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[BD] Et travailler et vivre (Les reflets du monde #2) - Fabien Toulmé (entre **** et ******)

J'ai choisi de lire Et travailler et vivre parce que j'aime bien le travail littéraire de Fabien Toulmé mêlant expérience personnelle et professionnelle, réflexions sur le monde qui l'entoure et aussi pour sa bienveillance. C'est quelqu'un qui n'hésite pas à se mettre à nu avec une belle pudeur (Ce n'est pas toi que j'attendais : lu, adoré mais non chroniqué. Je vous surconseille ce livre). Ses écrits reflètent son intelligence et sa pertinence : on n'est pas forcément d'accord avec tout mais au moins on ne peut pas lui reprocher de provoquer le questionnement chez ses lecteurs. D'ailleurs, je ne lis pas ses BD ou romans graphiques pour l'esthétisme de son dessin: les images servent davantage le discours et le style littéraire de Fabien Toulmé et sont un autre appui à ce qui est dit. Je n'ai pas lu le premier tome de Les reflets du monde et cela n'a aucunement gêné ma lecture. 


Dans Et travailler et vivre, Fabien Toulmé explore différents territoires (États-Unis, Corée du Sud, les Comores) questionnant la Grande démission, l'exploitation professionnelle du sur-travail et les démarches d'amélioration de production au regard du développement durable. J'ai été très touchée par l'histoire de Deok-Jun (Qui ne peut pas l'être ?). De façon sous-jacente, cet album questionne l'uberisation de notre société, notre façon de consommer mais aussi notre façon de travailler et de vivre : a-t-on besoin de recevoir absolument en un jour une commande passée la veille ? Est-elle si indispensable ? A-t-on besoin de se faire livrer des repas par des personnes qui subissent des conditions de travail inacceptables, lorsqu'on vit dans un lieu hyper urbanisé où on a pléthore de petits commerces et qu'on a juste à marcher pour les rejoindre et pour se ravitailler ? Que dit de nous cette urgence de besoins secondaires et non vitaux ? Au cours de cette lecture, il m'a paru aussi essentiel que soient davantage étayées les rémunérations des différents protagonistes intermédiaires intervenant entre l'achat d'un produit primaire peu cher (une huile produite dans un pays pauvre) devenant un ingrédient d'un parfum ou d'une crème au prix exorbitant : ce manque de visibilité questionné par Fabien Toulmé encourage la spéculation et le manque de redistribution à l'échelle mondiale, et nourrit les grosses fortunes sans que celles-ci ne justifient la moindre innovation technologique pouvant expliquer d'un tel ratio risque-vente. 

Quand on lit Et travailler et vivre, on s'interroge beaucoup et on découvre à travers ces itinéraires de vie et les différents parcours, des éléments transférables à notre propre chemin de vie (la place des jeunes générations, le sens donné au travail). J'ai trouvé qu'au-delà des choix géographiques judicieusement faits par Fabien Toulmé, j'ai aussi apprécié son humilité à laisser la place à des intervenants de qualité dont Madame Mora, qui permettent d'expliciter les enjeux, de les poser dans un contexte historique, économique, sociologique et géopolitique.

Well done !  

Editions Delcours/Encrages (gros tome : 350 pages de lecture) 

 

 

Ce que je sais de toi - Eric Chacour *****

J'ai choisi Ce que je sais de toi d'Eric Chacour parce que je voulais découvrir ce qui se cachait derrière ce best-seller littéraire. Non pas pour comprendre le succès public mais, plus par curiosité. Et là, bonne surprise : pour un premier roman, Ce que je sais de toi est très complet. 

 

Ce que je sais de toi narre l'itinéraire de vie de Tarek destiné à reprendre le cabinet médical de son père dans la ville du Caire. Ambitieux, vivant dans l'opulence et conscient aussi de soigner des personnes socialement très défavorisées, ses différentes rencontres humaines vont l'aider à cheminer et à se libérer de carcans familiaux et sociaux.

