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Audiolivre : Marx et la poupée - Maryam Madjidi *****

Marx et la poupée est une plongée fantastique dans l'histoire iranienne, l'arrivée en France d'expatriés communistes, au gré d'anecdotes d'ici et d'ailleurs, sous le regard d'une petite fille qui grandit entre deux pays, tiraillée par la dualité puis complète de ces deux origines.

 

J'ai choisi d'écouter cette histoire racontée par l'autrice elle-même. Lorsque je l'ai débutée, je me suis fait la remarque que cela n'allait pas le faire du tout. Et pourtant, bien m'en a pris de persévérer. La lenteur de la diction, sa façon de marquer chaque mot et chaque intonation comme des respirations, qui au départ m'ont laissée indifférente, ont fait un effet fantastique : entendre la sublime langue persane, apprécier chaque anecdote, écouter le discours sur la vie et le recul sur l'allophonie et son traitement en France. Comme si le détachement vocal exprimait aussi le détachement littéraire d'une histoire intime pour atteindre l'universalité.  Surtout que cette version audio propose aussi une interview de l'autrice et cet entretien phonique marque la différence indéniable entre la voix qui raconte et la voix de l'ordinaire.

Marx et la poupée est un livre à la fois qui évade et cultive, serti par une langue française recherchée, poétique et belle, accompagnée du persan aux poèmes magnifiques. Maryam Madjiji relate l'histoire familiale, l'histoire de ses deux pays (l'Iran et la France), le communisme de ses parents, son évolution de petite fille expatriée, partagée entre deux cultures, deux langues, deux identités. avant de construire la sienne, universelle au service d'autres. Très beau.

Quelques images : un bébé agent double transmetteur qui connaît un saut dans le vide avant de naître et échange de parents au gré de missions, des couches ultra secrètes, des livres enterrés pour ne pas être découverts, des poupées données pour apprendre au forceps la générosité, le rappel d'une résistance iranienne éternelle et tenace qui mérite toute notre admiration et notre soutien, les premiers mots en français en salve bienvenue et attendue, le courage des parents porteurs de valeurs fortes de vie, l'opposition entre intégration et assimilation culturelles, les conflits politiques intergénérationnels.

Éditions Audiolib

Lecture faire par l'autrice elle-même

emprunté à la bibliothèque

 autres avis : Sylire, Alex, Eimelle, Luociné, Zazy, Antigone, À propos des livres


Ma première participation au challenge Écoutons un livre de Sylire

Le jeune homme - Annie Ernaux ***

Le jeune homme est une œuvre que je considère comme secondaire et mineure dans l'univers d'Annie Ernaux. Elle intègre bien entendu le champ de l'autobiographie si chère à l'autrice, mais je la soupçonne de flirter davantage vers l'hagiographie dans cet écrit. Reste la plume fantastique avec ce petit côté classique à la Simone de Beauvoir ou Marguerite Duras (le parallèle avec sa relation avec Yann Andréa a certainement compté dans cette association d'idées).

Annie Ernaud précise qu'il lui faut vivre une belle histoire d'amour pour accoucher ensuite d'un texte splendide. C'est la genèse même de Le jeune homme : celui de raconter la liaison entre un étudiant en lettres de 25 ans et l'autrice âgée à l'époque de 54 ans, romancière déjà reconnue mais dont les succès littéraires ne lui assurent pas pleinement une vie financière, confortable et durable, liaison dont la finalité prendra sens avec l'écriture d'un des textes les plus importants d'Annie Ernaud (pour moi, le plus important... je vous laisse découvrir lequel). Ce couple assumé va supporter les regards de travers, les coups d’œil indiscrets, les rencontres furtives dans l'appartement du jeune homme, les moments charnels, la différence de niveau, la différence de classes sociales (le contact avec le garçon rappellera à l'autrice la mue qu'elle a opérée et son transfuge de classe), les lieux qui ont compté... ces fameux lieux qui appelleront l'écrivaine à coucher par écrit un épisode intense de son existence. 

