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Au vent mauvais - Kaouther Adimi ****

Au vent mauvais déroule des décennies d'histoire algérienne et d'une vie. Ce roman efficace revient sur les évènements majeurs qui ont construit l'Algérie d'aujourd'hui à travers l'itinéraire de trois citoyens.
Avec Leïla, Saïd et Tarek, tous natifs du village El Zahara, Kaouther Adimi compose une fresque ample et courte, ample pour la période historique abordée (l'histoire de l'Algérie de 1920 à 1992, de la guerre d'indépendance à la guerre civile), ample par ses personnages habités et incarnés, courte par son nombre de pages très bien exploité. 
De Au vent mauvais, je retiendrai le questionnement de Kaouther Adimi sur l'impact de la littérature dans une vie -notamment lorsque l'œuvre exposée se veut autofiction-, les ravages de l'opprobre et des non-dits, les prénoms qui ne sont plus choisis.
De Au vent mauvais, je n'oublierai pas l'impact du déracinement et les sacrifices du quotidien, le bar parisien, le jardin romain et le cinéma algérien.    
De Au vent mauvais, je garderai ce pincement au cœur des pages 251-252 de cette présente édition de poche, ces jets de mots sincères qui détaillent le tiraillement d'une guerre civile - les trop nombreuses victimes dont les premières furent souvent les artistes engagés et les femmes -, l'enfermement des esprits par la peur, la manipulation et le terrorisme, la dichotomie subie et vécue par la population.
Au vent mauvais est un hymne à la liberté, un tableau de personnages respectables et modestes qui auront toute leur vie fui pour mieux vivre.
De Au vent mauvais, je garderai
   - l'image de Tarek personnage taiseux qui répond à ses obligations, ne cesse de s'agiter et de s'effacer malgré son talent moral indéniable et sa capacité du sacrifice,
   - l'image d'une Leïla courageuse qui a porté le quotidien de sa famille et dont les rumeurs vont sacrifier une part de sa maternité. 
Au vent mauvais nous présente des itinéraires de vie de héros du quotidien estimables en état permanent de résilience et qui attendent une forme de réconciliation.
Une réussite en tous points.

Éditions Points 

de la même autrice :  L'envers des autres  - Les petits de Décembre - Nos richesses  

Identités by Idir

l'album d'Idir a accompagné mon entrée dans l'âge adulte (celui des premières années de travail professionnel). Il regroupe des duos ou trios ou plus d'exception, des instants de grâce où seuls résonnent la poésie et les discours, où le mot fraternité est si joliment illustré, interprété et incarné.

Dans cet album d'exception maintes fois entendu (car il a fait partie de mon quotidien pendant de nombreuses années et par les valeurs qu'il porte), trois chansons ici extraites :

A Vava Inouva 2 (avec la chanteuse écossaise Karen Matheson)
A Tulawin (une Algérienne debout) (avec Manu Chao sous un discours de Khalida Toumi, auparavant Khalida Messaoudi, immense féministe algérienne)

Un homme qui n'a pas de frère (avec le groupe toulousain Zebda)



Idir, si humble et généreux chanteur, grand humaniste de Kabylie et profondément féministe, est décédé hier, victime de la Covid-19. 

Paix à son âme et un immense merci pour cette œuvre sublime laissée à l'humanité. 

Les livres à l'épreuve du temps # 6 : Les petits de Décembre *** - Kaouther Adimi