Ce que je sais de toi est une réussite littéraire en tout point : le scénario est solide, les personnages sont bien marqués et campés, l'ambiance est parfaitement installée (on sent l'Egypte à la fois dans ses paysages, dans ses humeurs, dans ses arômes, dans les senteurs). Les découvertes et l'évolution des personnages sont également distillées à bon escient : il y a de vraies surprises et puis d'autres moins. Il y a des révélations. Ce que je sais de toi offre une lecture accessible qui dépayse et renseigne, qui fait aussi vibrer. L'écriture est vraiment propre, le style est très agréable : Eric Chacour n'a pas choisi la tâche facile de faire des allers-retours entre passé et présent, entre le "toi" distant, le "moi" présent et qui veut exister et le "nous" (trois phases qui pourtant se justifient amplement). 

Au cours de ma lecture et avant même de la débuter, le titre Ce que je sais de toi m'avait paru un peu bizarre, peu vendeur. En fait, il est juste parfait. La première scène sur la question de l'automobile résume à elle seule et simplement le traitement inéquitable des garçons et des filles (à la fois dans la projection d'avenir et dans l'écoute de souhaits professionnels) au sein de la famille.

Well done ! 

Éditions Folio 

Seyvoz - Maylis de Kerangal et Joy Sorman (entre *** et ****)

Seyvoz est un objet littéraire intéressant. Construit à quatre mains avec deux voix et deux univers littéraires bien distincts, cet ensemble aurait pu être bancal, montrer des discontinuités permanentes à chaque intervention de l'une ou de l'autre autrice (Maylis de Kerangal et Joy Sorman). Il n'en est rien car fort intelligemment, les deux écrivaines ont bien scindé leur intervention : l'une dans le descriptif du quotidien d'un homme venu inspecter l'installation d'un barrage de Seyvoz et l'impact environnemental et humain sur la population locale ; l'autre dans l'histoire de ce fameux peuple avant l'érection du barrage. Entre elles deux, des esprits du passé qui ressurgissent. 

 

Seyvoz est un texte court (autour d'une centaine de pages), qui se lit facilement et qui permet d'apprécier les plumes de Maylis de Kerangal et de Joy Sorman, leurs différences et ce que chacune apporte au récit élaboré ensemble. J'ai aimé cette idée et cet exercice littéraire : j'ai trouvé le rendu intelligent et scénaristiquement cohérent, j'ai apprécié aussi la différence des deux atmosphères (un présent un peu fantastique et étrange à la David Lynch où le sens est mis à rude épreuve, un passé plus descriptif et plus réaliste qui pose des questions de société et d'environnement que j'ai davantage apprécié). J'ai aussi pensé à l'excellent Mahmoud ou la montée des eaux d'Antoine Wauters (sûrement le côté village enfoui, la montée des eaux et le barrage). Que de belles références.

Une lecture intéressante tant dans sa forme que dans son fond.

Éditions Folio 

Western - Maria Pourchet (entre *** et ****)

J'ai lu Western de Maria Pourchet : j'ai été attirée par le titre mais je reconnais qu'au cours de ma lecture, malgré les citations bienvenues de l'autrice pour justifier son intrigue "western", ma représentation cinématographique m'a empêchée d'envisager ce roman autre que classique. Mis à part ce bémol, j'ai apprécié le glissement des représentations, le changement de l'appréciation des personnages (excellent traitement de la figure d'Alexis. Je pense que celle d'Aurore aurait pu être un peu moins chargée, cela n'aurait en aucun cas gêné le discours) et l'évolution des registres opérés.

 

On part d'une situation étonnante : un illustre comédien lâche au dernier moment (avant le début des représentations) une pièce de théâtre et s'évapore dans la nature. Ce qui peut paraître un caprice de star va être annonciateur de révélations en tout genre. 

Western confronte deux personnalités (le comédien Alexis Zagner et Aurore), deux univers, deux vérités : un homme à femmes, une femme sans homme. Mais résumer cette histoire en trois lignes est clairement réducteur, parce que sa navigation est plus complexe qu'elle n'y paraît (comme un western, me direz-vous), parce que ce qui nous paraît tout mimi au début le devient nettement moins au milieu et plus du tout à la fin.