J'ai lu avec intérêt ce court récit de moins de quarante pages. Dire que cette lecture est essentielle, me paraît illusoire : elle complète l'univers d'Annie Ernaud, elle est aussi anecdotique.Toujours sincère, l'autrice ne manque pas ici de se parer de qualités, quitte à parfois engager un sophisme (en déclarant les femmes de plus de cinquante ans d'amantes dangereuses par rapport aux plus jeunes, en prenant un seul exemple - le sien - celui d'avoir su gagner les faveurs d'un étudiant pourtant embarqué dans une relation avec une amoureuse du même âge... Or un exemple ne suffit pas à justifier une affirmation générale... une analyse statistique à plus grande échelle des couples formés par de jeunes hommes contredirait manifestement la déclaration ernaudienne). Honnête, elle reconnaît avoir usé de sa position dominante de celle qui nourrit, qui offre les voyages, les dîners, les sorties, de celle qui complète la culture de l'autre. Elle renvoie l'image de pygmalion-pygmalionne, elle n'offre pas à l'étudiant celle de muse et ce déséquilibre entre ce qu'elle apporte et le manque de considération de ce que, lui, lui apporte m'a fait douter de la sincérité globale de cet écrit. Même si, je reconnais qu'à travers cette liaison inhabituelle, Le jeune homme inverse les rôles, les codes sociétaux du couple (et c'est là sa principale qualité) et a participé à l'élaboration d'une pièce maîtresse de l'univers de l'autrice, selon ses dires. 

À vous de voir et de lire, si cela vous dit. (l'avantage est que cela ne vous prendra pas de temps)

Éditions Gallimard

emprunté à la bibliothèque

De la même autrice :    "Je ne suis pas sortie de ma nuit."     L'autre fille      L'événement      La place     Les années 

Sans répit - William Seabrook ***

Je dois la lecture de Sans répit à l'opération Masse critique du site Babelio et j'ai choisi cette œuvre uniquement pour sa maison d'édition (Oui, j'ai bien conscience de faire parfois des choix surprenants mais que voulez-vous, j'aime beaucoup les éditions Rue Fromentin (grâce à elles, j'ai découvert les romancières J. Courtney Sullivan, Aurore Bègue, Sylvia Hansel, Sigrid Nunez). Avant d'ouvrir Sans répit, je ne connaissais pas l'auteur américain William Seabrook, je savais juste que Sans répit allait être son autobiographie. Après lecture, je ne suis pas sûre de mieux cerner ni l'homme ni l'artiste.

Lorsque j'ai reçu Sans répit et j'ai lu la quatrième de couverture qui au lieu de m'attirer a eu l'effet contraire. Je me suis imaginée des tas de trucs ignobles avant lecture, j'ai même pensé que j'allais lire le roman d'un pervers, même si...

Même si William Seabrook est loin d'être une oie blanche, il s'offusque à raison de massacres d'innocents mais ne trouve rien à redire de disposer lors d'un voyage d'une servante qui lui sert aussi d'objet sexuel. Ce qui fait qu'on reste avec lui quand même malgré son alcoolisme, son épanchement à envoyer valdinguer son quotidien ronronnant et en réussite pour affronter les bourrasques, le déracinement, les découvertes insolites, les aventures au fin fond des civilisations, en dépassant les interdits (et s'il n'arrive pas à les dépasser au cours de ses péripéties, il s'assure de le faire en revenant au bercail)... est le fait qu'on ne s'ennuie pas avec lui, parce qu'il a su rester lui-même tout le temps, parce que la vie avec lui est folie et aventure(s), défis et découvertes. Je pense que cela explique en partie pourquoi malgré sa nature d'épicurien toujours malheureux et torturé, il a su s'entourer de compagnes intelligentes, attachées à lui, fidèles à le suivre : il a en effet un côté sympathique et modeste, avec une sacrée dose de réflexion, une plume à la fois très franche (doucement acerbe) et très stylée sans être littéraire au sens proustien. Il se livre sans détour et en devient intriguant, malgré son côté chtarbé.

De Sans répit, je garderai en mémoire les épisodes dans la brousse et dans le désert, l'expérience de l'internement. Seabrook a gardé toute sa vie et dans sa façon de relater ses écrits, une farouche volonté d'empirisme, de dépassement de soi, d'éclairer les autres d'univers tous plus violents les uns que les autres comme si affronter des démons était le meilleur moyen qu'il ait trouvé de fuir les siens. D'ailleurs c'est lors de ses nombreuses explorations qu'il a su aspirer à un peu de paix, parce que parler des autres  revient à s'oublier un peu soi-même et à prendre de la distance.