Les petits de Décembre sont au nombre de trois, trois adolescents (deux garçons et une fille) qui jouent au football sur un terrain, pas très loin de leur foyer. Malheureusement pour eux, leur plaine de jeux est convoitée par deux généraux, bien décidés à y implanter leurs futures demeures de retraités. Ce conflit de voisinage va prendre des proportions nationales et internationales inattendues.
Dans Les petits de Décembre, Kaouther Adimi dresse une révolte de la rue face aux nombreuses exactions de certains militaires algériens. Le terrain devient une parabole des luttes et des souffrances, un biais pour montrer son mécontentement face à une autorité privilégiée qui a utilisé sa position de force pour obtenir moultes droits à la propriété et usurper des permis de construire. Ces mêmes dirigeants usent de toutes les intimidations (chantage au procès, chantage à la destitution de décorations, chantage sur l'honneur) et diverses menaces (surveillance de réseaux sociaux, menace de fermeture d'un journal ou d'un parti politique, menaces sur les pères, flatteries auprès des mères) afin d'arriver à leurs fins et d'amadouer cette jeunesse fougueuse et peu contrôlable. Mais l'avantage de notre monde actuel est que finalement beaucoup d'événements filtrent hors du territoire national ; l'inconvénient est que la pression populaire internationale n'est pas toujours suffisante pour changer le diktat.
La rébellion infantile est suppléée par des jeunes adultes qui n'ont rien à perdre parce qu'ils n'ont rien à y gagner (au chômage, en désintégration sociale, pourtant diplômés) : leur fronde devient leur point de salut, le témoignage publique de leur conscience politique, de leur fierté, de leur honneur retrouvé.

Kaouther Adimi arrive parfaitement à décrire l'univers algérien, la corruption des élites, leurs bassesses : leur cruauté est égale à leur crédulité face aux sciences occultes, leur nuisance se mesure à leur capacité à imposer leur loi.

J'ai apprécié la lecture de Les petits de Décembre. L'écriture précise de Kaouther Adimi est toujours présente, sensible. Elle s'attache à décrire parfaitement la société algérienne et les post-attentats des années 1990. Mais il m'a manqué un souffle, un rythme (j'ai eu le sentiment de répétitions, d'une histoire qui évolue et glisse doucement, très doucement, trop doucement au point d'interrompre ma lecture pour découvrir un autre ouvrage et finalement revenir à ce roman.) Si les personnages sont parfaitement marqués et distincts, je ne me suis attachée à aucun.e d'entre eux : le fait de ne pas avoir un héros mais des héros (choix qui s'explique parfaitement) ne facilite pas l'attrait pour l'un.e ou pour l'autre.    

Aussi politique et aussi ancré dans le réel que L'envers des autres, moins historique que Nos richesses, Kaouther Adimi construit un roman sociétal abouti qui donne en un temps donné une photographie d'un quartier/d'un pays avec des personnages hauts en couleurs (où les femmes prennent une large place avec un trio de grande envergure Adila-Yasmine-Inès), un quartier cosmopolite et vivant, où vit une opposition singulière à la Gandhi qui témoigne la grandeur d'âme de ses habitants et contraste avec le mépris des "grands" de cette fable moderne.

Éditions du Seuil 

De la même auteure

avis : Clara

Nos richesses - Kaouther Adimi **** [RL 2017 #10]

Après le très réussi L'envers des autres, Kaouther Adimi récidive. L'émouvant Nos richesses (titre splendide récupéré d'après l’œuvre Les vraies richesses de Jean Giono) oscille entre
  •  narration contemporaine (celle de Ryad, ingénieur, stagiaire le temps d'un été, présent pour faire le sale boulot : celui de vider une libraire de quartier qui recèle de trésors inestimables)
    et 
  • carnet de bord (celui du fondateur de ladite librairie : Monsieur Edmond Charlot, tour à tour ingénieur, éditeur, détecteur de talents littéraires, un génie surtout, honnête et droit, dont la posture ne se prête guère à l'époque dans laquelle il va évoluer - seconde guerre mondiale, guerre d'Algérie).
Nos Richesses par Adimi
image captée du site Babélio
Alternant les deux phases, Kaouther Adimi fait monter la pression en même temps que se vide le lieu magique et que l'épopée de son propriétaire rencontre des murs après avoir connu la félicité (Gide, Roblès etc). 
L'émotion étreint, l'auteure a le tact de rester dans le factuel, de dénoncer à l'aide d'un style haché et rude, le massacre du 17 octobre 1961 à Paris - 200 manifestants algériens venus manifester pacifiquement poussés à la noyade par les policiers français sur ordre de Maurice Papon -, un crime collectif que mon pays n'a toujours pas reconnu pour notre plus grand malheur. On ne peut plus s'épargner de cet inventaire.
La métaphore des flaques d'eau redoutables pour le papier précieux renforce le souvenir de celui d'êtres qui cherchaient avant tout la réconciliation et la reconnaissance.