Maria Pourchet a réussi une œuvre ample, scénaristiquement cohérente et a bien campé ses personnages. On a le droit à une première révélation pour justifier la présence d'Alexis chez Aurore, cette révélation sera suivie d'autres assombrissant le portrait de ce Dom Juan. D'un western, on aboutit à un roman-enquête-pièce de théâtre sans que l'ensemble en devienne confus (et là je dis "Chapeau l'artiste ! Maria Pourchet -je précise-). Le traitement par l'autrice est assuré et assumé, elle n'hésite pas à nous éclairer les différentes étapes de son intrigue justifiant le traitement en western (même si les arguments présentés ont bloqué mon image fermée et usitée de cowboys et d'indiens, je l'ai déjà signalé en début de chronique).

J'ai passé un bon moment malgré les thèmes abordés et je vous laisse la saveur de la découverte/des découvertes. En tout cas, on sent le travail important et savant de recherche bibliographique, la prise de risque de Maria Pourchet et cela, j'aime beaucoup. On sent aussi la proximité des thèmes sociétaux actuels et je trouve très bien que les romanciers s'en emparent parce que l'art permet aussi de libérer la parole en décentrant les éventuelles controverses, de dénoncer des comportements inacceptables par l'intermédiaire de la fiction, de permettre la réflexion et l'attention par une distraction appuyée. Bien joué ! 

Éditions Le livre de Poche. 

Un perdant magnifique - Florence Seyvos ***

Un perdant magnifique de Florence Seyvos a reçu le prix Inter 2025. Si j'ai apprécié les qualités littéraires de cette histoire bien écrite et fluide à lire, je n'arrive pas à comprendre le titre (peut-être émane-t-il d'une citation connue ?), parce que si Jacques, le beau-père de la narratrice, est un looser de première classe, son attitude et son comportement ne le rendent ni sympathique, ni attendrissant, tout au mieux toxique. 

 

Dans Un perdant magnifique, on découvre une famille recomposée : Anna (la narratrice), Irène sa sœur aînée, leur mère, Jacques son second époux, le père des filles et Katia sa seconde épouse. Florence Seyvos nous présente l'équilibre constamment instable de cet ensemble, au gré des fantaisies et lubies de Jacques qui n'a que les idées et pas forcément les fonds pour les assouvir, un être qui se dit libre mais impose ses contraintes et sa vindicte continuellement : ce n'est pas antinomique, c'est juste désespérant. Si l'intelligence de Florence Seyvos nuance l'impression première que l'on a de ce personnage, c'est-à-dire défendre le caractère fantasque de Jacques malgré sa folie (et franchement ce n'était pas gagné d'avance), rien ne soulage les inquiétudes et les dommages collatéraux de ses différentes prises de décision : une insécurité permanente à la fois affective et financière pour son foyer, une galère dans les et sans fond(s).

Voilà, si j'ai lu avec attention cette histoire et j'ai apprécié la plume de l'autrice (notamment sa capacité à nous immerger dans cette famille, à nous faire ressentir leur quotidien), je ne suis ni fan du titre, ni empathique à l'égard de ce personnage (un anti-héros de la cause féminine) irresponsable et irrespectueux : c'est ballot.  

Éditions de l'Olivier 

autres avis : Luociné, Jostein

De la même autrice : Le garçon incassable 

 

Assise, debout, couchée ! - Ovidie ****

Dans cet essai intitulé Assise, debout, couchée !, l'artiste multifacette Ovidie expose son amour pour les chiens, et profite pour présenter les similitudes sociétales de traitement et de considération des femmes et des animaux.

 

L'écrit est instruit, documenté et étayé de références (bibliographiques, journalistiques, de recherche, parfois télévisuelles) et présente la pensée de l'autrice avec plus ou moins de nuances, avec plus ou moins d'excès (son féminisme est affiché, il est souvent bienvenu d'ailleurs ; après je n'ai pas adhéré à tout ce qui est énoncé, même si j'ai apprécié l'authenticité, l'humour et le discours sérieux.). 