Intéressant. 

Éditions Rue Fromentin.

Traduction de Sophie Troff

[Livre audio] La familia grande - Camille Kouchner (entre **** et *****)

Que dire de ce roman qui a bousculé un microcosme parisien bien installé, qui fait bouger les lignes de façon diffuse mais absolument sûre, un roman qui est un best-seller que nombreux lecteurs ont déjà découvert. 

Mon avis va verser dans le pot de ceux des conquis au-delà de l'histoire par la forme narrative choisie par l'autrice, Camille Kouchner, son style, son panache, son phrasé tonique et sec, cinglant sans être méchant, qui respire l'authenticité et l'urgence, l'urgence d'en finir avec le silence, d'achever une boucle pour éviter la répétition, pour protéger les plus jeunes.


La familia grande est un cri d'amour à une mère qui a perdu raison au cours de sa vie, après la perte de sa propre mère, après des cocktails d'alcool et de médicaments, qui a fait un mauvais choix de compagnon au point de perdre une partie de ses enfants, au point de les meurtrir définitivement. Une femme qui n'a pas compris, qui a aimé aveuglément sa famille, ses enfants, ses maris et ses amants ; une femme complexe, passionnée, intransigeante, intellectuelle qui a perdu le bon sens et son intelligence, qui est partie sans donner d'explications.

La familia grande décrit une saga familiale où on comprend qu'on est tout sauf dans une famille ordinaire, où les enfants ont déjà le statut d'embryons d'adulte, où la liberté sexuelle est vantée aux plus jeunes. Une famille soudée par les souvenirs de vacances, par les nombreuses liaisons, les recompositions, par les figures : le grand-père, la grand-mère, la mère, la tante, le père et puis le beau-père.

On peut retenir de La familia grande l'ultime secret que cette autofiction révèle. Mais ce serait tellement réducteur parce que ce livre vaut tellement plus que cela : pour la qualité narrative de son autrice, son écriture, sa capacité à décrire les personnages et l'univers dans lequel elle a évolué, avec sincérité, avec recul, sans ménagement car il n'a plus sa place à présent. 

Bien entendu, à travers ce livre, on re-découvre des personnalités publiques, leur parcours, leur intimité, leur tendresse ou leur rudesse. La déflagration lors de la sortie de La familia grande au sein de ce cercle a dû être retentissante pour un grand nombre et pas uniquement pour celui qui. 

La familia grande est un très grand livre, à découvrir si ce n'est déjà fait.

J'ai découvert cette œuvre par les oreilles. Iris Funk-Brentano donne corps aux mots de sa cousine et interprète le texte avec les intonations qu'il faut, avec subtilité, tout en s'effaçant : c'est bien Camille qu'on entend à travers Iris. Une œuvre dans l’œuvre, assurément une autre transmission.

Editions Lizzie. 

Texte lu et incarné par Iris Funk-Brentano

Audiolu grâce au partenariat Masse critique proposé par le site Babélio et les éditions Lizzie que je remercie.

 

Chez Sylire

Toutes les familles heureuses - Hervé Le Tellier ***

Dans Toutes les familles heureuses, Hervé Le Tellier se livre  et livre sa famille : sa mère, son géniteur, son beau-père qui lui a donné son nom et lui a servi de paternel, ses grands-parents, sa tante, sa famille élargie, celle qu'il a construite, celle qui a failli.

Au détour de courts chapitres introduits par des citations d'auteurs, chaque partie éclairant un membre de ce cercle plus ou moins élargi, Hervé Le Tellier use d'une plume incisive, honnête, directe. Sans chercher le grand déballage à tout va, l'auteur n'hésite pas à questionner son enfance, son adolescence, son âge adulte, à égratigner ces personnalités, toutes décédées ou séniles pour ne pas prendre ombrage d'une parole ainsi libérée, pour que l'auteur s'autorise à parler. À travers ces figures pittoresques, l'auteur reparle de la France qui ne divorçait pas mais où les adultères et seconds foyers étaient légion, où les relations sororales ou fraternelles restaient très conflictuelles à la limite de la haine et de l'envie. 

