Du bruit dans les oreilles

emprunté à ma biblio bien fournie  (mon A. a lui aussi adoré et a plongé tout comme moi : très bons présages)
 
 








et un de plus pour les challenges Voisins Voisines d'Anne et Littératures nordiques de Myiuki

Rosa candida - Audur Ava Olafsdottir ****

S'il fallait résumer ce livre en un mot, j'emploierais le mot douceur : douceur de vivre, douceur des sentiments et des relations, bienveillance à soi et à autrui. Je ne suis pas surprise du réel succès d'estime de cette œuvre, tant elle émeut et apporte du bien-être à celui ou celle qui la lit. 
Arnljotur, génie d'horticulture de 22 ans, décide d'aider un monastère à retrouver sa roseraie d'antan, celle qui en fit sa renommée. Pour cela, il quitte son père, le formidable Thorir âgé de 77 ans et son frère jumeau autiste Josef et s'éloigne géographiquement de sa fillette de 6 mois Flora Sol, procréée lors d'un bref échange corporel avec Anna, la petite amie d'un ami, dans la serre maternelle (on revient aux fleurs !! ). Sa défunte mère, également prénommée Anna, de même date d'anniversaire que celle de sa petite-fille jamais connue car décédée deux ans avant la naissance de la petite, partageait sa passion des roses avec lui : comme Josef, elle reste omniprésente et centrale dans les conversations et le récit, malgré son absence physique. Le voyage qu'entreprend le héros va lui permettre au fil des rencontres de retrouver son moi profond, donner un sens à sa vie et de passer de l'enfance innocente à l'adulte accompli. Ce livre n'en demeure pas moins riche des thèmes qu'il aborde : la paternité, la transmission, les choix de vie à faire et les conséquences que cela engendre, l'hérédité, les relations père-fils/fille (les nombreux appels entre Thorir et Arnljotur demeurent attendrissants et fabuleux). Les personnages masculins forts, presque angéliques et surtout empathiques, développent une belle sensibilité féminine (le sexe de l'auteure doit influencer ! ). Rosa candida, nom d'une belle espèce de rose à huit pétales, devient maintenant un bon choix de lecture, surtout en ces temps de crise (parce qu'on le vaut bien ! ).

Livre des Éditions Zulma. Mention spéciale à la couverture formidable, psychédélique et très seventies.

voici l'avis de Zazy


emprunté à ma biblio chérie


évasion musicale: Mon amie la rose - Natasha Atlas (reprise de la chanson de Françoise Hardy)