Assise, debout, couchée ! est surtout agréable à lire, grâce à la plume efficace d'Ovidie qui rend son propos accessible à tous et à toutes. L'essai est bien construit avec un rythme narratif intéressant alternant la présentation de chaque chien qui a compté, les anecdotes et les réflexions sur les conditions canines et féminines. J'ai lu avec plaisir, j'ai appris. J'ai aussi ri avec l'introduction d'Alaska, l'arrivée de Freyja et de Brünnhilde, j'ai pleuré Raziel et Mabrouck. Voilà, Assise, debout, couchée ! est un condensé d'une vie de rencontres animales, humaines et artistiques, de réflexions sur le monde qui nous entoure et de ses représentations, d'une génération tout simplement.  Vraiment intéressant.

Éditions Points 

 autres avis : Cathulu, Hilde,  

BD : La route - Manu Larcenet *****

Pas simple de faire une adaptation graphique de l'excellent roman de Cormac McCarthy, le genre de livre qui vous marque profondément, par la sidération qu'il provoque. Pas simple d'illustrer des scènes macabres bien décrites par l'auteur américain, pas simple d'apporter un petit truc nouveau quand le scénario est balisé, ficelé, descriptif. 

Et pourtant Manu Larcenet construit une œuvre propre et personnelle, sans se départir de l'originelle ; une œuvre inspirante et incarnée (quel boulot, mais quel boulot de précision dans le graphisme, dans les différentes scènes, pour poser une ambiance et une atmosphère obscures, pour marquer les liens humains, pour indiquer que chaque rencontre amène à la torpeur, parfois à la sidération, rarement à la quiétude.... pas sûr que l'auteur ait bien dormi pendant ces journées, ces mois de création). Là où Manu Lacenet est très fort, c'est que j'ai eu le sentiment de redécouvrir l'histoire de La route, pourtant une histoire inoubliable. Je veux dire par là, qu'à chaque moment de recherche de nourriture, à chaque passage d'humains plus ou moins fréquentables (souvent infréquentables sous peine d'y laisser sa peau), je n'attendais rien à part la surprise, parce que si j'avais en tête le scénario global, Manu Larcenet s'est inspiré de Cormac McCarthy pour construire un autre joyau. Et il n'a pas compté son temps. Le graphisme est recherché (avec les nuances de noir, les ombres, les traits rapprochés et ciselés), on est dans le noir de chez noir, mais hyper stylé. 

J'ai longtemps hésité à lire ce roman graphique tant j'ai aimé l'oeuvre de McCarthy, qui m'a profondément marquée. Mais je n'ai pas été déçue par cette lecture, plutôt à nouveau scotchée. Manu Larcenet a brillamment réussi l'entreprise de sublimer un bijou littéraire et peut-être de lui permettre une plus large audience (en particulier d'atteindre un public qui aime davantage les histoires et les mots amenés par des images). En tout cas il a réussi à conserver tous les sentiments humains d'amour et de protection d'un père pour son fils, un père dont la quête est d'assurer la survie et l'espoir de son fils coûte que coûte dans un monde anéanti. Et la fin parfaite (comme toujours) me tord le ventre. Magistral. 

Editions Dargaud

Plus loin qu'ailleurs - Chabouté *****

En ce moment, j'enchaine les beaux moments de lecture. Disons que je ne m'attarde pas non plus dans les lectures que je ne sens pas : je les abandonne de plus en plus vite, quand le style ne me convient pas, quand je sens que le propos est mal barré, que l'adhésion ne va pas se faire.
Mais là, je n'ai pas été inquiète en abordant Plus loin qu'ailleurs grâce aux avis très convaincants de Jérôme et de NouketteEt comment vous dire ? J'ai beaucoup aimé !

Chabouté nous présente un héros ordinaire, comme souvent chez cet auteur, me direz-vous. Un qui ne prend jamais de vacances et qui se décide pour un séjour en Alaska en version trek de groupe. Un héros du quotidien, qui vit un rythme inverse de celui de ses contemporains : il se couche quand d'autres se lèvent, il vit dans un quartier dont il ne connaît pas les habitants, ne voit pas ou peu les magasins ouverts, son lieu de travail se réduit à l'accueil en sous-sol d'un parking souterrain. Bref, Alexandre Bouillot veut casser ce rythme et vivre au grand air : 15 jours de blanc, de frais, de vrai. Quinze jours qui vont bouleverser sa vie et sa vision du quotidien. Let's go !