Dans Toutes les familles heureuses, Hervé Le Tellier se dévoile donc et indique certaines étapes de son cheminement : il en manque. Mais comme l'auteur a la pudeur de ne pas tout centrer sur lui, il laisse la place aux autres et quels autres ! Les figures du côté maternel (mère, tante et grand-père) sont une grande découverte et forment des personnages romanesques. Entre richesses, secrets, folie, seconde vie, double ou triple vie, revers de fortune, c'est Dallas avant l'heure !
Et puis il y a un moment d'une infinie tendresse, un moment précieux dans ce livre de souvenirs, qui tarde à éclore parce qu'il faut du temps, de la confiance, parce que les mots se cherchent, se pèsent parce que les taire rendrait Toutes les familles heureuses incomplet, parce que ce moment a construit l'adulte Hervé le Tellier, parce que Rebecca - Piette mérite cet écrin littéraire. 

Toutes les familles heureuses se lit vraiment très bien et représente un instantané de la France des années 1930- 1990. Si au début de sa narration, Hervé Le Tellier ne cesse de se traiter de "monstre sans cœur", la suite et les faits factuels qu'il décrit et qu'il choisit indiquent aussi le recul salvateur qu'il a dû opérer pour ne pas souffrir ou moins souffrir. Sa plume est impeccablement dosée.

Sans avoir eu la même famille, j'ai compris le monde qu'expose Hervé le Tellier, les relations tendues, cette France d'en haut qui a eu aussi des bas, ces incompréhensions familiales, ces faux-semblants, cette volonté du "toujours plus". J'ai retrouvé un peu de l'univers parisien de Françoise Sagan et de Patrick Modiano

Il est toujours difficile de parler de soi ou de sa famille sans rendre le lecteur intrusif, sans paraître geignard : Hervé Le Tellier réussit l'exercice et on sent qu'il fut difficile pour un écrivain qui aime se cacher derrière ses créations, derrière ses fictions, dans les exercices littéraires qu'il s'impose habituellement.

Les dernières lignes de Toutes les familles heureuses, reprises en quatrième de couverture, concluent la quête de son auteur : "Mais en mettant des mots autour de mon histoire, j'ai compris qu'un enfant n'a parfois que le choix de la fuite, et qu'au péril de sa fragilité, il devra à son évasion d'aimer plus fort encore la vie."

Éditions Le Livre de Poche

du même auteur : L'anomalie (exceptionnel) Assez parlé d'amour (un roman très sympa) - contribution au recueil épistolaire du très recommandé Cher Père Noël du collectif OuLiPo

Le Consentement - Vanessa Springora ****

Bon, voilà, mon avis va bercer dans les autres avis sur ce livre et pourtant, j'ai résisté, j'ai résisté avant de découvrir cette œuvre. J'avais peur de lire son contenu, je m'en faisais tout un monde. Et puis le verrou est tombé. D'abord avec la chronique d'Athalie puis celle de Sylire (ce qui ne veut pas dire que les avis d'avant -celui d'Alex en particulier, n'ont pas compté : ils ont aussi contribué à la brèche).

 

Voilà, après la lecture de Le Consentement, je me suis dit : que de souffrance, que de violence contenue, quel trauma... Et puis, je me suis beaucoup questionnée sur la littérature, sur ce qu'on attend d'elle, en quoi les lecteurs sont aussi responsables. J'ai interrogé mes lectures en me disant que j'avais peut-être concouru à la gloire de criminels qui utilisent la littérature pour justifier et assouvir leurs pulsions malades : j'ai eu un temps au cours de cette lecture réprimé une sueur froide à propos de Lolita de Nabokov (œuvre que j'ai adorée de chez adorée) en m'interrogeant sur mon éventuelle mauvaise compréhension des intentions de son auteur (et heureusement Vanessa Springora a su me rassurer). J'ai repensé à Michel Houellebecq et son Lanzarote. J'ai aussi pensé à Camille Kouchner, à son frère et au beau-père, à leur famille qui a tout couvert, à part la tante maternelle qui a su réagir, s'offusquer, se révolter... tandis que les autres adultes se sont cachés pour mourir de honte, pour fuir leur propre responsabilité, coupables de non-dénonciation de crime, en laissant faire par lâcheté. 

