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L'ancêtre - Juan José Saer ***

Au détour d'une expédition, un mousse d'une quinzaine d'années est ravi par des indigènes. Il vivra avec eux pendant dix ans puis sera relâché pour retrouver son ancienne culture. Devenu un étranger dans son ancien monde, cet être hybride sera étudié puis reconditionné, et passera sa vie ensuite à relater, à revivre cette expérience particulière.
Je remercie Laure d'avoir accepté cette lecture commune et d'avoir modifié la date de publication.

Il est rare que je conseille d'ouvrir un livre, juste pour y découvrir la qualité linguistique de la prose intérieure. Pourtant, avec L'ancêtre, je vais me le permettre, parce que ce livre vaut autant plus pour la traduction de Laure Bataillon, fidèle à l'écrit de Juan José Saer, que le fond, certes intéressant mais qui a manqué de rythme selon moi, lié certainement à l'absence de dialogues et au monologue imposé par le narrateur.

J'ai conscience en rédigeant cette chronique d'être passée à côté de ce roman : je l'ai lu avec plaisir (celui de respirer une langue française parfaite, avec l'emploi fréquent de subjonctifs, des phrases longues et mélodieuses, une touche de mystère à chaque instant) mais je n'ai adhéré pas au propos (il m'a manqué des arrêts instantanés sur les scènes, de sentir les personnages). Tout reste diffus et embrouillé : c'est un choix de l'auteur, sa patte d'écrivain, je n'en doute aucunement. Pourtant, là où je demandais des détails, je n'y vois que des ombres, là où arrivent les descriptions, j'aimerais connaître celles du devenir du narrateur. Juan José Saer joue avec la chronologie. Il le fait de façon brillantissime avec un phrasé splendide : même si le fond m'a laissée de marbre, je reste scotchée par l'écriture (je me répète : l'auteur et la traductrice sont deux êtres littéraires rares)

Bref, j'ai découvert un texte esthétiquement impeccable mais aussi une histoire bancale. Pourtant, le thème universel d'être étranger partout où on va, offre matière à discussion. Dans L'ancêtre, il est question de conflit de civilisations, de survie en milieu hostile, d'étude ethnique suggérée : c'est une histoire réelle romancée et d'une certaine façon discrétisée.

Pourtant, Juan José Saer fait preuve d'intelligence : débutant son intrigue sous forme romanesque, il tente une incursion dans l'essai en fin de parcours. Il s'amuse à casser les codes narratifs. Malgré ses qualités inventives, il ne se passe pas grand chose dans cet ouvrage. J'ai eu le même sentiment avec Les onze de Pierre Michon : la sensation de passer à côté d'un chef d’œuvre, totalement incompris par mes neurones réfractaires au style parfait qui fait de l'ombre au contenu. Franchement, j'aurais voulu plus et surtout adorer L'ancêtre !

Magnifique, splendide traduction de Laure Bataillon
Éditions Le Tripode

Quelques citations du texte

« L’inconnu est abstraction ; le connu, un désert ; mais le connu à demi, l’entr’aperçu, est le lieu parfait où faire onduler désir et hallucination

« Toute vie est un puits de solitude qui va se creusant avec les années

« Le seul savoir juste est celui qui reconnaît que nous savons seulement ce qui condescend à se montrer. »

LC avec Laure (merci, merci, merci de ton indulgence)

autres avis : Laure, Sandrine DominiqueNina,

et grâce au com de Zazy, dans le même registre, c'est ici et mieux réussi

Eaux-fortes de Buenos Aires - Roberto Arlt ***

Éditorialiste argentin des années 1930, Roberto Arlt s'est fait le porte-parole des laissés-pour-compte de la société civile de Buenos-Aires. Tour à tour caustique, railleur ou moqueur voire intransigeant, il dresse une galerie spontanée de cette faune urbaine et présente les oisifs ou autres profiteurs, fouineurs, fourbes, homme bouchon ou même femme de médecin ! 
Se promenant dans les rues de cette capitale pluriculturelle, il décrit les ruelles et l'ambiance de cette grande ville, gamberge sur son métier de pigiste et contemple ses contemporains : il fustige les bourgeois et tente d'appréhender la classe laborieuse. Parfaitement rédigé, dans une langue moderne (malgré l'ancienneté des textes : c'est certainement lié à la traduction parfaite de Antonia Garcia Castro), Eaux-Fortes de Buenos Aires souffre uniquement du ton morose de son auteur. Dépeindre toujours la noirceur de la nature humaine a tendance à toucher au moral du lecteur, et ce malgré l'ironie assumée, le plaisir évident et la dextérité littéraire de ce grand essayiste et penseur argentin d'avant-guerre. C'est là son principal défaut. Car Roberto Arlt nous dispense aussi une voix inhabituelle et des chroniques vraiment rafraîchissantes. L'ouvrage des éditions Asphalte comporte également des photos d'époque et un lexique succinct du vocabulaire arltien : quelle bonne idée !