Kaouther Adimi arrive à imprimer la haine et la violence de l'époque, les petites mesquineries éditoriales qui rendront les mastodontes encore plus forts face à des maisons talentueuses mais moins fortunées. 
Nos richesses résume tout ce que nous portons de plus précieux : les œuvres (témoins de notre époque, notre héritage) et notre humanité : à nous de la préserver, à nous d'empêcher son asphyxie. Un livre important, qui mérite son Prix du style 2017 et son Prix Renaudot 2017 des lycéens.

Éditions du Seuil 

de la même auteure : L'envers des autres

Evasion musicale : Million Reasons - Lady Gaga (mille mercis d'avoir créé ce bijou sonore qui me permet de "pythonner*" tranquille !)
  

Marguerite et le colporteur aux yeux clairs - Leïla Sebbar ****

Marguerite, jolie Française qui rêve en lisant des romans d'amour d'horizons orientaux et de sable chaud se coltine chaque été un mois à la ferme de son beau-père. Heureusement, les travailleurs saisonniers originaires d'Afrique du Nord vont lui apporter ce supplément d'âme que son mari de retour de la guerre d'Algérie ne cessera de lui refuser. 

Marguerite et le colporteur aux yeux clairs est un très joli texte sur l'adaptation d'un nouveau territoire, sur l'acceptation de l'Autre après avoir été un ennemi. Il y a mille façons d'aborder l'après-guerre et Leïla Sebbar a choisi le roman sans occulter les préjugés, les clichés véhiculés entre les deux clans qui se sont affrontés. D'un côté, le respect, l'envie de se côtoyer de près (voire de très très près), de l'autre la douleur des villageois-soldats meurtris dans leur chair, pleins d'espoir d'un conflit "sain" sans traumatisme - espoir vain puisque cette sale guerre (comme ses copines) anéantira les corps et les âmes-. Marguerite au milieu, comme vecteur de paix, comme lien externe sans ambiguïté sans contrepartie, sans jugement, sans idée préconçue. 
Marguerite et le colporteur aux yeux clairs raconte une femme aimée, puis négligée qui aura cette chance inouïe d'attirer la sympathie, toute empathique et généreuse fut-elle. Un juste retour des choses, au final.

Leïla Sebbar narre nos campagnes loin de tout, en interprétant l'actualité au gré des piliers de comptoir. Comme toujours, des jets parfois grotesques, énervants et puis quelques saillies justes, profondément humaines sur l'accueil dû aux exilés et apatrides, fuyant les joutes militaires er récupérant d'autres verbales violentes à leur façon. 

Une écriture simple, très agréable qui me transporte ici et là-bas. Une belle découverte.

Éditions Elyzad (que j'adore)

autre avis : ma Zaz

Mille mercis à la libraire de La Gède aux livres à Batz-sur-Mer (22, rue Jean XXIII et www.facebook.com/lagedeauxlivres) pour ces conseils avisés. Grâce à elle, j'avais fait ma cargaison anglaise (Jane Austen, Charlotte Bronte, Emily Bronte, Thomas Hardy) l'an passé. Cette année sera plus éclectique et tournée vers le Maghreb.

évasion musicale : Waiting here - The Avener.