Certes, Vanessa Springora raconte une société parisienne post-soixante-huitarde, arty, jouisseuse dont les codes moraux sont faits pour être affranchis. Mais dans cet univers feutré, il s'en trouve quand même quelques-uns un peu choqués de ce couple installé d'un cinquantenaire et d'une juvénile qui commence tout doucement à se déscolariser, à perdre pied, à s'effacer : l'anecdote de la rédaction signe l'amorce de sa disparition. 

Vanessa Springora date sa fragilité émotionnelle à la séparation de ses parents. Je dirais qu'à la lire, tout concourt à ce que ce soit mal parti dès sa naissance : un couple parental qui renvoie un idéal fictif, deux adultes déséquilibrés portant en chacun d'eux une grande violence (verbale, physique dans laquelle chaque contrariété est une source de fureur) pour le père, l'absence pour la mère ; une famille qui n'offre pas un cocon solide, rassurant, un cadre. Et d'une certaine façon la fascination de la toute jeune fille pour un esthète séduisant, charmant qui attire son regard et le recherche, s'explique : à travers ses yeux -là, elle existe.. pour un temps. Parce que l'enfer a toujours un côté plaisant pour être un instant attirant.

Oui, au sortir de ce livre, j'aurais tellement voulu prendre dans mes bras, la petite V. et lui dire que tout peut se reconstruire... Mais ce serait mentir. Parce que ce qui est perdu est définitivement perdu : l'insouciance, la confiance, l'estime de soi, le premier câlin, la première fois. On peut vivre avec la douleur, mais on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé.

Reste un texte remarquable, un don qui a ses imperfections mais aussi son humanité : prolonger et faire bouger les lignes ; questionner notre monde qui a accepté des monstres en son sein et les a absous sous prétexte de panthéon littéraire ou intellectuel, qui oublie les premiers droits humains à disposer de son intégrité (physique, intellectuelle, morale, numérique etc), qui a exigé le sacrifice de certain.e.s pour l'élévation d'autres, qui a imposé l'esclavage comme principe artistique. Un monde malade qui doit rendre des comptes. 

Alors oui, en lisant Le Consentement, j'ai eu deux moments de nausée : la réflexion de G. après le premier rapport physique (réflexion qui en dit long) et la remarque de Cioran... et un moment de grande solitude, un moment au cours duquel je suis restée complètement interdite : la réflexion de la mère après la rupture. Le Consentement questionne nos fondements, notre intégrité, notre essence, interroge qui on est. Le reste se lit sans pesanteur avec une forme de gravité parce que Vanessa Springora a la grâce des victimes, la classe littéraire, celle de ne pas nous épargner mais celle aussi de ne pas en rajouter. Les anecdotes sont factuelles, édifiantes et se suffisent à elles-mêmes. L'autrice interroge le monde de l'édition, celui des prix littéraires, le microcosme politique. Elle interroge les liens familiaux, les liens sociaux. Elle pose l'époque avec un phrasé limpide en quête de vérité. 

Un premier jet littéraire ô combien recommandable et hautement recommandé, tout simplement fait pour bouger les consciences, et peut-être les politiques.

Éditions Le Livre de Poche.

autres avis :  Athalie, Sylire, Alex, Sharon, Aifelle, Cathulu

Le lambeau - Philippe Lançon ***

Oui, je ne note pas la lecture du Lambeau parce que je n'ai pas fini ce livre : les cent dernières pages ont eu raison de ma patience. L'auteur, Philippe Lançon, le reconnaît : ses articles de journaliste sont souvent longs, c'est un reproche qu'il se fait et qu'il lui est retourné. Je confirme avec cet ouvrage au contenu pourtant remarquable mais dont le tempo monotone a pesé sur mon enthousiasme. Oui, parfois, je manque singulièrement d'empathie.

Philippe Lançon chroniqueur à Charlie Hebdo et Libération fait partie des victimes de l'attentat du 7 janvier 2015. Sorti défiguré du massacre, l'auteur retrace sa reconstruction (à la fois corporelle, humaine, sociale) dans Le Lambeau.