pages 76 - 77
L'homme qui fait le mort, est-ce celui qui, après maintes réflexions, est arrivé à la conclusion que travailler ne vaut guère la peine ? Non. Ne fait le mort qui veut, mais qui peut, ce qui est très différent.
Celui qui fait le mort a ça dans le sang. 
À l'école, c'était le dernier à lever le doigt pour réciter sa leçon ou, s'il connaissait les manies de l'instituteur, il ne levait le doigt que lorsqu'il était sûr que celui-ci ne le désignerait pas en croyant qu'il savait sa leçon.
Lorsqu'il était plus petit, il se faisait porter par sa mère, et si on voulait le faire marcher, il chialait comme s'il était très fatigué parce que, dans son entendement rudimentaire, il était plus pratique de se faire porter que de se porter soi-même.

pages 115 - 116
L'Homme bouchon, qui jamais ne s'enfonce, quels que soient les événements troubles auxquels il est mêlé, est le type le plus intéressant de la faune des enflures. 
Peut-être le plus intelligent et le plus dangereux.(...)
Bien, quand un malandrin de cette espèce ou de n'importe quelle autre espèce vous dit que « son nom et son honneur n'ont pas été affectés par le procès », mettez vos mains dans vos poches et ouvrez grand les yeux, autrement vous pourriez le regretter.
Déjà à l'école, il était un de ces élèves sournois, faux sourire, bien appliqué, et qui, quand il s'agissait de jeter un caillou, le refilait au camarade.
Partners 
Traduction de Antonia Garcia Castro
Éditions Asphalte (201 pages)
Rentrée d'hiver 2014

SP reçu et lu grâce à une opération conjointe Libfly-les éditions Asphalte : un énorme merci pou cette découverte !

avis : Eric 

Rentrée littéraire janvier 2014

et un de plus pour le challenge de Valérie

Piqûre de rappel #3 : n'oubliez pas de participer à mon concours organisé avec les éditions J'ai lu et Thomas Raphaël  : trois exemplaires en édition poche de Le bonheur commence maintenant sont en jeu. C'est ici  (Demain sera le dernier jour de participation)

Wakolda ***** vs Le Médecin de Famille **** / Lucía Puenzo

Cela fait très longtemps que je n'ai lu un roman aussi réussi et enfin, il est arrivé avec un nom de poupée, en plus ! En traitant un sujet aussi difficile que celui d'analyser le mental d'un médecin nazi sans juger et uniquement en se basant sur des faits historiques, Lucía Puenzo offre avec Wakolda, un portrait édifiant et à mon avis relativement proche de ce que fut Josef Mengele, criminel de guerre indéfiniment traqué par les services du Mossad.
Une famille argentine veut changer d'air(e) : la quatrième grossesse d'Eva, la mère, incite la tribu à reprendre une pension familiale laissée en héritage à Bariloche. Le père, Enzo, artiste à ses heures et doué en mécanique, voue une passion chronophage pour la conception de poupées en tout genre. Lilith, leur fille unique, présente une morphologie petite pour son âge : sa prématurité y est pour beaucoup. Le jour du départ, un étranger à l'accent germanique, passablement intrigué (voire intéressé) par l'ado, souhaite partager le chemin avec eux : la route ne semble pas très sûre, peu bétonnée et la nuit tombe vite. Le cramponnage ne fait que commencer.

Ce livre magistral décortique sur un exemple, le refuge des hautes instances nazies en Amérique du Sud et en particulier en Argentine, seul pays qui leur a offert l'amnistie. D'ailleurs, l'escale fortuite dans le clan Malpuche en donne une explication : le génocide de ce peuple par les grands propriétaires terriens argentins a anticipé cinquante années auparavant, l'extermination programmée par les nazis.