Editions Elyzad : L'invitation (de) Mon frère-ennemi

J'ai eu l'énorme chance de découvrir Elyzad à l'occasion de l'opération Deux éditeurs se livrent sur Libfly.com. Catalogue motivant, des auteurs précieux dont Yamen Manai (ma découverte francophone 2012 ici et ), une maison d'éditions qui tente d'élargir la littérature à tous et à toutes en Tunisie. Quand s'est présentée La voie des indés 2013 , je n'ai pas hésité à découvrir d'autres pépites et surtout à en profiter pour suivre Djilali Bencheikh dont les yeux bleus m'avaient touchée. Résultat : je suis un peu moins enthousiaste mais je ne regrette aucunement ces lectures, au contraire !
En 2010, Théo Ananissoh fut convié à séjourner quatre mois à Moisant en Touraine. Cette résidence d'écrivain lui a permis de côtoyer les édiles locaux, d'approcher l'accueil chaleureux que lui ont réservé la plupart des villageois, excepté l'inquiétant Louis Ribassin, dont la carrière africaine sentit  le soufre et ne fut guère reluisante humainement parlant. En est sortie, L'invitation ***, recueil de portraits pittoresques de cette France rurale, encore attachée aux liens physiques qu'offrent un souper, une conversation ou une promenade. Théo Ananissoh, natif de Centrafrique, évite les comparaisons entre civilisations (ce sont plutôt ses interlocuteurs qui les lui suggèrent), use de descriptions de ces lieux de vie discrets que représentent le presbytère, le café du coin, les alentours de Moisant et relate des faits sans engager d'interprétations ni dégager d'émotions. Cette démarche sociologique d'un village français s'inscrit dans le recul que s'impose l'auteur et a généré chez moi une certaine indifférence. Malgré tout, la prose de Théo Ananissoh, agréable à lire, mérite vraiment le détour.
avis : Zazy, Pasdel
Précédant Tes yeux bleus occupent mon esprit mais publié après, Mon frère-ennemi *** dévoile la petite enfance de Salim : le petit garçon navigue à vue parmi une fratrie nombreuse où les aînés quittent le foyer lors d'un mariage arrangé (pour les femmes) ou d'un premier poste (pour les hommes). Enfant impressionné et impressionnable du fait de son jeune âge (cinq ans), tout est prétexte à la découverte ou à la rêverie: l'école française (la culture des colons avec langue officielle imposée), l'achat sous le manteau de journaux indépendantistes, les rituels religieux (l'inquiétante tahara aux instruments chirurgicaux moyennement stérilisés, la nuit de noces et les youyous assourdissants etc) et enfin, l'éveil des sens (sentiment amoureux avec Maya, scènes plus charnelles avec R'nia). Djilali Bencheikh décrit cette Algérie coloniale pleine de contradictions où une famille au patriarche toujours apprêté souffre de la faim, où les baisers sont réservés à l'intimité d'une chambre à coucher, où l'instruction scolaire revoit à un autre enfermement (négation de l'idiome local, nouveaux rituels aboyés sans explications), où parler politique se traite discrètement : un monde non-dits et faux semblants, rejetant les défaillances comme les déviances alcooliques. Mon frère-ennemi décrit ce qui fut, ce qui ne pouvait pas rester tel quel. Si je considère ce récit intéressant et éclairant sur les coutumes algériennes (parallèle entre la vie au douar et la citadine, relations complexes entre hommes et femmes en particulier, passé historique et relations avec la France), je le juge trop décousu. Je regrette le choix de l'auteur de n'avoir pas su tisser une intrigue sur la petite enfance de Salim (comme il avait si bien procédé dans Tes yeux bleus...). Cela aboutit à une succession de scènes indépendants les unes et des autres et surtout à une intrigue hachée menue, malgré une prose toujours aussi nourrie. Jusqu'au choix du titre, hasardeux tant il se démarque du contenu : peu de références à l'animosité entre Elgoum et le narrateur (exceptés les déjeuners pris dans un garage avec les figues à se partager). Pourtant tout y était pour la fondation d'un excellent roman. Décevant.

avis : Zazy

Livres reçus et lus dans le cadre de La voie des Indés 2013 organisée par Libfly en partenariat avec les éditions Elyzad dont j'apprécie la qualité de la pagination et les premières de couverture toujours recherchées.

et un de plus pour les challenges de Denis et Fabienne, de Sharon (pour Mon frère-ennemi)

Avis aux cinéphiles : un très bon film, grand public, avec seulement deux acteurs, s'offre à vous mais vous le savez déjà : je parle de Gravity, à ne pas rater. 