Voilà, c'est terrible d'achever une lecture parce qu'on n'a jamais décollé avec. Je l'ai interrompue, j'ai lu d'autres livres, je l'ai reprise, j'ai admiré la plume et le pointillisme littéraire, la capacité de Philippe Lançon à nous décrire toutes les étapes de sa reconstruction sans affect et avec une vraie sincérité et une vraie honnêteté intellectuelle, ses multiples opérations, sa relation avec ceux et celles qui lui veulent du bien (les soignants de tous ordres, ses gardes du corps, sa famille -en particulier son frère-, ses amis et amies, sa compagne ou ses ex-compagnes, ses collègues), ses progrès, ses rejets, l'accompagnement dont il a bénéficié, son altruisme, son humilité et ses belles réflexions sur la vie, la politique, notre monde, l'actualité. J'ai aimé tout cela mais j'ai lâché lorsqu'il a abordé l'arrivée de monsieur Tarbes. Là, je pense que j'avais atteint ma capacité à poursuivre : l'histoire tournait en rond. J'ai peut-être raté le meilleur, mais je ne regrette aucunement de ne pas avoir insisté.

Le lambeau est un récit riche, une plongée dans l'abîme et l'horreur, la dissection du corps hospitalier (multiple par les personnalités qui le traversent, personnalités tantôt attachantes, tantôt lointaines, mais surtout expertes, qui s'épuisent et s'oublient pour le bien-être du malade et faute de personnel), du corps humain où chaque partie peut servir à combler une part manquante. Il y a l'évolution physique, il y a le mental, il y a toute cette période où le patient devient, comme un enfant, dépendant d'autrui. Philippe Lançon ne nous épargne : rien n'est scabreux ni diminué ; tout est plutôt équilibré et sobre, avec beaucoup de pudeur et une grande précision.

Voilà, un livre intéressant que j'ai apprécié de découvrir en grande partie, une belle écriture, une construction rigoureuse mais aussi de nombreuses digressions et des aller-retour amoureux qui ont eu raison de mon attention. Je le quitte admirative du courage de son auteur.

Éditions Folio 

autres avis : Keisha, Alex, Ta d loi du cine, , Ingannmic, Krol, Mimipinson, Agathe

L'événement - Annie Ernaux ****

Suite à un rendez-vous médical concernant une toute autre chose, Annie Ernaux bascule dans son passé, en 1963 à Rouen, où Mademoiselle poursuivait des études littéraires concentrées. L'événement concerne une grossesse non désirée et la volonté de la jeune Annie d'avorter. On lit le parcours semé d'embûches, de menaces de radiation sur les médecins et thérapeutes qui osent enfreindre la loi d'interdiction (substituant l'IVG à un crime), d'hypocrisie sociale (où beaucoup paraissent opposer à l'IVG mais louent les femmes qui ne souhaitent pas garder l'embryon non voulu). 

Ce livre intéressant montre à quel point cette liberté acquise lors de la loi Veil votée en janvier 1975 (décidément, le mois de janvier est à l'honneur !) fut une montagne à franchir, qu'il est important de préserver par respect du corps, pour que l'arrivée d'un enfant ne soit plus subie mais choisie, pour que cet enfant s'épanouisse sans souffrir de la frustration parentale. 
Certaines anecdotes n'en demeurent pas moins percutantes et choquantes : la délivrance, la réaction d'un médecin méprisant une patiente qu'il juge ouvrière et s'en voulant ensuite en découvrant qu'elle fait presque partie de sa «caste sociale», la lâcheté de certains soignants et l'accompagnement muet d'autres, la solidarité et la bienveillance d'une amie étudiante (pourtant issue d'un milieu conservateur, catholique farouchement opposé à l'avortement)... un véritable concentré varié de la nature humaine. 
Annie Ernaux a écrit un livre salutaire pour nous rappeler que la légalisation toujours malmenée et menacée fut rude à obtenir, que ces femmes et soignants, par leurs actes courageux, ont aidé au mieux-être de tous et en particulier à l'émancipation féminine, que le combat de Simone Veil (victime de harcèlements et d'injures ignobles à l'époque du vote de «sa loi») fut une des plus belles avancées politiques (au sens noble du terme), qu'on ne doit pas oublier. Dans le même registre, l'excellent livre de Martin Winckler, Les trois médecins, se réfère à cette période.