Un portrait impressionnant de Stefan Mengele, vétérinaire de formation, anthropologue ensuite du IIIè Reich, plus apprenti-sorcier que médecin savant, plus toqué que jamais. Sa folie se dévoile avec la multitude de notes irrationnelles prises sur ses cobayes, ses essais cliniques non maîtrisés : il ne doute jamais, en impose beaucoup, décide du destin de chacun et agit toujours en fonction de sa théorie de race supérieure.
Au-delà de ce personnage nauséabond, Lucía Puenzo répond à la problématique suivante : comment une famille arrive à faire confiance à un bourreau, alors qu'au départ, elle éprouve de vrais soupçons concernant la nature de cette personne ?
Véritable homme caméléon, tel un parasite, Stefan Mengele s'immisce dans la cellule familiale et la modifie comme une vulgaire souche moléculaire, allant même jusqu'à s'occuper de la poupée. Doué d'un flair hors normes, il ne laisse rien au hasard : s'occupe de l'activité d'Enzo à des fins propagandistes, étudie Lilith et Eva, empiète sur leur quotidien pour mieux les manipuler, choisit le lieu de résidence en raison de la proximité d'une clinique amie. Présenté comme sauveur, il ne cesse de détruire.
Wakolda est un grand roman sur la manipulation, sur la fascination d'une jeune adolescente pour un pervers (avec un soupçon de Lolita de Nabokov), sur l'aveuglement de tous face à un esprit malade, sur le manque de conscience collective. Remarquable, tout simplement !

Traduction d'Anne Plantagenet
Éditions Stock

The Voice : ici

Le livre voyage  : d'abord chez Zazy, chez Achille49 (Libfly), Jostein et Hebelin (Libfly)

avis : Zazy

et un de plus pour le challenge de Sharon
 

Stock
image obtenue grâce à l'aimable autorisation du site Libfly.com

J'ai reçu ce livre grâce à un partenariat Éditions Stock-Libfly qui m'a permis aussi de découvrir l'adaptation cinématographique très réussie, Le Médecin de Famille, réalisée également par Lucía Puenzo. Je les remercie infiniment de ces très beaux cadeaux.
L'auteure-réalisatrice a effectué quelques changements notoires sur le récit littéraire :
1) Exit la famille Malpuche (ainsi que l'échange de poupées et la dernière scène concernant Wakolda, pourtant édifiante et résumant toute la théorie nazie : celle de supprimer, de remplacer, de détruire toutes les autres cultures),
2) changement de statut de Nora Eldoc (d'alpiniste, elle débarque en archiviste : l'avantage est que l'intrigue et la tension se mettent en place plus rapidement ; le problème est qu'il devient difficile de croire que le clan nazi toujours aux aguets lui ait fait suffisamment confiance au point de lui permettre d'assister à leurs réunions et surtout, quelle chance pour elle, d'être déjà implantée en le lieu d'arrivée de Mengele),
3) une bonne introduction de l'hydroglisseur (pièce maîtresse de la chute du récit),
4)  dualité entre Mengele et Enzo intéressante au niveau politique, éthique et corporel, celle du pater familias
5) un complément d'informations sur Mengele qui décidément ne lâchait sur rien, restait en total contrôle de lui-même et de son environnement (auberge, usine et hôpital réquisitionnés) et toujours la problématique chère à l'auteure (où même une infirmière qui doute sur un traitement applique les ordres du soi-disant médecin).
Des couleurs et des paysages superbes, un récit tenu, une intrigue qui complète celle du livre : un très bon film !