Label

Ce que le jour doit à la nuit - Yasmina Khadra ***

Heureusement que les copines sont là pour vous motiver à répondre à un challenge (accessoirement, le vôtre !) Je parle bien sûr de Minou et Au secours, ma  PAL déborde coorganisé avec Malika (enfin, c'est Malika qui a eu l'idée). Je vous présente donc ma première descente de PAL (non, ce n'est pas le nom d'une nouvelle bière du ch'Nord) Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra.
Younes, magnifique Algérien aux yeux azur (du genre Zidane sans coup de boule, ce dont il serait bien incapable (que bien lui en prenne ! - réflexion toute perso, hors de propos)) a tout pour lui : la beauté (déjà suggérée), l'intelligence de la réflexion, le savoir, l'art de s'intégrer à tout et à tous, de lier les différentes communautés sans crainte d'en trahir une, un personnage lisse et c'est bien là, le problème.  
Un incendie de champs de blés conduit à la ruine familiale, au déshonneur, au retour à Oran côté bidonvilles. Younes, fragilisé, découvre la pauvreté, un pendant de cette Algérie coloniale multiple et complexe, où le pouvoir reste essentiellement détenu par la communauté française depuis quatre générations, où la répartition des richesses demeure inexistante, poussant à la révolte les plus fragiles, les illettrés candidats au rang de fellagas. La guerre d'indépendance frémit. Mais Younes possède un degré de chance assez exceptionnelle : son riche oncle pharmacien semble tout disposé à le prendre sous son aile, avec l'abjecte condition d'oublier à jamais sa mère, son père et sa petite sœur.

Ce que le jour doit à la nuit, un roman riche en histoires (la grande et la petite, surtout la grande), décrit cette Algérie si méconnue, cette assemblage de communautés au bord de l'implosion puis le conflit civil. On comprend à travers ce récit, la difficulté de reconstruction de ce beau pays après le départ des « Français », après une colonisation plus aliénante que le protectorat subi en Tunisie et au Maroc. La population, globalement moins lettrée (l'asservissement nécessite l'inculture), ne fut prête à conduire le pouvoir, par manque de formation tout simplement, les instructeurs étant priés de dégager vite ! Oui, ce livre rappelle le drame algérien et les raisons qui conduisent aujourd'hui encore nos deux communautés à cette difficulté de communication. Ce fut un réel déchirement  : de quitter sa patrie (des Pieds-Noirs natifs de la terre algérienne depuis deux, trois voire quatre générations - certains spoliateurs et esclavagistes, beaucoup en exil contraint - ne connaissaient que la France des cartes postales) ce que Jacques Derrida a parfaitement exprimé en nostalgérie ; de pousser une population à un état général de schizophrénie ambiante (le combat entre voisins ou pairs, le conflit armé et idéologique entre harkis et fellagas etc) ; de ressentir impuissants la lâcheté et l'abandon des dignitaires français (en  particulier le Général de Gaulle, qui n'a visiblement rien compris). On respire l'ambiance d'Oran et on n'a qu'une envie : la vivre en direct ! Ce versant historique, parfaitement développé grâce aux anecdotes vécues par le personnage principal, instruit le lecteur et donne du corps au récit.  

La « petite histoire », considérée comme fresque, me pose un problème : le côté atone du héros (plutôt non-héros, d'ailleurs), sorte de Zadig des temps modernes sans grande conviction, partagé entre les deux cultures, en manque affectif évident (son enfance atrophiée l'explique) m'a bien chauffée (en ces temps de gel, c'est idéal mais certainement pas prévu par Yasmina Khadra) tout comme la relation d'une mièvrerie incommensurable avec l'amour de sa vie. Là, très clairement, Yasmina Khadra frôle le Harlequin et entache le volet politique passionnant de son intrigue. Des bluettes à n'en plus finir, des amitiés longue durée qui volent en éclat pour une relation platonique : on croit rêver et surtout on pleure de voir un si bel ensemble gâché. Younes subit sa vie et son changement de prénom avec passivité, fait ce qu'on lui demande sans broncher, n'exprime aucune initiative sauf en toute fin, mais sans harceler : incroyable ! Yasmina Khadra souhaitait certainement écrire une œuvre relatant la guerre franco-algérienne vue de l'intérieur, Younes devenant un substitut narratif secondaire. L'auteur a tenté le côté clair-obscur, ce contraste entre la marche accélérée de l'Histoire et l'attentisme de son non-héros mais son exploitation m'a semblé mal engagée et assez édifiante, au point d'avoir envie de secouer le cocotier et de me dire que l'intrigue ne méritait pas ce témoin-là : un comble !