Plus loin qu'ailleurs est un titre magnifique qui prend tout son sens à la lecture de ce roman graphique fait de noir et blanc et d'un peu de couleurs (pour les idées, les réflexions, les résumés). Dès le départ, Chabouté nous surprend et nous propose une plongée analytique, tantôt thématique, tantôt chromatique de ce voyage. Avec douceur, humour et poésie, l'auteur réussit son propos : celui de nous évader, de nous faire (re)découvrir, celui d'emprunter le lexique du voyage et de transposer chaque vison plus connue mais pas forcément mieux appréciée en une autre attendue mais revisitée, tout cela avec l'aide de guides hautement consultés. Avec Chabouté, avec Plus loin qu'ailleurs, on ouvre grands les yeux et on attend avec impatience ce que les quêtes du jour d'Alexandre vont donner, comment elles vont se conclure... toujours avec maestria ! Bref,  Plus loin qu'ailleurs est un roman graphique très réussi. Les couleurs rares et posées avec parcimonie pour éclairer un détail, relèvent le quotidien, permettent de faire bouger les lignes de dessin, de vie, de discours. J'ai aimé l'évolution de la relation avec l'ours, les animaux de papier, les messages imagés pour compléter un décor que plus personne ne voit, la conversation et les échanges muets entre Alexandre et une hôte par lectures interposées. J'ai aimé l'analyse des comportements des autochtones, leur aspiration des nouvelles technologies, le choix de leurs chaussures, les animaux environnants. Cette intrigue m'a rappelé la revisite du réel d'un personnage de Tananarive de Sylvain Vallée et Mark Eacersall. Voilà, avec un scénario qu'on pourrait conclure d'ordinaire, Chabouté en a fait un traitement bourré d'intelligence et de sensibilité, une belle acuité sur le monde qui nous entoure, à l'image de son œuvre magistrale. À lire (et à découvrir pour les personnes qui ne connaissent pas encore ce grand auteur de romans graphiques).

Édition Vents d'Ouest 

Autres avis : JérômeNoukette

Du même auteur :

Intérieur nuit - Nicolas Demorand *****

Il faut beaucoup de courage pour écrire Intérieur nuit,  un livre sur soi, un livre qui va raconter la maladie dont on souffre, celle-là même qui peut s'avérer stigmatisante dans le monde professionnel hyper-concurrentiel dans lequel on évolue, dans un monde où la moindre faiblesse donne l'avantage à des camarades qui n'attendent qu'une chose : prendre votre place. Il faut beaucoup de courage et aussi d'amour et de confiance autour de soi, pour dépasser la peur de cette réception médiatique, pour ne pas redouter le fameux retour de bâton des malveillants, ceux-là qui n'attendent qu'une chose : vous faire plonger plus bas, histoire de vous noyer, de salir votre réputation, de mésestimer votre audace et votre intelligence, de mettre en doute vos réflexions subtiles. Voilà Nicolas Demorand a osé affronter la vindicte populaire et journalistique et a affirmé sa bipolarité avec courage et franchise, tout comme je l'aime !


Voilà vous raconter plus ne sert à rien, j'ai juste un conseil : lire cette œuvre sincère qui raconte les difficultés à trouver le spécialiste le mieux adapté, le plus discret, le plus sûr ; à supporter les médicaments et les phases frénétiques et down ; dire le dégoût de vivre et l'envie de tout arrêter, de ne plus se battre ; dire la difficulté de se soigner malgré et avec la popularité. Quelle prouesse d'avoir tenu tout cela secret aussi longtemps sans fuite (sûrement avec l'aide de copains journalistes qui ont su se taire... merci à eux de ne pas avoir gâché ce moment, d'avoir respecté votre confrère, de l'avoir ménagé, dans ce monde où tout se divulgue si vite). 

J'ai apprécié Intérieur nuit, je n'y ai vu aucun voyeurisme, j'ai apprécié la plume (bon, d'un autre côté, ce n'est pas une surprise, je suis une inter-nico-adepte). Nicolas Demorand ne cherche pas l'apitoiement : il dit pour lui, il dit pour d'autres. Il arrive même à me faire apprécier un propos médicamenteux de Michel Houellebecq que je trouve très juste, même si je comprends la terreur médicale à ce que ces mots soient détournés de leur signification première.