Les domestiques - Gustavo Bossert ***

Après les Catilinaires d'Amélie Nothomb et Cannisses de Marcus Malte, un petit retour aux opportunistes et autres tapeurs l'incruste ne ferait pas de mal. Cela tombe bien, Les domestiques le propose version savante servante !
Il est parfois judicieux de ne pas rendre service et se montrer peu généreux (ça y est, je capte votre attention. Non, non, les vacances ne m'ont pas changée, vous allez comprendre).
C'est très certainement ce que doivent penser Pablo et Isabel Marti, un vieux couple de retraités peinards dans leur cambrousse, entourée de collines magnifiques : bref, là où le silence se fait roi. Accessoirement, pour assurer leur minimum vital et médicinal, une petite excursion dans le pueblo du coin (environ une demi-heure de route) leur assure le quart d'heure hebdomadaire de sociabilisation. Point trop n'en faut tout de même !
Sauf qu'un jour, débarque chez eux une paire de trentenaires Sofia et Ravier Ramirez bien décidés à répondre à une annonce faite par les Marti dans un journal du coin. Notre couple héroïque ne se souvient de rien et surtout n'envisage pas un instant la présence de domestiques chez eux : trop d'humains tue leur quiétude ! Mais c'est mal connaître la bête les Ramirez, tous les Ramirez ! D'un petit malentendu à une situation ubuesque, le fossé se prolonge en une note salée : celle du salaire exigé !
Ce court récit, rondement mené, ne perd jamais en rythme : tension en crescendo, quelques instants de repos avant de plonger dans l’abîme. Redoutable logique de la folie humaine, Les domestiques se lit d'une traite, en apnée. Il est fort probable que vous ne laissiez plus jamais un inconnu entrer chez vous après cette lecture !

Traduction d'André Gabastou

Éditions J'ai lu

et un de plus pour le challenge d'Anne (je suis à fond ! )

Un grand merci à Une Comète pour la découverte de cette œuvre quelque peu reposante !

Le désert et sa semence - Jorge Baron Biza ****

La première scène de Le Désert et sa semence relate les suites de l'agression au vitriol du visage d'Eligia (fille de Presotto), par Aron Gageac, narrées par Mario, en août 1964 (certainement le 16, comme dans la vie de l'auteur). Au fil des pages, on découvre la relation entre ces trois individus à forte personnalité : le triptique oedipien revisité et inversé, un couple parental bancal et peu équilibré d'intellectuels fortement impliqués dans la politique de leur pays, au prix d'emprisonnements fréquents et de nombreux exils à Montevideo (en Uruguay) et à Milan en Italie (berceau familial d'Eligia). La mère, Eligia, femme politique influente et éternelle rivale d'Eva Peron avant le crime, puis le père, Aron, écrivain multimillionnaire fan du marquis de Sade, engagé dans différents partis politiques, n'hésitant pas au cours de sa vie à contredire ses premières convictions et enfin, leur fils Mario de 22 ans perdu entre ses deux parents à l'amour passionnel (Eligia a 16 ans lorsqu'elle rencontre son futur mari, de vingt ans son aîné), se déchirant pendant près de 24 ans lors d' un divorce tumultueux, jamais prononcé (la dernière séance de conciliation se terminant à l'acide sulfurique, puis peu de temps après au suicide d'Aron), Mario hébergeant tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Le visage d'Eligia se décompose puis se consolide, au prix de multiples opérations de chirurgie réparatrice dans des cliniques renommées et coûteuses entre Buenos Aires et Milan, où parallèlement la vie de Mario se dégrade : alcoolisme aux liqueurs fortes (de préférence, au whisky écossais, la boisson préférée de son père... tiens donc, comme c'est bizarre ? ), des rencontres lugubres avec la prostituée Dina, quelques rayons de soleil (Sandie et son père, le couple Charles et Sarah) mais à chaque fois la fuite et l'errance, Mario résumant sa vie à être un protecteur et un soutien bancal de sa mère (ce qui n'est déjà pas si mal !).
Issu d'une histoire vraie et vécue par l'auteur Jorge Baron Biza, Le Désert et sa semence reste un texte âpre, fourni et rare, une sorte de quête personnelle pour comprendre et expliciter le passé parental et le cheminement des idées, parfaitement décrite avec des intrusions d'écrits du père et la lente reconstruction maternelle.
Les traducteurs, Robert et Denis Amutio ont tenté de nous faire saisir le cocoliche (mélange entre l'argentin et l'espagnol) avec difficulté. Mention spéciale à la pagination et l'illustration de Lorenzo Mattoti, l'objet livre devenant une œuvre picturale de grande qualité pour rendre hommage au dixième anniversaire de la disparition de l'auteur. Je remercie les éditions Attila pour avoir ajouté à cette grande œuvre, les sources de l'auteur et l'étude analytique de Daniel Link, documents qui permettent à la lectrice amatrice que je suis, de compléter ma perception de cette histoire.

Livre reçu et lu grâce au partenariat de Libfly/ Le Furet du Nord et les Éditions Attila : merci !