Éditions Pocket 

Livre lu en LC avec Minou (merci, merci, merci, ainsi qu'à Malika !) 

avis : Minou


et un de plus pour les challenges Au secours, ma PAL déborde (fin le 30 janvier, challenge donc réussi) de Malika et de moi (sur une idée de Livraddict), de Denis et Fabienne, de Sharon et de Laure (prix France Télévisions 2008, prix Lire meilleur livre de l'année 2008, etc) 


Le minotaure 504 - Kamel Daoud ****

Le minotaure 504 représente un recueil de quatre nouvelles plutôt longues, toutes imprégnées de l'atmosphère algérienne d'après-guerre avec la France. Toutes parlées au masculin, elles déroulent le quotidien et le traumatisme vécus, cherchant la transmission malgré l'absence d'exactitude des faits et du recul nécessaire : tour à tour chauffeur de taxi, concepteur d'aéroplane, écrivain en berne ou marathonien, ces hommes parlent, nous parlent de l'Algérie moderne, vaillante mais écrasée encore par un passé non totalement assumé et un présent lourd. 
Que penser 
     d'Askri, conducteur d'une ligne menant à Alger, Alger la Blanche, Alger la promise, celle qui a donné son nom au pays, celle qui le terrorise et le fascine au point de le transformer radicalement dans le Minotaure 504  ? 
    et de cet ingénieur militaire, prophète en son pays, incompris parmi d'autres, qui n'attend plus l'Ange puisqu'il a créé ce beau et formidable concept révolutionnaire, que tous nient à son grand désespoir et ici présenté lors d'une foire internationale pour Gibrîl au Kérosène  ?
    puis de ce marathonien algérien de L'ami d'Athènes, toujours en course dans la capitale grecque, en proie aux souvenirs, qui se donne à fond au point d'oublier de s'arrêter et qui rappelle étrangement le héros de La solitude du coureur de fond d'Alan Sillitoe : même concept, même questionnement sur la liberté ?
   et enfin, de cet auteur assez minable, de La préface du nègre, qui essaie de gruger un vieil analphabète en réécrivant ses mémoires et qui au final, découvrira la plus belle leçon de sa vie et pour nous un joli résumé des nouvelles lues (quoiqu'il en manque une, qui m'aurait bien parlé !) ?

L'écriture de Kamel Daoud est brillante, fournie d'une exactitude remarquable sur les sentiments exprimés.
Vous dire que ce livre est riche des réflexions universelles de ces héros me semble superflu: une vraie plongée dans l'Algérie moderne, si vivante, si mal connue ... un retour aux sources pour tous ! 

Éditions Sabine Wiespieser en partenariat avec les éditions Barzakh.

à ma maison

note personnelle : je vous indique les liens de la sélection opérée par Libfly concernant les éditions Elyzad (Tunisie) et Barzach (Algérie) . Ce fut l'occasion pour moi de découvrir de belles proses et des auteurs très intéressants. J'y plonge de temps en temps pour d'autres surprises.

panel des éditions Elyzad                            

panel des éditions Barzach (en coédition avec Actes Sud/ Sabine Wiespeser/ Jigal)