Collection Folio

emprunté à ma biblio chérie

note personnelle : j'aime l'écriture d'Annie Ernaux, cette incroyable façon qu'elle a d'analyser notre société, son acuité et son regard uniques qui montrent un recul impressionnant. J'espère qu'elle sera un jour remerciée pour cette belle œuvre qu'elle compose.

Les années - Annie Ernaux ***

Annie Ernaux profite de Les années pour relater la période débutant par son enfance (située autour des années 1940) et se terminant à nos jours. Tout y passe : les grands bouleversements de l'Histoire (chute du bloc soviétique, 11 septembre 2001...), les dates sociologiques symboliques (l'avènement de la pillule contraceptive, l'autorisation légale de l'IVG, l'abolition de la peine de mort, l'arrivée du SIDA, l'augmentation des divorces...), la chaise musicale des présidents français (plusieurs de droite, un de gauche, la cohabitation ), les affaires, la mort de gens célèbres (Bourdieu- l'idole d'Ernaux- , Coluche, Mitterand...). L'auteure glisse entre deux paragraphes, au moyen de photographies, les pans de la vie de « la femme » (que l'on suppose être elle-même) et ses réflexions sur la modernité galopante: à ce propos, le domaine de la sexualité féminine est abordé de façon crue sans être dérangeante et avec une aisance et une fraîcheur déconcertantes.
Le début du livre n'en demeure pas déroutant, mal construit et assez zappant. Passées les 80 premières pages, les anecdotes s'éternisent davantage pour mon plus grand bonheur, ce qui permet d'ancrer les scènes. Néanmoins, malgré son départ chaotique, Les années reste un livre de qualité, un sorte d'OLNI à mi-chemin entre le roman, l'essai philosophique et la réflexion sociologique, à découvrir bien sûr !

emprunté à ma biblio chérie

La place - Annie Ernaux ****

La mort de son père est l'occasion pour Annie Ernaux de relater les conditions de vie de ce papa si incompris, si taciturne mais tant aimé: enfance en garçon de ferme (enlevé de l'école à 12 ans à peine), puis ouvrier (après la guerre) et enfin commerçant-épicier (qui ne compte pas ses heures, profite du dimanche après-midi et d'un jour dans l'été pour des ballades en voiture). Une vie de dur labeur, de recherche d'ascension sociale, puis l'avènement d'une fille (après l'horreur de la perte d'une autre) agrégée de lettres avec le choc culturel que cela entraîne (belle-famille plus prout-prout, gendre plus distant, catégories sociales antagonistes). Un portrait magnifique où l'émotion et l'amour tout court affleurent dans cette belle écriture, épurée mais qui va à l'essentiel : « l'écriture plate » d'après l'auteure...tout simplement splendide.

Collection Folio des éditions Gallimard. 

emprunté à la biblio de mon Beau-Papa

L'autre fille - Annie Ernaux *****

Lettre émouvante à cette sœur aînée non connue car née entre huit et dix ans avant l'auteure et décédée à l'âge de six ans suite à une diphtérie sévère, dont l'existence cachée fut découverte à l'occasion d'une conversation anodine entre sa mère commerçante et une cliente. On perçoit les propos maternels rapportés page 16: « elle (Annie) ne sait rien, on n'a pas voulu l'attrister » puis « elle (Ginette) était plus gentille que celle-là (Annie) ». Propos cinglants à l'image de la prose habituelle de l'auteure : pas de détours, peu de faux-semblants, la vérité crue aussi dure soit-elle à décrire comme en page 51 « Je ne leur reproche rien. Les parents d'un enfant mort ne savent ce que leur douleur fait à celui qui est vivant », puis page 60 « Tu étais leur chagrin,.... J'étais leur avenir ».

C'est un livre magnifique sur la mémoire, la difficulté d'aimer une survivante de santé précaire (l'enfant Annie a affronté le tétanos) quand on est confronté à l'ultime douleur (la perte d'un enfant). Cet ouvrage fait suite à la démarche analytique qu'Annie Ernaux a entreprise lors de l'élaboration de La place (autre livre splendide, dédié à son père). Deux très beaux textes à découvrir absolument !

Nil Éditions. 

à ma maison