Merci, Nicolas, d'avoir tout dit, de nous avoir fait confiance : en partageant votre expérience de malade, vous allez certainement aider ceux et celles qui souffrent du même mal que vous, vous donnez aussi de la lumière méritée au monde médical toujours en soutien à n'importe quelle heure et avec un engagement exceptionnel, pour, je l'espère, davantage de reconnaissance, d'empathie et de bienveillance de la part de nous tous et toutes.

Éditions Les arênes


Cendrillon - Joël Pommerat ****

Après avoir vu la pièce il y a fort longtemps (mais quel souvenir, quel souvenir !) et avoir chroniqué cet instant magique de théâtre ici même, je découvre le texte de cette masterpièce de théâtre grâce à Enna

Et c'est là que je me rends compte d'une chose : lire une pièce de théâtre et la voir incarnée au théâtre sont bien deux fabriques d'émotion différentes (bon, là j'ai aussi conscience d'enfoncer une porte déjà grand ouverte !). Et je me sens très chanceuse d'avoir pu les approcher.


Que dire de cette pièce géniale que je n'ai pas déjà dit. D'abord je comprends mieux les vociférations de la comédienne incarnant la belle-mère, future femme du père de la toute petite fille (Sandra, dite Cendrier, et accessoirement notre Cendrillon) dans la pièce de théâtre vue, parce qu'on peut dire que ce personnage ne cesse d'aboyer sur tout le monde qui n'est pas elle. Sa communication et son attitude sont violentes, grossières et vulgaires (oui, elle cumule.). Bref un personnage qui collectionne tout le pire complété du fait que le père de la toute petite fille se laisse mener par le bout du nez, sans réagir à part fumer en cachette : et cela reste un mystère pour moi, ce défaut de courage ! Ensuite j'ai retrouvé l'ambiance de la composition théâtrale et j'ai aimé lire l'œuvre originelle parce que je me suis fait mon propre film. 

Alors oui, cette redécouverte du texte est une belle surprise complémentaire de la représentation théâtrale. Parce qu'on y trouve une petite héroïne très chouette, à la fois trop naïve pour supporter tout ce qu'on lui demande de faire, et très futée sur les choses de la vie (quand elle a elle-même cheminé). J'ai aimé voir la faiblesse du prince, l'enthousiasme du roi, la douce folie de la fée (dont les pouvoirs ont faibli avec son grand âge). J'ai apprécié de lire la présence discrète quoique bête de Soeur la Grande et de Soeur la Petite. J'avais oublié l'absence d'identité de ces diverses personnalités définies uniquement par leur statut familial. Et oui, la pièce de théâtre actée a réservé l'équilibre attendu entre la belle-mère et la toute petite fille. Comme lors du spectacle j'ai vraiment apprécié la déconstruction et la revisite du conte de Charles Perrault par Joël Pommerat en gardant tous les éléments et en les associant à d'autres moments, d'autres personnages : la chaussure, la robe (de la mère), les travaux ménagers, les vitres. La chaussure et la robe deviennent alors des objets transitionnels pour rencontrer l'inconnu.e et se défaire d'habitudes liées à une absence non assumée. C'est moderne et réussi. Lire Cendrillon est vraiment accessible par le lexique moderne employé, compréhensible par tous : le langage et le discours emploient des tournures actuelles, non pompeuses. C'est aussi ce qui rend cette œuvre populaire, aussi intelligible dans sa construction qu'accessible dans son discours : elle y parle de deuil et de réserve mais aussi de tyrannie domestique et de harcèlement, elle y montre la violence et le jeu de pouvoir, comme dans le conte originel. Bref, du bel art (écrit et scénographique).

Éditions Babel

Emprunté à la bibliothèque

Merci Enna pour cette LC et pour ton excellent avis sur cette oeuvre !

et mon article sur Cendrillon de Joël Pommerat versus représentation théâtrale !

Et ma participation (catégorie Personnes célèbres : CENDRILLON) pour ma ligne du Petit Bac 2025 d'Enna