Derrida à Alger, un regard sur le monde *****

Derrida m'a déridée (voilà, ça c'est fait !) du point de vue philosophique. Il faut dire qu'il y avait du boulot. Sujette à une dysorthographie sévère (dixit mon professeure de Philosophie de Terminale : à ce jour, je ne lui en veux plus et reconnais une forme de réalité dans son intuition), j'ai toujours des difficultés à comprendre cette discipline. Le talent n'étant pas là (les exercices non plus), mon niveau atteint dans ce domaine reste proche du vide abyssal. La lecture de cet essai fut donc une gageure (accoucher de cette chronique également, je ne vous le cache pas  !).
Un colloque international «Sur les traces de Jacques Derrida» s'est tenu en novembre 2006 à Alger, deux ans après la disparition du philosophe «juif, Algérien, Français, citoyen du monde» (page 9 de l'ouverture). Organisé par Mustapha Chérif, suppléé par Amin Zaoui et les responsables de la Bibliothèque nationale d'Algérie, il rassembla différents orateurs, éminents spécialistes derridiens et présentant chacun un pan de la pensée de ce philosophe cosmopolite, en recherche constante d'innovation et de décloisonnement.
Étudier Derrida en oubliant son histoire personnelle serait une erreur monumentale, tant les deux sont intimement liés. Né à El-Biar en 1930, issu d'une famille installée en Algérie depuis des siècles, Jacques Derrida subit les lois de Vichy en 1940 qui déchurent pendant deux années sa famille (et donc lui-même) de la nationalité française. Cet épisode douloureux va l'amener très tôt au questionnement de l'identité, des déconstructions physique, langagière et théorique. Je suis restée hermétique à certains passages du livre (ne les comprenant pas et ce n'est faute de les avoir relus) mais d'autres m'ont emballée et touchée :
       1) la pensée de l'hospitalité (magnifique synthèse de Marie-Louise Mallet, où- «bien» vivre ensemble n'est possible (si cela est possible) qu'entre étrangers, à la condition d'un étranger «chez soi», c'est à dire aussi à la condition de n'être «chez soi» qu'en étranger- pages 59 et 60, où  l'hospitalité pure, absolue est l'accueil de l'autre sans condition,...,c'est-à-dire accueil de l'imprévisible, car «l'autre, par définition, est incalculable» page 63).
         2) le délacement, le délassement, le déplacement et la lettre manquante le p (l'initiale du mot Père -lien avec la psychanalyse freudienne- mais aussi du mot Puits - référence au puits d'Hegel et à la ville natale de Derrida, El Biar, qui signifie les puits), ce jeu de la déconstruction pour arriver à opposer les sens, à aboutir à des contradictions, marquer les différances, avec des phrases magnifiques rapportées par Jérôme Lèbre page 121 : «on ne peut délier un des nœuds qu'en tirant sur l'autre pour le serrer davantage» (J. Derrida) mais encore page 121«qui délace hors de propos, il lace» (citation de Pascal modifiée par les soins de J.Lèbre, en remplaçant les s par les c (encore un déplacement de lettre)) et enfin, en synthèse «La déconstruction entend nous libérer des pièges à lacets qui nous enserrent» page 132, «nous libère des pièges tendus par la langue» page 125 (J.Lèbre) .
           3) la difficulté des traductions de la pensée derridienne dans d'autres idiomes que le français, puisque justement il y a un problème du sens donné : ses traducteurs Silviano Santiago, Zohra Hadj-Aïssa et Geoffroy Bennington l'abordent humblement et modestement. L'un précise qu'il préférait discuter avec le penseur en français, malgré l'énorme reconnaissance internationale dont il jouissait (surtout aux États-Unis).
        4) l'identité judéo-arabe de Derrida, la figure des marranes («juifs de la péninsule ibérique convertis au christianisme, afin de s'assimiler, disparaître en tant que juifs et échapper ainsi pour un temps à la persécution» page 142), se sentir un étranger chez soi.
         5) la mise à nu des pouvoirs de domination : moment de la conférence où les attentas de 11 septembre 2001 sont «déconstruits» (j'aurais aimé un plus grand exposé de cette partie).

Ce recueil est remarquable pour la qualité des intervenants et les réflexions qu'il fait germer chez le lecteur (en l’occurrence, la lectrice me concernant), au point de me motiver à lire de la philosophie : finalement je crois que je vais réussir à me soigner ! 
Livre reçu et lu à l'occasion de l'opération Libfly/Deux éditeurs se livrent spécial Maghreb avec le partenariat des éditions Barzakh (Algérie) et Actes Sud (France) que je remercie infiniment pour ce très beau cadeau (inestimable pour moi).

évasion musicale : Again and Again -Basto